Elle était la plus jeune édile de France en 1977. Quarante-trois ans plus tard, Alice Morel, 64 ans, se présente pour un huitième mandat dans sa commune de Bellefosse (Bas-Rhin).
Ce mardi matin, les rues abruptes de Bellefosse (Bas-Rhin) sont presque désertes. Les flocons de neige disparaissent instantanément. Alice Morel soupire : « Les pistes de ski du Champ du Feu n’ont pas souvent été ouvertes cet hiver. » La maire de la commune nichée dans les Vosges, bottes fourrées aux pieds et anorak de ski bleu, admire sa montagne. À 64 ans, le sourire aux lèvres et le regard pétillant, elle semble toujours aussi amoureuse de l’endroit où elle a grandi. L’élue brigue cette année son huitième mandat.
Quand elle se présente la première fois, en 1977, c’est une étudiante de 21 ans, encore sur les bancs de Sciences Po Strasbourg. « J’étais attachée à ma commune, j’avais envie de participer à la vie du village, mais je comptais seulement intégrer le conseil municipal. » Surprise : elle se retrouve finalement propulsée à la tête de Bellefosse. Et devient la plus jeune maire de France.
Une maire centriste
Au cours de son premier mandat, Alice Morel décroche son diplôme puis un poste de fonctionnaire territoriale dans les Vosges. Elle est loin de se douter qu’une longue carrière de maire, puis de conseillère générale du Bas-Rhin, l’attend. « Tout s’est fait naturellement », explique-t-elle.
L’élue, qui défend l’Europe et l’environnement, se revendique centriste. Son mentor ? Daniel Hoeffel (UDF puis UMP), ancien ministre et sénateur, qu’elle a rencontré lorsqu’il était président de l’Association des Maires du Bas-Rhin. « Sa connaissance des dossiers, son respect des institutions, son sens de l’intérêt général » impressionnent la jeune femme d’alors.
Alice Morel et Daniel Hoeffel, ancien ministre et sénateur, ici en 1978. Photo DR
14h. À bord de son SUV, Alice Morel sillonne les chemins de Bellefosse. « J’ai trouvé des bois de cerfs, apparemment c’est toi l’expert ? », demande-t-elle d'un ton enjoué à un habitant. À la ferme auberge « Au Ban de la Roche », la patronne Véronique Weilbacher, aux manettes depuis trois décennies, en parle comme d’une « maire dévouée, qui se donne pour le village ». Amie de l’édile, elle a aussi siégé au conseil municipal à ses côtés pendant quatorze ans. « Quand quelque chose ne nous plaît pas, on n’a pas peur de lui dire. Elle nous entend et puis, ça évite les querelles ! »
Alice Morel aime le débat. « Heureusement qu’on n’est pas toujours d’accord ! », lance-t-elle. Des opposants politiques, elle en a connus lors des scrutins précédents, parfois même élus au sein du conseil municipal. Il y a eu des remous, mais elle ne s’étend pas. Elle préfère revenir aux sujets pragmatiques. « En ce moment, on parle beaucoup des dégâts causés par les sangliers, et des différentes solutions pour y remédier, précise-t-elle. Avant le vote, le conseil était partagé, et finalement, ce n’est pas la solution que je prônais qui l’a emporté ! »
Maire et mère
Dans les années 1970, en rase campagne, l’élection d’une étudiante de 21 ans surprend. « J’étais jeune et j’étais une femme. On me prenait pour une gamine. » Mais rapidement, elle s’affirme : « Les gens se sont rendu compte qu’une femme aussi pouvait être compétente sur des sujets techniques, comme la voirie ou le réseau d’eau. »
Malgré tout, les commentaires vont bon train. « Ils portent surtout sur l’apparence », sans qu’elle « n’y prête attention », assure-t-elle. Et puis, il y a les remarques sexistes, qui perdurent pendant quarante-trois ans de mandat : « Alice peut être maire car elle est célibataire », « Alice a de la chance car elle a un mari compréhensif. Mais si un jour, elle a un enfant… », « Un enfant ça va, mais le jour où elle en aura plusieurs… ». La maire en plaisante : « J’ai finalement eu trois filles ! »
Petite commune, petits moyens
Les réunions qui s’éternisent, les rendez-vous de dernière minute, sans compter les voyages d’affaires réguliers de son mari… La jeune mère s’organise. « Ma maman et ma tante étaient très présentes, elles s’occupaient de mes enfants quand je n'étais pas là ». C’est plutôt quand elle « reste trois soirs de suite à la maison » que ses filles s’inquiètent, rapporte-t-elle. « Elles m’ont toujours vue engagée », poursuit l’élue. Grandir avec une « mère maire », c’est faire coup double : c’est elle qui a célébré le mariage de l’aînée, Sophie.
Avec Alice Morel, à chaque problème sa solution. « Bellefosse est une petite commune, avec un budget serré et peu de personnel, souligne la sexagénaire. On ne peut pas tout le temps faire appel à une entreprise extérieure, alors c’est à nous de nous adapter. » Il y a quelques jours, les habitants se sont réveillés sans eau. « Nous sommes partis en pleine forêt, malgré la tempête, pour découvrir l’origine du sinistre. » Elle sourit : « Ce genre d’imprévus, c’est le quotidien d’un maire ».
Son adjointe Claudine Bohy est admirative : « Je ne comprends pas comment elle a pu tenir aussi longtemps ». Rénovation de la piscine municipale construite en 1936, mise en souterrain du réseau électrique, restauration de la voirie… Il faut mener les projets alors que les dotations se réduisent, que les normes sont de plus en plus complexes. La fonction de maire s’alourdit. Malgré les difficultés, Alice Morel n’a jamais pensé à arrêter.
Judith Barbe et Laurie Correia