25 septembre 2014
L'association Plurielles fait sa rentrée cette semaine. Oeuvrant pour l'insertion sociale des femmes immigrées et l'apprentissage de la langue française, elle accueille 150 femmes cette année.
Coralie Jacquot, médiatrice interculturelle, accompagne les femmes depuis plus de cinq ans.
« Si je parle trop vite, si je dis des mots trop difficiles, vous me le dites ». Dans la salle de réunion de l'association Plurielles, Coralie Jacquot, médiatrice interculturelle, tente de rassurer les vingt femmes qui l'entourent. Venues d'Arménie, de Russie, de Chine, d'Afghanistan, d'Iran ou d'ailleurs, toutes viennent pour apprendre le français. Ce jeudi matin, les réponses sont un peu timides, encore mal assurées.
Depuis 1995, Plurielles dispense des cours quotidiens destinés exclusivement aux femmes et les accompagne dans leur insertion. Ce matin-là, Coralie Jacquot leur présente le programme qui va les occuper pendant une année entière. Outre l'apprentissage de la langue, l'association donne des cours d'informatique et de droit des femmes. Quelques médecins viennent aussi donner des conseils de santé. Les femmes écoutent en silence. La médiatrice précise : « Je parle beaucoup aujourd'hui, mais bientôt ça sera votre tour ! ».
« Que le français, toujours le français »
Lorsqu'elle intègre l'association Plurielles, chaque femme signe un contrat d'assiduité.
« Cette année, il y a beaucoup de nouvelles inscrites. » Beaucoup sont arrivées en France il y a à peine un an. Lusine, une jeune Arménienne, a quitté son pays en 2013. Tout en souriant, elle se plaint de son français imparfait : « Je connais beaucoup de mots sans pouvoir en faire des phrases. » La jeune trentenaire parle couramment le russe et l'anglais, qu'elle enseignait dans son pays natal. Pour le français, c'est encore un peu hésitant : « Dès que je peux, quand je vais chez le médecin, je demande s'il parle anglais. Je mélange aussi les langues. »
Pour suivre entre six et huit heures de cours par semaine, les 150 femmes inscrites ont déboursé 50 euros et ont signé un contrat : « Vous avez des engagements. Il faut assister régulièrement aux cours et prévenir quand vous ne venez pas », insiste Coralie Jacquot. Pour la plupart des femmes, contraintes par leur vie de famille et leur travail, c'est difficile d'être assidues. Consciente des difficultés, Coralie Jacquot les encourage : « Il faut parler, parler encore, écouter et pratiquer le français en dehors de l'association. Par exemple avec vos enfants. Si vous avez l'occasion de regarder la télé, ça aide aussi ».
Ces efforts, Fatma les applique tous les jours. La jeune mère de 26 ans a quitté la Turquie pour Strasbourg il y a plus de cinq ans. Avant de se consacrer à sa famille, elle a travaillé un temps comme hôtesse de caisse dans un supermarché de l'Elsau. Timide, elle cherche ses mots : « Mon mari m'a dit : "Allez ! Parle français !" mais je n'y arrive pas. ».
Lusine ( à gauche) a quitté l'Arménie pour la France en 2013. Elle parle couramment l'anglais et le russe.
Un cheminement semé d'embûches
Le processus d'apprentissage est variable d'une femme à l'autre : de deux ans, pour celles qui sont allées à l'école dans leur pays d'origine, à cinq, voire dix ans, pour celles qui étaient au départ analphabètes. Plurielles suit des femmes sur plusieurs années. Depuis 2010, c'est le cas de Nadia, née en France de parents algériens. Elevée ici par sa grand-mère « qui parlait un peu l'alsacien mais pas le français », elle part ensuite en Algérie où elle rencontre son mari, avec qui elle a sept enfants. Sur place, elle perd l'usage du français mais ne se sent pas pour autant à l'aise dans son pays d'accueil : «Je n'avais pas de papiers algériens et je ne suis pas allée à l'école là-bas.» En 2004, elle revient à nouveau habiter à Strasbourg : «Je suis partie perdue, je suis revenue perdue.» Pourtant, aujourd'hui âgée de 51 ans, elle fait partie des élèves les plus à l'aise.
Pour encourager les femmes, les quatre salariés et la vingtaine de bénévoles de l'association défendent des projets à long terme, comme ce projet d'écriture collective, « Quand j'étais petite », un recueil de textes rédigés entre 2010 et 2014 par une vingtaine de femmes. Moteur dans l'intégration des femmes immigrées, Plurielles se protège des commentaires politiques. Alors que lundi, lors du conseil municipal, l'élue FN Julie Abraham a fustigé l'attribution d'une subvention à une structure, qui selon elle, contribue à « trouer les comptes publics et à inciter ces populations à venir [sur notre sol]», l'association n'a pas souhaité commenter. Elle préfère se concentrer sur sa rentrée.
Hélène Perrin