18 décembre 2007
L’UE est engagée à fond dans le cadre du protocole de Kyoto. Mais elle veut aller plus loin. Réduire de 20% ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020. Et porter ce plafond à 30% si un accord international est trouvé à Copenhague fin 2009. Reste à trouver la formule à 27.
L’énergie représente 80% de toutes les émissions de gaz à effet de serre. Pour asseoir son autorité sur la scène internationale, l’UE a choisi de lier étroitement sa politique énergétique à la lutte contre le réchauffement climatique. Ainsi, le 9 mars 2007, le Conseil européen s’est fixé trois objectifs contraignants d'ici 2020 : réduire «unilatéralement» les émissions de gaz à effet de serre de 20%, porter à 20% la part des énergies renouvelables (EnR) dans le bilan énergétique de l’Union, et faire passer à 10% la part de biocarburants dans la consommation totale d'essence et de gazole destinés au transport.
Reste à s’entendre sur des instruments et une formule de répartition de ces obligations communes entre 27 Etats membres aux profils énergétiques distincts, séparés par de grands écarts de richesse. Or sur les uns comme sur l'autre, les positions de départ sont éloignées.
Un système d'échange de quotas critiqué
Pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre, l’Union européenne compte essentiellement sur son système d’échanges des quotas d’émission («emission trading scheme» ou ETS). Mais beaucoup d’eurodéputés, comme la britannique Linda McAvan (PSE), pointent du doigt son inefficacité pendant la période 2005-2007, due aux sur-allocations des quotas d’émission nationaux. «Pour garantir le bon fonctionnement du système, il nous faut désormais le centraliser. La Commission européenne doit avoir l’autorité d’allouer les quotas aux Etats membres», affirme-t-elle.
Le Centre d’analyses stratégique, ancien Commissariat français au Plan, dans son rapport intitulé «Perspectives énergétiques de la France à l’horizon 2020-2050», préconise, au contraire, que l’Union «laisse aux Etats membres les souplesses nécessaires pour choisir les politiques et les instruments adaptés à leur situations très diverses, en tenant compte des efforts déjà réalisés par chaque Etat membre».
«La répartition décidée pour la période de Kyoto est injuste», dénonce de son côté Holger Krahmer (ADLE), eurodéputé allemand, «l’Allemagne en assume trop pour l’instant». Sigmar Gabriel, le ministre de l’Environnement allemand ne partage pas cet avis. «Il faut que les pays les plus développés supportent une part du fardeau de ceux qui sont en rattrapage économique : c'est tout à fait normal». Un signal d’apaisement destiné surtout à la Pologne et la Hongrie qui ont eu du mal à accepter des objectifs contraignants. L’Allemagne, la première économie d’Europe, qui rejette encore annuellement 10 tonnes de CO2 dans l’air par habitant, contre 6,2 pour la France, vient d’adopter en Conseil des ministres 14 mesures devant permettre de réduire de 40% ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2020, soit le double de l’objectif de l’UE.
Après Kyoto, rendez-vous à Poznan et à Copenhague
Devant la difficulté de l’exercice, les propositions de la Commission sur la révision du système ETS et sur les énergies renouvelables, attendues pour décembre 2007, ont été reportées au 23 janvier 2008.
La conduite des négociations et la formulation d’un compromis sur ce «paquet législatif» seront principalement à la charge de la présidence française. L’Union veut en effet conclure avant décembre prochain, pour pouvoir en faire état à la conférence de Poznan en Pologne, étape intermédiaire cruciale dans les négociations internationales en vue de faire aboutir, «le protocole de Copenhague». L’Onu prévoit de finaliser ce nouveau cadre d’actions sur le changement climatique pour l’après-Kyoto lors de la conférence de Copenhague, en décembre 2009.
Il faudra pour cela trouver un accord avec le Parlement européen qui a créé une commission temporaire du climat sans pouvoir législatif afin de coordonner le travail de ses trois principales commissions concernées: environnement, énergie et industrie. Cette dernière craint une baisse de compétitivité des entreprises européennes en raison des contraintes trop strictes. Le mandat de la commission temporaire du climat sera probablement prolongé jusqu’à novembre 2008, voire, s’il faut, mai 2009, selon Guido Sacconi (PSE), eurodéputé italien qui la préside.
Qijun Shi à Paris
Le 21 décembre, Powernext Carbone, la bourse européenne du CO2, est absorbée par le premier groupe mondial de places boursières NYSE Euronext. Pour Thierry Carol, directeur de son département environnement, le marché du CO2 est en plein essor.
Powernext fonctionne en période d’essai depuis deux ans. A la veille de l’entrée en vigueur des engagements de Kyoto, quelles leçons en tirez-vous?
Le système fonctionne. L’Union européenne a fixé un plafond d’émissions à chacun de ses pays membres. Ces «droits d’émission» ont ensuite été répartis entre industriels, comme un capital. De là naît la possibilité d’échanges entre ceux qui ont des droits en surplus et ceux qui dépassent leurs quotas. C’est ce qu’on appelle le «cap-and-trade».
En mai 2006, on a constaté que les émissions réelles étaient bien moindres que les plafonds prévus, que les contraintes étaient donc très faibles. La bourse, en tant qu’outil de marché, a immédiatement réagi : le prix du CO2 a chuté, passant de 25 euros à 8 centimes par tonne.
Pour la deuxième période, qui commence en janvier, l’Union a changé les paramètres en renforçant les contraintes. Du coup, le marché anticipe et les prix futurs remontent autour de 20 à 25 euros. L’objectif est d’apprendre aux entreprises à fonctionner avec ces nouvelles contraintes, et aux chefs d’entreprise à prendre leurs décisions en tenant compte d’un prix du CO2, comme il y a un prix du pétrole.
Cela veut dire que plus on est riche, plus on peut polluer?
Oui, mais on doit payer plus, et cela permet aux autres de se développer. Dans le protocole de Kyoto, seuls les pays développés ont des contraintes chiffrées. Si leurs entreprises investissent dans les pays en voie de développement dans des projets qui font baisser les émissions de gaz à effet de serre, ils reçoivent en prime des crédits d’émissions, appelés CER (certified emission relation). Ceux-ci leur permettent de baisser les coûts de pollution dans les pays développés, ou d’engranger des bénéfices sur le marché du CO2.
L’Union européenne veut désormais inclure les transports aériens dans ce système. Comment?
Cette introduction, prévue pour 2010 ou 2011, est un peu particulière. Au cours des négociations conduites par la Commission, le secteur aérien n’a accepté de se voir imposer des contraintes qu’à condition qu’on lui garantisse un marché protégé. Aujourd’hui, en effet, aucune technologie ne permet de réduire les émissions des avions au même coût que celles du secteur énergétique ou chimique.
Les grands transporteurs auront la possibilité d’acheter sur le marché actuel des droits d’émission, mais les autres industriels n’auront pas accès à leur marché sectoriel. Potentiellement, cette solution pourrait s’appliquer à d’autres secteurs.
Comment voyez-vous l’avenir de cet instrument boursier de lutte contre le réchauffement climatique?
Le marché européen n’est pas isolé. Au-dessus, il y a un marché mondial, celui des CER dans les pays en développement, auquel il faut ajouter une série de «cap-and-trade». Car après l’Europe, le Japon va bientôt démarrer, puis l’Australie et la Nouvelle Zélande. J’espère que les Etats-Unis suivront. Dès 2008, on ne pourra quasiment plus parler de marché européen : il y aura un marché mondial du CO2 avec des contraintes locales.
Que devient Powernext Carbone?
Nos activités sont rachetées par le groupe NYSE Euronext. On change de casquette, on change de dimension. Nous allons d’abord développer une gamme de produits boursiers environnementaux. Deuxièmement, nous voulons élargir notre zone d’activités à l’Asie et aux Etats-Unis avec deux objectifs: aller chercher des clients pour le marché européen, notamment des conglomérats mondiaux, et gérer localement leurs problématiques. Troisième orientation : le secteur financier. Aujourd’hui, seuls quelques banquiers sont actifs sur le marché carbone. Il revient aux banques de se lancer, par exemple, dans la couverture de risques sur les variations du prix du CO2, comme ils le font pour celui du pétrole ou de l’acier. NYSE Euronext nous offre l’occasion de nous connecter à l’ensemble de la communauté financière et de réellement nous globaliser.
Propos recueillis par Qijun Shi
à Paris
Cette histoire est rapportée par une source américaine présente à Bali début décembre. Dans le poche d’Yvo de Boer, responsable de la Convention Climat de l’Onu, se trouvait une lettre écrite par un groupe de représentants du Congrès. Ils lui demandaient clairement de ne pas écouter les délégués américains présents à cette conférence sur le changement climatique. Cet appel illustre les divisions qui traversent les Etats-Unis et rejoint le message du Prix Nobel de la paix Al Gore lors de son intervention spéciale en Indonésie: «faites tout votre possible pour laisser une place aux Américains jusqu’à la prochaine élection».
Car à Bali, «les Américains ont été littéralement hués» raconte Tim Herzog, conseiller à World Resources Institute (WRI), think tank américain pour l'environnement. «Ce qui était le plus surprenant c'était que l'Union européenne, en particulier les Allemands, étaient très vindicatifs».
Engager les Américains vers une réduction chiffrée des gaz à effet de serre (GES) demeurait un défi considérable. Le président américain George W. Bush a toujours refusé de signer le protocole de Kyoto qui engage les pays industrialisés de réduire leur émissions de CO2 de 8% d’ici 2012.
Mais cette fois-ci, le 15 décembre, avec un jour de retard, les Etats-Unis se sont engagés. Il aura fallu des négociations nocturnes et même des larmes d’Yvo de Boer. Certes, l’accord reste non chiffré. Il est destiné à préparer l’après Kyoto et reconnaît que des réductions importantes des GES seront nécessaires comme indiqué dans le rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). «Il fait référence à des objectifs contraignants», explique Guido Sacconi (PSE), président de la commission temporaire du climat au Parlement européen. «Nous sommes très heureux du changement d'avis de l'administration américaine».
Un climat qui change
Le texte reste ambigu, mais cette fameuse référence devrait favoriser l'apparition d'un système de quotas d’émissions de GES dans les futures négociations. «Espérons que la prochaine administration américaine (active à partir de 20 janvier 2009) se rendra compte que retarder l'action va uniquement augmenter le coût du changement climatique à tous les égards», réagit Rebecca Harms (Groupe des Verts), vice-présidente de la commission temporaire.
Aux Etats-Unis, justement, le refus de quotas n'est pas défendu par tous. Parallèlement à la conférence de Bali, une législation sur le "cap-and-trade" (un système d'échange de quotas d'émission de GES) avançait au Sénat américain. Le projet de loi proposé par l'indépendant Joseph Lieberman et le républicain John Warner est sorti de la commission de l’environnement et des affaires sociales le 5 décembre 2007. C'est le projet législatif le plus «avancé» concernant le changement climatique de l'histoire américaine. Il prévoit une réduction de 70% des émissions de C02 par rapport aux niveaux de 2005, dans tous les secteurs, d'ici 2050. Ces contraintes seront la base d'un système d'échange de CO2 qui ressemble au marché de CO2 européen.
Une politique à deux visages
Le projet de loi a eu des échos à Bali. «Lieberman-Warner est compris par la communauté internationale comme la preuve que le climat politique est en train de changer aux Etats-Unis», explique Tim Herzog. «Il y a une compréhension implicite que la position américaine à la prochaine conférence (à Poznan en décembre 2008) sera probablement très différente."
Un sondage commandé par CBS News et Le New York Times montre que plus de la moitié des Américains estime que le changement climatique est un problème sérieux entraînant des conséquences immédiates. Ce sondage montre aussi que les Démocrates sont plus sensible à cette question que des Républicains: 71% contre 42%.
De là, à dire que c'est une question de partis, tout le monde n'est pas d'accord. Le conseiller de l'ambassade des Etats-Unis auprès de l'Union européenne, Boyden Gray, rappelle que le Protocole de Kyoto a été refusé au Sénat par les Républicains et les Démocrates.
Rachel Marusak
à Strasbourg
Pour abolir les tensions entre des pays qui maîtrisent le nucléaire et ceux qui souhaitent le développer, tout en garantissant la non-prolifération, Javier Solana, le secrétaire du Conseil de l’Union européenne, s’est récemment prononcé pour la création d’un centre international d’enrichissement sous surveillance multilatérale. «Tous les Etats auraient accès à ce combustible enrichi aux mêmes conditions et à des prix compétitifs», explique-t-il. «C’est l’Union européenne qui est le mieux placée au sein de la communauté internationale pour engager une réflexion sur le système de non-prolifération. Faisons-le donc!»
Selon le vice-président du Parlement européen, Gérard Onesta, ce centre militarisé poserait problème: «Les transports de matière nucléaire sont très dangereux. En cas d’accident, ce serait un drame absolu! D’autre part, ces transports gaspilleraient beaucoup d’énergie.»
En outre, selon lui, le nucléaire représenté en Europe par la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom) ne serait «pas démocratique». Il ne figure pas dans le traité simplifié signé par les chefs d’Etats à Lisbonne car pour beaucoup de pays le nucléaire n’est pas une priorité. Et pourtant l’Union européenne va dédier 120 milliards d’euros au nucléaire en 2008. «Beaucoup trop!» dénonce le vice-président du PE. «Il faut accorder plus de budget au développement des énergies renouvelables, par exemple.»
Les écologistes partagent ce dernier point de vue. «L’émission de gaz à effet de serre serait divisée par quatre si on arrêtait de produire du nucléaire», déclare Damien Demailly, spécialiste de l’énergie chez WWF. Selon lui, chaque pays devrait produire des énergies renouvelables en fonction de ses propres ressources, en utilisant les éoliennes, des panneaux solaires mais aussi l’eau et le gaz. Il voit le développement du nucléaire comme un danger: «Cela représente avant tout un risque de prolifération, d’accident et enfin un mauvais traitement des déchets radioactifs.»
Pour garantir la non prolifération et éviter que certains pays ne passent du développement du nucléaire civil à la production d’armes de destruction massive, la proposition de Javier Solana reste la seule originale. Certains pays arabes pourraient en bénéficier, car selon une source proche de l’Elysée, le nucléaire civil pourrait jouer dans le monde arabo-musulman et sur le projet d’Union de la Méditerranéenne le même rôle qu’avait joué la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), ancêtre de l’Union européenne.
Victor Nicolas
à Paris