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Vidées de leurs habitants, les tours situées au 8 et au 9 sont en cours de démolition. ©  Madeleine Le Page

“C’est le seul parc de ce type en Europe, ça vaut vraiment le détour”, confie Dylan, 15 ans, au moment d’ôter son BMX de la fourgonnette familiale. Sur le parking du Stride-Park, structure indoor de 12 000m² pour VTT et BMX, le jeune homme attend depuis une heure l’ouverture en compagnie de son père Jean-Luc. “Il y a beaucoup de choses à faire entre le bac à mousse, la piste de cross-country, la résille, le Pumptrack”, récite à tue-tête le fiston pour justifier sa venue depuis Reims. Idéalement desservie par l’autoroute, le tram, ainsi que les pistes cyclables, la société fait partie d’une zone de loisirs privés de trois enseignes située dans des entrepôts vieillissants de la Sernam, ancienne filiale de la SNCF. Avec le Stride-Park, l’Urban Soccer et le Crossfit animent ces anciens hangars progressivement réhabilités entre 2013 et 2016. 

Ce n'est pas le cas d'autres commerçants qui cherchent à attirer davantage de clients. "On se bouge, on se remet en question. La concurrence nous stimule", déclare de son côté Michèle Olland, la gérante de la boulangerie éponyme, dont “la carte change tous les jours”. Au sein du Magpresse Tabac du Centre, des travaux sont en cours pour installer un bar, ce qui permettra de diversifier son activité et d'attirer un nouveau public. "On a de moins en moins de retraités - qui lisaient beaucoup - donc le secteur de la presse est touché, confie la propriétaire Cécile Cansell. La hausse du prix des cigarettes a entraîné une fuite de la clientèle vers l'Allemagne. Même les jeux à gratter et les paris sportifs sont en baisse face à la concurrence d'Internet."

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Baadra profite de la salle de danse mise à disposition par l'Aquarium pour s'exercer au popping. © Claire Birague

Un immeuble démoli, des voitures incendiées 

Depuis, le lien s’est distendu entre le CNRS et le quartier. Au fil des années, les scientifiques ont eu tendance à déménager vers d’autres quartiers de Strasbourg. À la fin des années 1990, la mairie décide de démolir une barre d’immeuble adjacente au site. Imputant cette décision au CNRS, des habitants incendient des voitures stationnées sur le parking ou à proximité : les véhicules visés sont ceux des employés du site. Ces événements provoquent une prise de conscience. Dans la foulée, la scientifique Marie-Françoise Janot fonde l’association ConnaiSciences dans le but de renouer des liens. "Les ingénieurs et chercheurs faisaient des activités et des excursions avec les habitants du quartier bénévolement", se remémore une membre de l’association. Depuis dix ans, ConnaiSciences se consacre à l’aide aux devoirs pour les élèves du collège Sophie-Germain. Ces initiatives ne relèvent pas du centre de recherche.

En novembre 2019, la dernière tour située au 12 rue Kepler, se vide peu à peu. Il ne reste plus qu’une quinzaine de familles. © Madeleine Le Page

Rues piétonnes, jardins partagés, bacs de compost, espaces verts… L’écoquartier de la Brasserie présente les atours d’un habitat moderne en 2019. Cerise sur le gâteau, les immeubles à hauteur modérée, espacés les uns des autres et aux devantures colorées, bénéficient d’un chauffage géothermique au sol, neutre en carbone. 

Niché entre la route de Mittelhausbergen et la rue Ernest Rickert au sud de Cronenbourg, l’écoquartier de la Brasserie a accueilli ses premiers habitants il y a cinq ans.  Aujourd’hui, 1200  personnes vivent cette expérience originale d’habitat. Sur ces lieux se situait l’ancienne brasserie Kronenbourg, le géant de la bière alsacienne. L’enseigne trône à présent sur l’hôtel récemment construit à cet emplacement. L’entreprise a cédé son terrain en 2006 à la SERS, une société d’aménagement locale. L’ancienne équipe municipale décida alors d’utiliser ce terrain pour y construire le premier écoquartier de la ville. Pari gagné pour Serge Oehler, l’actuel adjoint à la mairie chargé du quartier Cronenbourg : "C’est un secteur qui apporte une belle diversité au quartier et une dynamique habitante très intéressante qui a permis d’ajuster avec les habitants des espaces qui ont dû être repensés à l’usage."

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Les jeunes du quartier s'affrontent sur les deux tables de ping-pong du gymnase de l'Aquarium. © Manal Fkihi

Cinq étages plus haut, Monique Grall a investi les lieux un mois après Noëlle, en juillet 1969. "Pendant les travaux je suis entrée sur le chantier. Je me suis tout de suite dit c'est ça que je veux", se souvient celle qui vivait alors rue Becquerel, à une centaine de mètres plus loin, avec mari et enfants. Cinquante ans plus tard, elle est toujours là : "C’est chez moi. C’est à moi !"

Un ami l’a aidé à construire une voûte qui sépare le salon et la salle à manger, remplacer la moquette par un parquet flottant, rajouter une douche dans la salle de bain et refaire l’isolation. "J’y ai mis du fric", s’exclame-t-elle. Attachée à son petit cocon elle prévient avec ironie : "Si on me fiche dehors il y aura un feu de joie". Pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, Christine Boutin, alors ministre du Logement, militait pour le relogement des personnes dans les HLM sous-occupés. "Je vivais déjà seule à l’époque. Elle voulait foutre les gens comme moi dehors", s’indigne Monique. Aujourd’hui, on ne lui demandera jamais de partir.

J’aime bien dire que je connais presque chaque caillou de Lavoisier.

Les nombreux repas de famille ont rassemblé jusqu’à 40 personnes autour de sa table. "Pour mes 33 ans on était 33", raconte-t-elle le regard plongé dans les vieilles photos de l’album de famille précieusement conservées. Puis ses enfants se sont mariés, ont quitté le domicile familial. "Je vis seule ici mais je n’ai aucun complexe. J’y ai passé les deux tiers de ma vie", assure celle qui s’est séparée de son mari en 1996.

"Mon appartement c’est mon terrier"

Depuis le départ de ses enfants, Monique collectionne toutes sortes de choses : 44 jeux d’échec, 47 parapluies, 2600 fèves, 4500 livres et beaucoup d’autres collections. Elle en dénombre une quinzaine qui s’étalent dans chaque recoin de l’appartement. "Je vais bientôt manquer de place, reconnait-t-elle dans un éclat de rire. Avant, on fêtait Noël ici. La maison était décorée. Mais c’est plutôt moi qui vais chez eux maintenant." La table à manger est aujourd’hui jonchée d’échiquiers.

Dans le salon, des œufs de décoration sont posés sur des livres qui n’ont pas trouvé de place ailleurs. Derrière le grand canapé familial bleu azur, une grande bibliothèque Ikea datant du début des années 2000 est comble. Pour satisfaire ses envies de collectionneuse, les chambres sont devenues des débarras : "Mon appartement me permet de voyager. Je ne suis jamais seule. Je suis entourée de tous ces auteurs, de ces objets qui ont une âme." Monique a déjà consulté les prix des nouveaux logements sociaux de l’écoquartier de la Brasserie : ils s’avèrent plus petits pour un loyer équivalent à celui de son appartement actuel. "Les trois pièces sont quasiment aussi chers que les cinq pièces si le logement est neuf, reconnait Paul Strassel. Quel intérêt il y aurait à payer autant pour plus petit ?"

 

Loeiza Larvor et Manon Lombart-Brunel

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Au rez-de-chaussée, de jeunes basketteurs s'entraînent au shoot. © Manal Fkihi

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