Vous êtes ici

Règle de trois

Les fonctionnaires de la RP sont en première ligne. Ils évoluent en contact constant avec les eurodéputés, tant à Bruxelles pour le travail des 20 commissions, qu'à Strasbourg où ils suivent les votes dans les commissions puis en plénière. Deux diplomates chargés des relations avec le Parlement européen, sont systématiquement présents à chaque plénière. Ils sont secondés par un volontaire international et épaulés par les conseillers de secteur, qui effectuent le déplacement à Strasbourg en fonction de l'ordre du jour.
Deuxième composante de la délégation française : les chargés de mission ministériels. Ils viennent de Paris pour suivre les débats en plénière et les travaux de la commission parlementaire qui concernent leur ministère. Ils recueillent des informations auprès des eurodéputés et des lobbyistes qui serviront à établir ou faire évoluer la position du ministère au sein des réunions interministérielles du SGAE. Auprès des eurodéputés, ils soutiennent la position officielle de la France, en coopération avec les autres membres de la délégation.
Le SGAE supervise. Il coordonne les informations glanées par la RP et les ministères pour asseoir une position commune. Il rappelle aussi aux députés français la position nationale sur les enjeux communautaires. Pour cela, le SGAE recourt à l’artillerie lourde en leur transmettant des notes à chaque moment-clé : la nomination du rapporteur, le passage du texte en commission et le vote en plénière. Pour approcher les députés de toutes nationalités, il se contente de la cavalerie légère : des entretiens informels. Enfin, les fonctionnaires du SGAE suivent en direct les votes dont ils s’empressent de faxer les résultats à Paris.

Cibler les plus influents

Les représentants permanents dialoguent avec les parlementaires, mais également avec leurs assistants comme les administrateurs du Parlement et des groupes politiques. « L'important, c'est d'identifier les acteurs les plus influents sur les différents sujets et de constituer des réseaux », confirme un membre de la RP. Les rapporteurs, les contre-rapporteurs, les présidents de commission, les coordinateurs de groupe politique constituent des cibles privilégiés. La RP vise aussi en priorité les eurodéputés français, sans pour autant négliger les parlementaires étrangers les plus importants ou les plus enclins à appuyer les intérêts de la France.
De manière générale, la délégation française n'hésite pas offrir son expertise, voire un soutien logistique à un eurodéputé qui souhaiterait déposer un amendement conforme à la ligne soutenue par le gouvernement. Un échange gagnant-gagnant. « Le dépôt d'amendement, c'est de l'or en barre pour la notoriété d'un parlementaire, explique un fonctionnaire du SGAE. Les députés sont demandeurs d'informations pour briller dans leurs commissions. Et nous, nous devons œuvrer pour que la norme communautaire soit favorable aux intérêts français. »

Session, mode d'emploi

« Les 732 députés, ou presque, sont à Strasbourg pendant la session. C’est un moment privilégié pour mener des activités d’influence », explique Stéphane Paillé, chargé des relations avec le Parlement européen pour la Représentation permanente (RP). Principale mission de la délégation française au Parlement : consolider la position nationale au Conseil en influant sur les députés européens. La semaine qui précède la plénière, une réunion en visioconférence permet de définir les rôles de chacun à l’avance. Histoire d'optimiser les forces.

La délégation française au Parlement européen

Créée en 1951.
Parlement européen, bâtiment Winston Churchill, Allée du Printemps, Strasbourg
Effectif : 6 à 7 personnes en moyenne.

L’administration française a mis longtemps à admettre qu’un eurodéputé puisse exercer de réels pouvoirs. Depuis 2003, elle s’efforce vigoureusement de redresser la barre. Simple organe consultatif au moment de sa création, le Parlement européen a pris du muscle à petits pas, au fur et à mesure de la construction européenne. La création du marché unique constitue un premier seuil. Les eurodéputés, élus au suffrage universel depuis 1979, obtiennent les prémices de véritables pouvoirs législatifs. Surtout, la procédure de co-décision, introduite dans le traité de Maastricht, puis largement étendue par le traité d’Amsterdam, place le Parlement sur un pied d’égalité avec le Conseil en matière législative.
Son pouvoir d’amendement vaut désormais de l’or. Et fait converger vers lui les agents d’influence de tous horizons (représentants des Etats membres, fonctionnaires de la Commission, lobbyistes... ). Trois méthodes sont à la disposition des 732 députés pour proposer leurs amendements. Ils peuvent le faire par le biais de leur groupe politique, à l’occasion du débat du texte en commission ou encore au moment de la séance plénière, à condition de recueillir la signature d’au moins 37 parlementaires. Le choix du rapporteur, privilège de la conférence des présidents, le vote en commission puis le vote en plénière constituent donc des moments du parcours décisifs pour les agents d’influence.
L’enjeu pour la délégation française au Parlement : consolider la position défendue par la France au Conseil. Sur les dossiers qu’elle considère comme les plus sensibles, la délégation doit s’assurer que les amendements déposés, puis les votes, viendront conforter les intérêts nationaux. Pour mener cette mission, elle regroupe des membres de la Représentation permanente, du Secrétariat général des Affaires étrangères et des chargés de mission ministériels. Un trident qui a vu ses effectifs s’accroître depuis 2004, pour répondre notamment à l’afflux des parlementaires des nouveaux Etats membres. Mais l’eurodéputé, fort de ses nouvelles prérogatives, reste encore largement imprévisible. Et difficile à capturer.

Matthieu David

 

Lorsque le Conseil et le Parlement européen n'arrivent pas à se mettre d'accord sur un texte, il existe un dernier recours: la conciliation. C'est la seule fois dans la procédure législative qu'ils se rencontrent directement.

Le Parlement européen et le Conseil, face à face pour légiférer. Le soir du mardi 21 novembre, un comité de conciliation se réunissait à Bruxelles, dans le bâtiment Spinelli du Parlement. L'enjeu: trouver un terrain d'entente sur l'initiative «Inspire» qui vise à doter l'Union d'une meilleure cartographie pour appuyer ses politiques, notamment dans l'environnement. Codifiée en 1999 dans une déclaration commune du Parlement, du Conseil et de la Commission, la conciliation constitue l'ultime recours pour «sauver» un projet législatif en codécision après le rejet de la position commune du Conseil par le Parlement européen en seconde lecture.
Particularité de cette procédure: elle oblige les membres du Conseil à négocier en tête à tête avec les parlementaires. D'un côté, les représentants des 25 Etats membres dirigés par le président en exercice du Conseil. De l'autre, une délégation d'eurodéputés sous la houlette d’un des vice-présidents du Parlement. La Commission européenne est aussi de la partie, mais uniquement pour favoriser le rapprochement des positions du Parlement et du Conseil. La soirée débute justement par un trilogue dès 19 heures, avant de se poursuivre par une réunion des deux délégations, chacune de leur côté.

Des négociations en amont

En réalité, la conciliation a commencé plusieurs semaines avant le comité. «Tout le travail est fait en amont avec des trilogues formels ou informels et des discussions de chaque côté, confirme un diplomate. C'est parfois usant pour les représentants des Etats membres car le Parlement défend ses amendements jusqu'au bout.» La plupart des points de discordes ont déjà été réglés. Pourtant, quand la soirée de conciliation débute, «rien n'est joué à l'avance», précise Erna Hennicot-Schoepges, membre de la délégation parlementaire. «Les deux délégations discutent séance tenante, explique cette ancienne ministre luxembourgeoise qui a déjà participé à des conciliations dans l'autre camp. Et le rapporteur négocie avec le Conseil pendant les interruptions entre deux réunions.»
Ces interruptions sont l'occasion de discussions de couloirs entre parlementaires et représentants du Conseil. Des rencontres informelles qui permettent de se renseigner sur les derniers points de blocage. Les membres de la RP approchent les eurodéputés pour que la position de la délégation parlementaire évolue dans le sens des intérêts français: «Nous discutons avec eux longtemps à l'avance car il ne faut pas attendre de miracle au moment du comité de conciliation, précise un fonctionnaire. C'est plus efficace avec les parlementaires français. Avec les autres nationalités, il est plus difficile de savoir si notre message est bien passé. En tout cas, mettre la pression sur les députés serait contre-productif.»

Le Parlement s'affirme

L'horloge affiche 23h45 dans les couloirs du bâtiment Spinelli. Finalement, les délégations du Conseil et du Parlement auront eu besoin de deux réunions pour parvenir à un compromis. Les derniers amendements qui posaient problème sont retirés, le comité de conciliation peut enfin commencer. Cette grand' messe rassemble l'ensemble des protagonistes de la soirée pour une ultime réunion qui tourne à la séance d'auto-congratulations et ne dure qu'une dizaine de minutes. «Dans les faits, le comité de conciliation ne fait qu'entériner l'accord obtenu plus tôt dans la soirée, explique un diplomate français. Les Etats et les députés qui étaient contre ne prennent pas la parole.»
Les présidents de chaque délégation rappellent les termes de l’accord. L'épilogue d'une longue soirée de négociations qui n'a pas manqué d'agacer certains représentants du Conseil: «Inspire n'a pas été un dossier où les parlementaires ont prouvé l'intérêt d'aller jusqu'en conciliation, persifle un diplomate français. Un tel projet aurait dû passer dès la première lecture.» Un eurodéputé n'hésite d’ailleurs pas à reconnaître que «la conciliation est une occasion pour le Parlement européen d'affirmer son pouvoir, sa force.»
Au Conseil de se faire une raison: les parlementaires sont prêts à aller jusqu'au bras de fer pour obtenir davantage.

Matthieu David

 

Numéro 1

A moins d’appartenir au sérail, son nom ne vous dit probablement rien. Pourtant, Pierre Sellal est un personnage clé de la politique européenne du gouvernement français. Depuis mai 2002, cet énarque né à Mulhouse, ancien directeur de cabinet d’Hubert Védrine aux Affaires étrangères, est le Représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne à Bruxelles. Sans doute le poste diplomatique le plus important: rien de moins qu’une sorte de vice-Premier Ministre pour les questions européennes, l’autorité politique exceptée. Nommé en Conseil des ministres pour une durée indéterminée, Pierre Sellal négocie, au sein du Coreper 2, les sujets des conseils Economie et Finances (Ecofin), Justice Affaires intérieures (JAI), et Affaires générales relations extérieures (CAGRE). Il supervise aussi les activités des 2OO fonctionnaires placés sous ses ordres. Tous les télégrammes de la RP portent sa signature.
Ses collaborateurs se disent impressionnés par sa capacité de travail et sa connaissance détaillée des rouages de la machine européenne. «Il a la mémoire et l’expérience. Des qualités essentielles pour exercer cette fonction délicate», constate un de ses collaborateurs. Ce communautariste du Quai d’Orsay, en effet, connaît bien la maison: il y a déjà été représentant permanent adjoint, avant de prendre la direction de la coopération européenne dans son ministère d’origine.
Son efficacité au Conseil fait la quasi-unanimité. Mais on lui reproche parfois de faire trop peu de cas du Parlement européen: «Il n’a rencontré la délégation PS que deux fois depuis 2004, alors que c’est la deuxième plus importante du PSE», déplore ainsi un eurodéputé français. Européen de conviction? Certainement, selon ce vétéran du journalisme bruxellois. Mais à ce détail près que «pour lui, la France a vocation à diriger cette Europe qui devient un peu n’importe quoi. C'est un européen convaincu, mais sans doute aussi un vrai souverainiste».

Matthieu David

La Représentation permanente

Créée en 1958
14, place de Louvain, Bruxelles
Effectif: 200 fonctionnaires

La Représentation permanente française, surnommée RP, est l’ambassade de la France auprès de l’UE. Composée de diplomates et de fonctionnaires, elle applique les règles du multilatéralisme pour défendre la position du gouvernement français au Conseil de l’Union. Situé en plein centre-ville de Bruxelles, son immeuble jouxte le Conseil, la Commission et le Parlement européen. A sa tête, Pierre Sellal, représentant permanent, porte le titre d’ambassadeur. Il est secondé par Christian Masset, représentant permanent adjoint. L’ambassadrice Christine Roger, responsable de la stratégie politique, civile et militaire, occupe un étage à part. En raison des compétences de plus en plus larges du Conseil, les fonctionnaires du Quai d’Orsay ne forment plus qu’une forte minorité de la RP. Tous les ministères concernés y sont présents. Chacun travaille sur les dossiers relatifs à son domaine d’expertise.

Négociateur et informateur

La mission de la RP: porter la voix de la France dans les négociations européennes. Elle relaie pour cela les instructions du Secrétariat général des Affaires européennes (SGAE). La RP travaille d’abord en amont des propositions de la Commission. Là, répartie entre les groupes d’experts, elle se renseigne sur les dossiers en germe, et prépare la négociation à venir. Une fois la proposition arrêtée, les conseillers RP entrent dans la phase de pré-négociation. Des groupes de travail prennent alors le relais. Réunis par secteurs, ils discutent de points techniques précis. Au sein de ces groupes, les Etats membres composent leurs intérêts, selon des formules qui varieront en fonction de la matière. Les alliances trouvées, ils multiplient les réunions informelles pour consolider leur camp. Le but est en fin de compte de parvenir au compromis. C'est le rôle de la présidence de le formuler.
Près de 90% des textes qu'adopteront les ministres se bouclent dans cette phase, qui peut durer plusieurs années. Ces travaux de groupe aboutissent, une fois par semaine, à l'un des Comités des Représentants permanents (Coreper). Les RP de tous les Etats membres s'y réunissent sous la direction d’un représentant permanent de l’Etat membre qui préside. Ils préparent les travaux du Conseil.
Il existe deux sortes de Coreper, qui se répartissent les neuf formations du Conseil. Le Coreper 1 traite, le mercredi matin ou deux fois par semaine, des activités communautaires (agriculture, marché intérieur, transport...). Le représentant permanent adjoint de la France, Christian Masset, y siège. Le Coreper 2 s’occupe des secteurs justice - affaires intérieures, économie et finances, et affaires générales et relations extérieures. Pierre Sellal y représente le gouvernement français tous les jeudis. Le Comité de politique et de sécurité (COPS) est chargé, lui, du contrôle politique et de la direction stratégique des opérations de crise. Christine Roger siège au moins une fois par semaine dans ce fief du ministère des affaires étrangères.
Ces trois comités préparent les travaux du Conseil. Ils règlent, de préférence par consensus, 9/10e des désaccords subsistant. Les conseillers de la RP constituent la principale source d’information, sur le terrain, du SGAE. Ils doivent connaître à tout moment l’état des négociations à Bruxelles, quel qu'en soit le domaine. Soignant leur carnet d’adresses, ils communiquent également avec les parlementaires nationaux et européens, les représentants des entreprises et des syndicats, les collectivités, les ONG, les journalistes, les chercheurs, et les Français travaillant au sein des institutions européennes. Leur lobbying auprès des députés européens prend désormais de l’ampleur, même s'il reste secondaire en comparaison de l’énergie dépensée au Conseil.

 

A la pointe de l'attaque

La Représentation permanente participe à Bruxelles au processus de décision dans toutes ses étapes, de la conception d'un texte européen à ses mesures d'exécution. Réunions, tête-à-tête, négociations, ajustements: toutes leurs activités s'y font calculatrice en main. Faire partie de la majorité est un point d’honneur, mais pas question de sacrifier les intérêts nationaux.

Un chargé de mission ministériel l'admet sur un ton confidentiel: «la RP a la maîtrise de tout: elle suit à la fois les négociations au Conseil et ce qui se passe au Parlement européen». «Nous sommes sur tous les fronts», confirme ce membre de la Représentation permanente française, récemment embarqué. Présent à Strasbourg au moment des plénières, il négocie à Bruxelles tout le reste de l’année. Dés les premiers frémissements d’initiative de la Commission, les éclaireurs de la RP investissent les groupes d’experts où elle teste ses orientations. Bloc-notes quadrillés en main: la cartographie des positions nationales y vaut déjà son pesant d’or. Puis en amont des neuf formations gigognes du Conseil, ils participent aux groupes de travail à 25 du Coreper. Là, ils amendent point par point la proposition de la Commission, toujours en sa présence. Enfin, une fois la législation adoptée, ils assistent avec autant d’assiduité aux comités, aussi nombreux, chargés d’approuver ses mesures d’éxécution. A raison de 4000 réunions par an, où rien n’est gagné d’avance, et dont le rythme s’accélère à l’approche de chaque échéance semestrielle. Sautant d’un rôle à l’autre, les soutiers de la RP française y appliquent une même règle de calcul: la pondération, engendrant pour eux d'incessantes opérations statistiques.Un imaginaire de feuilles de calcul Excel, pour virtuoses de la combinatoire.

Majorité qualifiée avant tout

Chaque conseiller français pèse 29 voix sur 321 au Conseil et 13,1% de la population européenne. Et chaque représentant des 25 pèse à ses yeux de son poids et de son pourcentage propre. Sur chaque point, la victoire obéit à la règle de la majorité qualifiée, version Nice. Elle requiert une coalition de 232 voix, et parfois, en plus, 60% de la population. Pour minimiser les pertes, une formule de repli: la minorité de blocage, qui pèse 90 voix. «Simplement en tenant tête, nous arrivons souvent à nous faire entendre», affirme pourtant un conseiller. La technique fonctionne certes dans les domaines embourbés dans l’unanimité, comme dans la politique extérieure. Dans tous les autres cas, il faut réussir à mûrir un compromis favorable, ce qui demande d’être attentif à ce qui intéresse les autres. Les conseillers consultent, sondent les positions de leurs homologues, qu’ils rencontrent de manière informelle. Ils identifient les oppositions, et cherchent à les éliminer une par une. Cela leur permet d’affûter leurs techniques de négociation.
Aujourd’hui, les coalitions sont souvent plus faciles avec les petits Etats membres nouvellement arrivés. Ils sont plus flexibles sur leurs positions, du fait de leur inexpérience européenne, et moins tributaires d’instructions. Mais leur poids ne suffit pas. La France, pour asseoir sa majorité, recherche avant tout le soutien du Royaume-Uni (29 voix) ou de l’Allemagne (29 voix). Traditionnellement leader d’un camp, elle est presque toujours accompagnée par l’Espagne (27 voix) et l’Italie (29 voix), avec lesquelles elle entretient des affinités historiques. Ce qui ne l’empêche pas de varier ses alliances au gré des dossiers. Dans l’Europe à 15, elle pouvait sans peine tirer son épingle du jeu sur les lignes budgétaires des politiques régionales. Les quatre DOM-TOM faisaient statistiquement partie des régions les plus défavorisées de l’UE, avec les Canaries (Espagne) et les Açores (Portugal, 12 voix). A 25, elles ne figurent plus parmi les plus mal loties. Et cessent d’être allocataires à ce titre.
Au cours de la présidence autrichienne (10 voix) au premier semestre 2006, elle a donc choisi de s’allier avec les pays nordiques, comme la Finlande (7 voix), pour balancer ce manque à gagner par une «allocation de compensation». Raison commune: l’isolement lointain des DOM, comme de la Laponie. Les unes et l’autre partagent le handicap naturel du climat, et la situation géographique ultra-périphérique. La tactique, trouvée en épluchant la stratégie de Lisbonne, s’est avérée gagnante ce semestre. Sous présidence finlandaise: DOM et Laponie se sont vu ouvrir une enveloppe budgétaire de substitution, au titre de la «compétitivité régionale et de l’emploi».
Quand le conseiller ne peut pas obtenir de majorité qualifiée, il se replie sur la minorité de blocage. Une solution qui le hérisse néanmoins : «Il est difficile pour un pays comme la France de se retrouver isolé, dans une UE qui cherche en permanence le compromis», explique un diplomate. Pour l’éviter, «il faut toujours miser sur deux terrains, pour limiter les chances de se retrouver seul», selon un autre. La RP française privilégie les contacts en marge des réunions formelles. Au cas par cas, elle organise des rencontres avec les délégations de son camp, où se scellent les pactes de majorité ou de minorité.

Sur deux tableaux

Si la combinaison échoue au Conseil, il reste un moyen de faire tout de même pencher la balance: l’appui du Parlement. Les contacts avec les députés à Bruxelles prennent une importance croissante. L’assistante d’une députée française témoigne de cette évolution: «Les membres de la RP se sont renouvelés, et leur méthode est plus dynamique. Depuis quelques années, nous les voyons beaucoup plus.» Avec les élargissements successifs, qui ne cessent de faire varier les seuils à atteindre, ces relations s’avèrent indispensables. «Nous discutons en permanence avec les députés. Quand nous n’arrivons pas à gagner au Conseil, il faut trouver un terrain d’entente au Parlement, et si possible avec le rapporteur. Nous avons pour les convaincre les ressources de notre expertise technique. C’est ce qui a permis de faire voter certains amendements de la directive Services», raconte un diplomate. Qui se compare à un «prestataire de services gouvernemental».
Ces tête-à-tête débouchent parfois sur des relations privilégiées. Des amitiés se nouent: «On sort, on se voit, on dîne... Certains deviennent de très bons amis», raconte ce même diplomate. Dans ce monde que les champions français vivent comme un tournoi perpétuel, les instructions de Paris, certes respectées dans le principe, sont parfois en décalage avec l'arithmétique communautaire.
La RP n’hésite pas, alors, à mettre en avant sa meilleure connaissance de la situation. «Nous sommes protéiformes, nous avons la géographie de toutes les positions en tête», affirme ce haut-fonctionnaire. Alors, obligation de résultat, oui, mais pas de moyens. Un autre confie, toujours sous couvert d'anonymat: «Les instructions reçues du SGAE dictent parfois des positions très franco-françaises. Dans ce cas, notre rôle est de leur donner un habillage communautaire, pour éviter le ridicule.» Et quand la situation évolue vite, le conseiller doit vérifier que sa formule de compromis reste acceptable pour la capitale, et assez ouverte pour ses partenaires. Ce qui passe par d’innombrables coups de téléphone avec le SGAE, et avec les RP des autres Etats-membres. Sans jamais oublier le drapeau, rappelle un diplomate chevronné: «La dimension communautaire compte, mais la dimension nationale prime toujours.»

Armelle Parion

 

Créé le 25 juin 1948, rebaptisé le 17 octobre 2005
Hôtel Matignon, rue de Varennes, Paris 7e
Effectif: variable

Une première : le 6 novembre, le comité interministériel sur l’Europe a été retransmis en direct sur Public Sénat. Au menu, la panne de courant européenne du 4 novembre, la directive sur le temps de travail (en cours de négociation), ainsi que la procédure ouverte par Bruxelles contre la France pour ses déficits excessifs. Depuis l’invention du petit écran, seuls la sécurité routière et le développement durable ont eu droit à un tel traitement. Créée à l’occasion du plan Marshall, cette instance d’arbitrage politique en dernier ressort a connu une existence à éclipses. Lionel Jospin en a fait usage régulièrement, pour cause de majorité plurielle. En juillet 2005, Dominique de Villepin l’a réveillée d’un long sommeil au lendemain du référendum.

La leçon du "non" au référendum

Depuis, le CIE se réunit une fois par mois. La secrétaire générale du SGAE, Pascale Andréani, et le représentant permanent à Bruxelles, Pierre Sellal, y sont présents. « Véritable outil de coordination politique », selon Dominique de Villepin, le Comité ambitionne « d’anticiper les enjeux à venir », de garantir un suivi politique des négociations européennes, de déterminer la position française et d’offrir la possibilité aux ministres de faire connaître leurs propositions. Dans les faits, le CIE est surtout un outil de communication. « Il marque notre volonté de tirer les leçons du 29 mai. […] Les Français demandent davantage d’explication, davantage de pédagogie, davantage de transparence sur l’Europe », a déclaré le Premier ministre à l’ouverture du 12ème CIE. Les décisions continuent de se prendre ailleurs.

Guillaume Guichard

Le décret Villepin du 17 octobre 2005

La rubrique Europe de Matignon

 

 

Au quotidien, le Secrétariat général aux affaires européennes fait constamment le lien entre Paris et Bruxelles, entre les ministères et la Représentation permanente.

1) Choisir qui est concerné par les documents de l’Union européenne
Une communication de la Commission sur la politique de voisinage avec l’Europe orientale et la Méditerranée, par exemple. C’est au secteur "Elargissement" du Secrétariat général des affaires européennes (SGAE), qui la reçoit par l’intermédiaire de la Représentation permanente (RP) française à Bruxelles, de choisir quels ministères sont susceptibles d’être concernés. Affaires étrangères, Justice, Economie et Finances, etc. : le chef de secteur ou l'adjoint l’envoie par courriel aux administrations sélectionnées. Souvent, le panel s’avère assez large. « Il n’existe plus beaucoup de ministères qui échappent à la sphère communautaire », constate Serge Guillon, secrétaire général adjoint.

2) Echanger avec l’avant-garde française à Bruxelles
L’essentiel pour comprendre les possibilités réelles de peser sur un texte, c’est de communiquer avec l’avant-garde sur le terrain. « Mes adjoints parlent avec les correspondants de la RP au moins dix fois par jour », souligne Florence Ferrari, chef du secteur Elargissement. Chacun passe une ou deux heures au téléphone avec son interlocuteur privilégié à Bruxelles, pour discuter des sujets qui passent dans les groupes de travail du Conseil. Sans compter les courriels. Les « bruits de couloir » qui parviennent aux oreilles de la RP apparaissent d’autant plus précieux pour le SGAE depuis l’élargissement de l’Union à dix nouveaux Etats membres en mai 2004. Les personnes à convaincre sont plus nombreuses, la pondération des voix a changé et le poids des nouveaux parlementaires dans le processus législatif doit être pris en compte. Les échanges informels en amont se multiplient à Bruxelles. Toutes ces informations concourent à définir la base de la ligne qui sera défendue plus tard de façon officielle.

3) Désigner un ministère « chef de file »
Pas toujours évident de désigner le ministère « chef de file », a priori le plus concerné par telle proposition de la Commission. Même si parfois deux « chefs de file » peuvent être désignés sur un sujet, comment déterminer par exemple celui d’une proposition de directive sur la reconnaissance des qualifications professionnelles ? C’est important car il peut peser un peu plus dans la négociation interministérielle, avant le Conseil. En général, c’est lui qui étudie l’impact du texte proposé sur le droit français. Il doit aussi prendre en compte ses effets potentiels sur les activités professionnelles, les collectivités locales... Leur consultation n’est pas vérifiée par le SGAE, mais pour les sujets sensibles, les chefs de secteur et les secrétaires généraux adjoints peuvent avoir des contacts informels avec des associations, des organisations syndicales et patronales, etc., pour recouper les informations des ministères. Ce qui fut le cas avec les notaires sur la directive services par exemple.

4) Définir une ligne
Dans le secteur Elargissement, qui traite l’une des priorités européennes de ce semestre, les ministères peuvent disposer de trois jours à quelques heures pour définir leur position initiale sur les projets de la Commission ou les compromis de la présidence. Une fois précisé ce qu’ils pensent de la proposition, le chef de secteur décide éventuellement de les réunir, notamment en cas de désaccord. Même si parfois certains ne répondent pas à l’invitation, décidant que le texte en question ne les concerne pas. « Pour la dernière réunion que j'ai présidée, on disposait d’une position consolidée et signée du ministère de l’Agriculture, moins formelle mais par écrit du ministère des Affaires étrangères, non écrite de Bercy, moins concerné par le sujet, raconte Florence Ferrari. J’ai réuni mes deux adjoints pour mettre en commun nos informations et voir la ligne vers laquelle on pouvait se diriger. » Le secrétaire général adjoint Serge Guillon résume: « Le SGAE doit définir des priorités de négociations, identifier ce qui pose problème, les points sur lesquels la France peut céder ou non… Parce que les ministères ont tendance à présenter tout comme prioritaire, ils n’ont pas de vision horizontale comme nous. »

5) Confronter
Représentation permanente et ministères La visioconférence est une manière d’instiller une culture du communautaire et du compromis dans l’administration française. Le système a des avantages, notamment pour le SGAE qui se trouve au cœur d’un réseau de contraintes. « Cette méthode de travail est intéressante pour tout le monde, affirme Lionel Rinuy, chef du secteur Espace judiciaire européen. Les experts parisiens s’informent sur le souhait de la présidence d’aboutir ou non sur tel texte, le contexte dans lequel une réunion a lieu, etc. Et les conseillers RP, moins spécialisés, car ils traitent par exemple à la fois du droit civil et du pénal, bénéficient de l’expertise de leurs collègues parisiens sur le sujet traité. » Ils entendent également les préoccupations des ministères, en direct.

6) Préparer les consignes de négociation
Après une réunion interministérielle, le projet d'instructions est en général rédigé par un adjoint du chef de secteur. Ces fiches indiquent l’objectif recherché par la réunion et suggèrent des arguments. Elles se divisent en général en deux parties : l’état du dossier, les « éléments de langage » à utiliser. Une relecture, éventuellement une confirmation par le secrétaire général adjoint, et le chef de secteur les envoie à la RP par courriel. Voire par téléphone juste avant la réunion, ou si elle a déjà commencé et que des précisions semblent nécessaires. « En sachant que dans la pratique, la RP est toujours en copie dans les échanges donc elle a une idée de ce à quoi vont ressembler les instructions», précise Florence Ferrari.

7) Les transmettre officiellement
Même si pour des sujets sensibles, la secrétaire générale Pascale Andréani peut relire les instructions, elles sont toujours signées par ses adjoints. Ceux-ci les envoient par télégramme diplomatique codé, dans une petite salle à l’accès réservé. « Ce degré de formalisme est nécessaire pour fixer la position française, et pour les archives », estime la chef du secteur Elargissement.

8) Obtenir un retour
Le jour même de la réunion du groupe de travail, du Coreper ou du Conseil, le SGAE reçoit le compte-rendu par courriel et par télégramme diplomatique. La RP l’écrit de manière hiérarchisée, avec beaucoup de précision. Celui-ci est également adressé au ministère des Affaires étrangères, avec copie aux postes diplomatiques et ministères concernés. Comme certains ministères n’ont pas l’habitude de recevoir des télégrammes diplomatiques, qui mettent parfois des jours à arriver au bon interlocuteur, le SGAE envoie par courriel à la personne qui suit le dossier les parties qui la concernent.

Jeanne Cavelier

 

Une journée à créer du compromis

Jeudi matin, Sandrine Gaudin reçoit comme d’habitude la revue de presse du centre d’information du Secrétariat général des affaires européennes, composée d’articles sur l’Union européenne (UE) et plus particulièrement sur la politique commerciale, son domaine. 9h30. Rendez-vous à la salle de réunion du 1er étage. Ses partenaires habituels sont là : des représentants du ministère de l’Agriculture, de l’Economie et des Finances, des Affaires étrangères. Et la Représentation permanente (RP), visible sur un écran depuis Bruxelles. Il s’agit de préparer le puissant comité 133, qui veille dans les négociations commerciales à ce que la Commission respecte le mandat donné par les Etats. C’est un représentant du ministère de l'Economie, flanqué d’un conseiller de la Représentation permanente, qui siégera demain à Bruxelles. La France veut faire entendre sa voix sur deux sujets : le dumping chinois et les discussions difficiles avec l’Inde et les Etats-Unis concernant le cycle de Doha à l’OMC. En une heure, les ministères tombent d’accord sur les amendements qui seront défendus par la délégation française au comité 133. A l’issue de la réunion, le projet d’instructions pour la négociation est rédigé, les amendements mis en annexe. En principe, ceux-ci sont présentés oralement, mais une version écrite sera donnée à la présidence finlandaise, pour lui faciliter le travail. Sandrine Gaudin envoie le tout par courriel aux ministères. Après une réunion de service, présidée à 11h30 par la Secrétaire générale Pascale Andréani, Sandrine Gaudin déjeune avec la conseillère juridique de l’ambassade de Suisse. Pour discuter des accords entre l’UE et son pays, et dissiper un malentendu : au même titre que ceux de l’UE, les ressortissants suisses ont accès à tous les concours de la fonction publique française.

Le blues des petits soucis

L’après-midi est ensuite ponctuée de soucis divers, entre deux dépêches d’agences de presse de son secteur et autres messages. D’abord, s’occuper des problèmes techniques survenus lors de la visioconférence du matin. Elle échange des courriels avec le service informatique, situé au rez-de-chaussée, pour qu’il les règle et qu’il produise un mode d’emploi plus clair. C’est d’autant plus important dans son secteur que les visioconférences se font simultanément avec les conseillers de la Représentation permanente à Bruxelles et avec celle de Genève, auprès de l’OMC. Elle doit aussi s’occuper du départ de l’un de ses adjoints, en janvier. Un coup de téléphone et rendez-vous est pris pour préparer son remplacement. Autre souci : le Parlement français doit être consulté sur une proposition de modification d’un accord entre l’UE et l’Argentine. Sandrine Gaudin souhaiterait que ce processus soit terminé avant le Conseil de lundi. L’Assemblée nationale n’a fait aucune objection, mais le texte n’a toujours pas été examiné par le Sénat, qui l’a inscrit à son ordre du jour de mardi prochain. Un coup de téléphone au secteur Parlements, qui règle le problème: le texte passe finalement demain. Sandrine Gaudin informe la Représentation permanente qu'elle peut rassurer la présidence finlandaise : le texte peut être mis à l’ordre du jour du Conseil. Si jamais le Sénat adopte quand même une résolution, le ministre la prendra en compte et pourra indiquer au Conseil qu’il a une déclaration à faire. Quelques coups de téléphone et courriels plus tard, elle constate qu’en vue de la réunion du comité 133 du lendemain, aucun arbitrage n’est nécessaire, les désaccords entre ministères ne concernent que des détails de formulation. Coordonner la position française a été aujourd’hui une mission aisée. La journée n’est pas terminée, le soir et sa relative tranquillité sont propices au travail sur le fond des sujets.

Pages