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Quatre niveaux de risque

« Il y a du bon et du mauvais dans l’IA. Certaines permettent de détecter les tumeurs cancéreuses, d’autres incitent à s’automutiler », alerte l’eurodéputée danoise Christel Schaldemose (S&D, sociaux-démocrates). La nouvelle législation établit quatre niveaux de dangerosité : minime, limité, élevé et inacceptable. Les IA qui rentreront dans la dernière catégorie seront interdites. C’est le cas des systèmes de notation sociale ou des programmes qui visent à manipuler le comportement humain. 

Contre l’avis initial du Parlement, les États membres ont finalement obtenu des exceptions à l’interdiction de la surveillance de masse par des caméras à reconnaissance faciale dans les lieux publics. Celles-ci concerneront la recherche de certaines victimes ou suspects et la prévention des attentats terroristes. Une concession accordée aux forces de l’ordre que regrette la Fédération européenne de défense des droits numériques (EDRi), qui s’en est inquiétée en décembre 2023 : « Ces exceptions ouvrent la voie à une utilisation dangereuse, discriminatoire et de surveillance de masse. »

Les IA qui représentent un risque élevé, comme celles gérant les ressources humaines, l’accès aux services essentiels (crédit bancaires, services publics, prestations sociales…) devront aussi se soumettre à des exigences de transparence. L’objectif est d’éviter toute discrimination fondée sur le genre, l’origine sociale ou raciale. Selon l’eurodéputé italien Brando Benifei du parti des sociaux-démocrates, « certaines IA éliminent les personnes non blanches quand il s’agit de choisir les CV. »

Les intelligences artificielles à usage quotidien comme ChatGPT ne sont pas exclues de l’exigence de transparence. Les entreprises devront publier une liste suffisamment détaillée des contenus qui nourrissent leur logiciel. Les créateurs pourront ainsi plus facilement faire valoir leur droit d’auteur quand leur production sera utilisée dans la base de données. Toutes les productions générées par une IA devront être mentionnées comme telles grâce à un marqueur numérique, afin de limiter l’impact des deepfakes, les vidéos truquées.

En cas de non respect des règles relatives aux pratiques prohibées, les sanctions pourront aller jusqu’à 35 millions d’euros ou 7 % du chiffre d’affaires. 

« C’est historique : l’Europe a mis sur pied la première réglementation de l’intelligence artificielle au monde », se félicite Thierry Breton, commissaire européen au Marché intérieur. Le mercredi 13 mars, le Parlement européen a adopté à une large majorité "l’IA act". Cette législation protège les droits fondamentaux des citoyens. Elle exige plus de transparence des logiciels et algorithmes entraînés par l’Homme, qui sont en mesure de générer des contenus de manière autonome.

Proposée en 2021 par la Commission, "l’IA act" inquiétait : quid de l’innovation européenne qui risquait d’être freinée par les réglementations ? Cette tension entre sécurité et progrès technologique a dominé les négociations pendant de longues années. Les États membres, soucieux de protéger leurs intérêts nationaux, et les groupes politiques du Parlement sont finalement parvenus à un compromis entre la protection des droits humains et l’innovation européenne en matière d’IA. Sans précédent législatif, trouver cet accord n’a pas été une mince affaire. Les intelligences artificielles sont nouvelles, et le secteur évolue à vitesse grand V.

ChatGPT, qui rentre dans la catégorie des IA à usage général, doit répondre à des règles de transparence © Elsa Rancel

[ Plein écran ]

Le Parlement européen souhaite mieux réglementer la mention « neutre en carbone » ©  Paul Ripert

Le Parlement européen a adopté le mercredi 13 mars une première législation européenne sur l’intelligence artificielle (IA). Elle cherche à trouver un équilibre entre la protection des droits fondamentaux des citoyens sans freiner le développement de ce secteur en pleine évolution.

L’IA pour le meilleur et pour le pire

15 mars 2024

L’IA pour le meilleur et pour le pire

La première législation européenne sur l'intelligence artificielle a été adoptée le mercredi 13 mars.

Le permis unique de travail et de séjour gagne en souplesse

Le Parlement a adopté des règles renforcées sur le permis unique de séjour et de travail. Ce titre garantit un ensemble de droits communs et une procédure administrative unique aux personnes de pays tiers souhaitant séjourner et travailler dans l’Union européenne (UE).

L’une des principales nouveautés est la réduction du délai maximum de réponse à une demande de permis. De 120 jours, il passe à 90, voire 45 si la demande est faite dans le cadre d’un partenariat mis en place par l’UE avec un pays tiers pour attirer des talents, ou si le demandeur est déjà détenteur d’un permis unique dans un autre État membre. Plus de souplesse, aussi : en période de chômage, les titulaires du permis bénéfieront désormais de trois mois (ou six, s’ils sont détenteurs du permis depuis plus de deux ans) pour trouver un nouvel emploi sans risquer l’expulsion. La période pourra être étendue sur décision des États, ou dans certains cas comme des conditions de travail “particulièrement abusives”.

« Tout le monde sera gagnant », affirme l’eurodéputé Javier Moreno Sánchez (S&D, sociaux-démocrates). Selon lui, « il sera plus facile pour les travailleurs des pays tiers de se rendre régulièrement en Europe et pour nos entreprises de trouver la main d’œuvre dont elles ont besoin. » La refonte, qui a reçu un large soutien dans l'hémicycle à l’exception des groupes ECR (conservateurs) et ID (extrême droite), doit désormais être approuvée par les États membres. En cas d’accord, ceux-ci auront encore deux ans après l’entrée en vigueur de la directive pour la transposer dans leurs lois nationales.

Marie Starecki
 

Une marge de manoeuvre pour les États

La directive est toutefois encore loin d’être mise en application. Il revient désormais aux États membres de prendre position sur la version du Parlement. Quoi qu’il en soit, ils auront toujours la possibilité de refuser la circulation de certains types de véhicules sur leur territoire. Le ministre des transports, Patrice Vergriete, a d’ailleurs confirmé l’opposition de la France aux méga-camions et son engagement en faveur du fret ferroviaire.

Une position que regrette le secteur français du transport routier à l’image de la FNTR (Fédération Nationale des Transports Routiers). « On se prive sans doute d’un atout non négligeable par rapport à nos voisins européens », regrette sa déléguée permanente à Bruxelles, Isabelle Maître, qui aimerait que le gouvernement fasse preuve de pragmatisme en autorisant des tests au cas par cas. « Les politiques ont peur que cela fasse de la concurrence au fret ferroviaire alors que notre objectif c’est d’être complémentaire », estime-t-elle. 

Gustave Pinard et Ismérie Vergne

 

Des pays récalcitrants

Dépassant les groupes politiques, les oppositions au texte témoignent aussi de sensibilités nationales différentes. Les eurodéputés français ont rejeté le texte en masse (69 contre, seule Irène Tolleret de Renew a voté pour) tandis que leurs homologues allemands et italiens se sont divisés. La géographie explique en grande partie ces positions nationales. Si les pays en périphérie, comme la Suède, l’Espagne ou la Roumanie sont favorables, ceux de transit, comme la France ou l’Allemagne sont plutôt contre. Ils seront les plus exposés à l’usure et aux obligations de réaménagements. Les ronds-points, tunnels, chaussées, devront être entretenus plus régulièrement. Un coût important pour les collectivités. En Italie, l’effondrement du pont de Gênes qui a fait 43 morts en 2018 est encore dans les esprits. Les opposants aux méga-camions mettent aussi en avant leur dangerosité. Les géants des routes ont une distance de freinage plus importante en raison de leur poids et sont, par leur taille, plus difficiles à doubler et à manœuvrer.

Les écologistes montent au créneau 

Si les eurodéputés ont adopté les nouvelles règles à une assez large majorité (330 pour, 207 contre), à la gauche de l’hémicycle, ceux des groupes Les Verts et The Left (gauche) s’y sont fermement opposés. À leurs yeux, la révision serait « contreproductive » car la hausse du poids maximal profiterait surtout aux camions diesel jusqu’à leur interdiction en 2035. « On ouvre la porte à de plus gros pollueurs sur nos routes. Qui peut sérieusement imaginer que des camions de 60 tonnes nous permettront de réduire les émissions de CO2 des poids lourds de 90 % d’ici 2050 [comme le prévoit le Pacte vert européen] ? », a réagi à l’issue du vote l'eurodéputée française Karima Delli (Les Verts, écologistes), présidente de la commission Transports. Son amendement visant à interdire les camions diesel de plus de 40 tonnes a été rejeté. « On se demande de quel côté du cerveau de la commission on est. Celui qui défend le marché intérieur ou le Pacte vert ? », s’interroge faussement son homologue français Pascal Durand (S&D). En abaissant le coût du transport et donc celui du prix de vente des marchandises, les ambitions écologiques seraient sacrifiées au nom de la compétitivité.

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