Deux tiers des détenus sont endettés selon un rapport réalisé par Emmaüs et le Secours catholique. Ces créances, contractées à l’extérieur, comme les sanctions économiques entravent la réinsertion.
« Je me remets toujours en question en me demandant, qu’est-ce que j’ai mal fait ? Peut-être que si j’avais fait ça comme ça les choses se seraient passées différemment… » Chloé dit pouvoir « comprendre » l’irritabilité de certains patients. « C’est presque une forme de maltraitance envers eux, il nous faudrait plus de temps à leur accorder », souhaite-t-elle.
Déborah Ridel l’a constaté lors d’une enquête ethnographique menée de 2016 à 2018 dans deux services d’urgence d’hôpitaux du nord de la France. « Les deux choses principales qui vont à l’encontre des valeurs d’hospitalité et d’accueil inconditionnel que les soignants donnent à leur travail sont : la violence des gens comme vous et moi, et la violence que les soignants pensent infliger à leurs patients. »
« Le problème vient du manque de moyens et de personnels »
Valérie, Annick, Farah, Sabine, Chloé, Florent sont unanimes. A la question « Que faire pour que la violence des patients sur les soignants diminue ? », ils répondent en chœur : « Plus de bras ! ». Augmenter les effectifs permettrait selon eux une meilleure prise en charge en libérant du temps pour expliquer, discuter, humaniser les soins.
Mais c’est la réponse sécuritaire qui prédomine aujourd’hui dans les politiques publiques. Un « pansement sur une jambe de bois », selon Déborah Ridel. « Le problème vient d’un déficit de moyens, d’un manque de personnel. La meilleure façon de réduire les violences, c’est la parole. » Et pour parler, il faut du temps. Invitée à la concertation gouvernementale cette semaine, la sociologue a fait entendre sa voix. La ministre Agnès Firmin Le Bodo a annoncé « un plan d’action pour ceux qui nous soignent avant l’été ».
Louise Llavori
Édité par Baptiste Candas
« Quand c’est des gens comme vous et moi, c’est plus pesant », admet Chloé. Au cours de sa scolarité, l’infirmière berrichonne a effectué un stage aux urgences, troisième service déclarant le plus de violences à l’échelle nationale en 2021 selon l’ONVS, après la psychiatrie et la gériatrie. « Je vais donner un exemple banal : je faisais des soins dans un box à l’écart et un autre patient est entré, impatient. Je lui ai demandé de sortir et il m’a insultée, puis est allé se plaindre de moi à mes collègues. »
Les insultes et menaces sont devenues quotidiennes aux urgences selon Florent Cretin, responsable CFDT aux Hôpitaux Universitaires de Strasbourg et ancien personnel hospitalier. Chargé de la collecte des déchets, il est « beaucoup, beaucoup intervenu dans les milieux de santé ». « Aux urgences, ça démarre par une grosse animosité. Les gens pensent être pris en charge immédiatement à leur arrivée, que ça va être rapide. » Mais les délais sont parfois longs et incertains, provoquant colère et impatience. « Aux urgences pédiatriques de Hautepierre, des parents avaient fini par briser la vitre en verre sécurisé du poste d’accueil », se souvient Florent.
Un problème systémique
« Les urgences ont un rôle particulier de coordinateur entre la médecine de ville et la médecine hospitalière », avance Déborah Ridel. La sociologue et chercheuse à l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique de Rennes est l’autrice d'une thèse sur la violence subie par les soignants aux urgences.
Elle poursuit : « Elles sont prises en étau entre ces deux entités, qui sont elles-mêmes en souffrance. Un patient n’est jamais agressif pour rien. C’est la résultante d’un processus : inquiétude générée par la situation, coup de fil au généraliste qui se passe mal, renvoi vers un généraliste à l’arrivée aux urgences,… » Un problème systémique donc, aux conséquences très réelles sur les soignants.
Sans verve ni verbe, Agnès Firmin Le Bodo se fend d’un message laconique sur Twitter : « Lancement ce jour de la concertation nationale sur les violences faites aux professionnels de santé avec leurs représentants. » La ministre déléguée chargée de l'Organisation territoriale et des Professions de santé honore jeudi 16 février une promesse faite à l’automne.
Elle suivait la parution du rapport 2022 de l’Observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS), qui recensait alors 24.562 professionnels victimes d’agression physique ou verbale en 2021. Dans une enquête Odoxa également parue à l’automne, ils étaient 37 % des personnels de santé interrogés à déclarer être « souvent » confrontés à l’agressivité physique de certains patients.
« 37 % ? Franchement ça ne m’étonne pas, je m’attendais à plus », répond du tac au tac Chloé, infirmière dans un établissement médical privé de l’Indre. La soignante de 23 ans travaille aujourd’hui dans un service plutôt épargné par la violence des patients, bien qu’il n’en soit pas exempt. « La semaine dernière encore, un patient dément a voulu lever la main sur moi. Il souhaitait bouger son bras alors que c’était dangereux pour lui. Je lui ai interdit et il m’a serré très très fort le poignet. »
Des patients souffrant de troubles psychiques dans 20 % des cas
Dans les soins hospitaliers, une partie de la violence provient de patients souffrant de troubles psychiques ou neuropsychiques (TPN). C’est en moyenne 20 % des atteintes aux personnes recensées en 2021 par l’ONVS. Sabine, aide-soignante au centre hospitalier de Molsheim, se souvient de cette patiente âgée qui l’a mordue à la poitrine alors qu’elle l’installait dans son fauteuil roulant. « Sur le moment, j’ai eu mal, et puis c’est véridique : elle avait 100 ans et encore ses vraies dents ! » La professionnelle de santé en rit de bon cœur aujourd’hui. Comme Chloé, elle excuse plus facilement ces violences « non volontaires ».
Le syndicats et manifestants strasbourgeois ont repris le pavé jeudi 16 février, pour cette cinquième journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Avec un nouveau motif de mécontentement, qui vient s’ajouter à longue liste de doléances qui les opposent au gouvernement : la polémique récente autour des 1200 euros de pension minimum, promise par le l’exécutif et critiquée de toutes parts.
Dans les faits, le gouvernement entend agir sur le dispositif appelé minimum contributif (« mico » en abrégé) qui garantit aux petites retraites une pension minimum. La réforme doit rehausser ce mico de base ainsi que le « minimum contributif majoré » qui s’y ajoute en complémentaire, pour atteindre le vieil objectif de la loi de 2003. Celle-ci accordait à un salarié « un montant total de pension [...] au moins égal à 85% du smic ». Objectif qui n’a jamais réellement été atteint depuis.
Trop peu de bénéficiaires
Au sein du cortège strasbourgeois, sous les drapeaux et les fumigènes, lorsqu’on fait mention de ce « minimum de pension » promis par le gouvernement, le constat est sans appel : « il y a très, très peu de retraités qui vont bénéficier de ces 1200 euros », tempête Claudine, retraitée de la fonction publique aux cheveux grisonnants et grandes lunettes rondes. « Il faut avoir eu une carrière complète, au smic, à temps plein, donc ça ne concerne presque personne. Alors qu’ils ont dit que tout le monde allait l’avoir ! »
Dans ses dernières prises de parole, l’exécutif, par la voix de la Première ministre Elisabeth Borne, avait en effet laissé entendre que tous les retraités seraient concernés par cette hausse. Une déclaration qui a depuis été contestée par des économistes (l’intervention de Michael Zemmour au micro de Léa Salamé sur France Inter a abondamment été reprise par les réseaux sociaux et l’opposition) et plusieurs médias.
Pour bénéficier de la mesure, il faudrait avoir une carrière complète, le nombre requis de trimestres cotisés et une pension de base inférieure à 847 euros. Des caractéristiques qui ne concernent qu’une partie réduite des retraités actuels et retraités à venir. « On se sent arnaqués, le gouvernement se moque du monde », renchérit Claudine. Ils ont balancé cette histoire de 1200 euros en espérant qu’on n’aille pas chercher plus loin et qu’on les croie sur parole. Ils se moquent des gens ! »
Entre imprécisions et incompréhensions
La complexité de la mesure, associée à la communication évasive et imprécise du gouvernement, a déchainé les foudres de l’opposition, au Parlement comme dans la rue. Les voix qui s’élèvent pour la critiquer fustigent le flou entretenu, consciemment ou non, par l’exécutif autour des détails de la réforme. « C’est une fumisterie. Quand on décortique un peu, qu’on creuse un peu derrière, on se rend compte que c’est quelque chose qui est complètement vague, y’a rien », déplore Lucienne, en tête de cortège avec l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA).
La mesure devrait néanmoins profiter à d’autres salariés, qui n’étaient jusque-là pas concernés par la loi de 2003. C’est notamment le cas de ceux aux carrières hachées, qui devraient bénéficier de la hausse du mico et donc voir leurs pensions augmenter – sans toutefois s’approcher des 1200 bruts promis par l’exécutif.
Chez les manifestants, cette distinction ne change pas grand-chose aux sentiments qu’on voue au gouvernement. Pour les métallurgistes membres de la CGT, en cœur de cortège, « c’est une cale, comme on dit dans le milieu. Ça ne vaut rien. » Cette histoire de 1200 euros n’est qu’une raison de plus de continuer à pousser pour le retrait de la réforme.
Isalia Stieffatre