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Lorsqu’on retrouve Ivan le soir même, il semble beaucoup plus en confiance. Sa langue se délie quand vient le sujet de cette rencontre à Moscou. « C’est une trahison », commente-t-il en grimaçant. Le jeune homme nous accompagne dans les sous-sols de l’université. C’est ici que se tient le plénum de la faculté de théologie. La réunion débute par une prière. Les étudiants présents soutiennent le mouvement et partagent le sentiment d'Ivan. « Le patriarche n’est pas un pape, il n’a pas le même pouvoir. Nous ne sommes pas obligés de suivre tout ce qu’il dit », explique une étudiante serbe. « Nous pensons faire la bonne chose en tant que citoyens serbes mais aussi en tant qu’orthodoxes », renchérit un autre. Sont présentes une vingtaine de personnes, bien moins qu’aux débuts des protestations. L’un d’eux déplore que « face aux menaces, certains n’ont pas voulu s’engager dans le mouvement. » D’autres ont préféré quitter la formation.
Une « trahison du peuple »
Depuis le début de leur engagement, le 13 décembre 2024, les étudiants en théologie sont victimes de nombreuses intimidations. Elles vont de la tentative de corruption de la part d’opposants au blocage aux menaces de suppression de bourses d’études. La plus impressionnante : se voir retirer, par un métropolite (équivalent des évêques), sa bénédiction nécessaire pour étudier à la faculté de théologie. Difficile de définir l’origine de ce chantage. Simple bluff d’étudiants opposés aux manifestations sans pouvoir de décision, ou réelles menaces d’évêques zélés ? Quoi qu’il en soit, ces pressions pèsent sur la mobilisation**.
L’engagement est d’autant plus difficile que la faculté publique, composante de l’université de Belgrade, fait l’objet d’une reprise en main par l’Église orthodoxe depuis 2017. « Dix-sept professeurs ont été licenciés en moins de dix ans, pour avoir exprimé des idées libérales et anti-autoritaires », rappelle Miloš Jovanović, sociologue des religions à l’université de Niš. Des démissions qui concernaient surtout des enjeux de gouvernance de la faculté ou des divergences pédagogiques. Mais récemment, ce sont deux enseignants qui ont été “écartés” après avoir exprimé leur solidarité avec les mobilisations. Contacté, l’un des professeurs démissionnaires explique « ne pas être prêt à parler de ce sujet et vouloir passer à autre chose » avant de préciser qu’il « continue de soutenir les étudiants ».
En Serbie, la religion garde une place importante chez les jeunes. Selon une enquête menée par la Fondation Friedrich-Ebert en 2019, parmi les Serbes de 14 à 29 ans interrogés, seulement un sur dix affirmait que Dieu n’avait aucune importance dans sa vie. Une déclaration qui ne s’accompagne pas toujours de pratiques religieuses régulières. Miloš Jovanović explique cette plus grande ferveur que celle des générations précédentes par la fin du « régime socialiste laïc » de la Yougoslavie.
À Niš, un groupe d’étudiants a ainsi écrit une lettre ouverte en réponse à la visite du patriarche à Moscou. Sa « trahison du peuple » y est comparée à celle de « Jésus par Judas ». « La phrase du patriarche nous a heurtés, affirme Anđela, l’une des autrices du texte. On a ressenti le besoin de le contredire. » Sans entrer dans une opposition avec l’Église pour autant : « On aimerait qu’ils nous soutiennent, puisque nous luttons pour la justice, sans violence. Ce sont les valeurs de l’orthodoxie ! »
Un système privé luxueux d'un côté, un secteur public sous-financé de l'autre. En Serbie, le système de santé crée des inégalités dans la société. Et la corruption ne fait qu'empirer les choses.
Des étudiants victimes d’intimidations
Le patriarche Porfirije, chef de l'Église orthodoxe serbe, a dans un premier temps ignoré les manifestations massives dans le pays. Les étudiants l’ont appelé plusieurs fois à soutenir le mouvement, en vain. La langue de bois et le semblant de neutralité du patriarche volent en éclats le 22 avril, lors d’une rencontre entre Porfirije et Vladimir Poutine, à Moscou. Devant le président russe, il parle d’une « révolution de couleur ». La formule, qui désigne les mouvements de protestation prétendument orchestrés par les États-Unis dans des États anciennement communistes, résonne particulièrement en Serbie. La chute de Slobodan Milošević en 2000 est considérée comme la première “révolution de couleur”. À Moscou, Porfirije reprenait cette rhétorique, estimant que « les centres de pouvoir en Occident refusent de favoriser l’identité du peuple et de la culture serbes » et seraient derrière la mobilisation.
Lorsqu’on retrouve Ivan le soir même, il semble beaucoup plus en confiance. Sa langue se délie quand vient le sujet de cette rencontre à Moscou. « C’est une trahison », commente-t-il en grimaçant. Le jeune homme nous accompagne dans les sous-sols de l’université. C’est ici que se tient le plénum de la faculté de théologie. La réunion débute par une prière. Les étudiants présents soutiennent le mouvement et partagent le sentiment d'Ivan. « Le patriarche n’est pas un pape, il n’a pas le même pouvoir. Nous ne sommes pas obligés de suivre tout ce qu’il dit », explique une étudiante serbe. « Nous pensons faire la bonne chose en tant que citoyens serbes mais aussi en tant qu’orthodoxes », renchérit un autre. Sont présentes une vingtaine de personnes, bien moins qu’aux débuts des protestations. L’un d’eux déplore que « face aux menaces, certains n’ont pas voulu s’engager dans le mouvement. » D’autres ont préféré quitter la formation.
Pas le moindre bruit, pas d’étudiants qui gardent l’entrée, cigarette à la bouche. La faculté de théologie de Belgrade vit dans un univers parallèle, loin des sifflets et blocages universitaires. L’édifice en brique rouge sonne creux. Sacoche en bandoulière et veste grise, Ivan* est presque seul dans le hall. Dans un anglais approximatif, l’étudiant en troisième année fait mine de présenter l’université à deux visiteurs français. Dans le même temps, il sort son téléphone et jette un coup d'œil par-dessus son épaule. Puis, il pianote sur Google Traduction : « La grande majorité des élèves d’ici soutient les manifestations, mais ils ne vous le diront pas. »
La faculté qui accueille d’ordinaire 500 étudiants n'est pas bloquée, mais ses cours sont annulés. « On veut que tout le monde puisse continuer à accéder à l’église dans l’enceinte de la faculté », écrit-il sur son téléphone. Il demande de le retrouver en fin d’après-midi pour parler loin des oreilles indiscrètes. Dans un pays où 81 % de la population se déclare orthodoxe, ils sont beaucoup comme Ivan, à être dans une situation délicate depuis le début des protestations. Les fidèles mobilisés sont en rupture avec les plus hautes instances de l’Église, qui ont fait savoir leur opposition au mouvement.
Des étudiants victimes d’intimidations
Le patriarche Porfirije, chef de l'Église orthodoxe serbe, a dans un premier temps ignoré les manifestations massives dans le pays. Les étudiants l’ont appelé plusieurs fois à soutenir le mouvement, en vain. La langue de bois et le semblant de neutralité du patriarche volent en éclats le 22 avril, lors d’une rencontre entre Porfirije et Vladimir Poutine, à Moscou. Devant le président russe, il parle d’une « révolution de couleur ». La formule, qui désigne les mouvements de protestation prétendument orchestrés par les États-Unis dans des États anciennement communistes, résonne particulièrement en Serbie. La chute de Slobodan Milošević en 2000 est considérée comme la première “révolution de couleur”. À Moscou, Porfirije reprenait cette rhétorique, estimant que « les centres de pouvoir en Occident refusent de favoriser l’identité du peuple et de la culture serbes » et seraient derrière la mobilisation.
En Serbie, le patriarche de l’Église orthodoxe s’est exprimé contre les manifestations anti-corruption en cours dans le pays, accusant les Occidentaux d’en être à l’origine. Dans un pays où l’écrasante majorité de la population se déclare orthodoxe, cette prise de position déçoit dans les cortèges.