Le module est validé, il peut être inséré dans un article pour être consulté par les internautes.
172 millions d'euros de fonds spéciaux débloqués par l'Etat du Maharashtra.
11 801 villages officiellement déclarés en état de sécheresse en mars 2013.
100 000 têtes de bétail, pour le seul district de Beed, regroupées dans 75 camps subventionnés.
2280 camions citernes fournissent de l’eau potable gratuite aux territoires affectés.
Seuls ou en famille, ils ont quitté leurs terres asséchées. Depuis janvier, 400 000 personnes seraient arrivées à Pune, deuxième ville du Maharashtra.
Les bus colorés défilent dans un vacarme assourdissant, saccadé par les coups de sifflets des contrôleurs. ll est 17h au terminal de Shivajinagar, gare routière de Pune où débarquent les voyageurs en provenance du Marathwada, région dévastée par la sécheresse qui frappe le Maharashtra.
Une main d’œuvre à prix imbattable
« Ils sont de plus en plus nombreux », assure Ranesh D. Sawant, responsable de la station de bus de Swargate. Il voit régulièrement arriver des familles originaires d’Aurangabad, Beed, Jalna, Latur, Nanded, Parbhani, Usmanabad, districts touchés par le manque d’eau. « La sécheresse actuelle est plus dure que celle de 1972, assure l’avocat Bastu Rege, responsable de Santulan, une organisation de travailleurs sociaux qui aide les migrants en difficulté. La vague des migrants récents vient s’ajouter aux migrants d’alors, toujours entassés dans les taudis depuis 40 ans. Il n’y a plus de place pour les accueillir. » Il estime à près de 400 000 ceux qui sont arrivés à Pune cette année. Un chiffre impossible à vérifier car les migrants ne sont pas enregistrés par la municipalité.
Sans structure d’accueil, les plus nombreux vivent dans la rue. Les chanceux deviennent domestiques ou journaliers dans la construction, affectés aux chantiers de peinture, de drainage, de charpenterie. Pour trouver ces emplois, ils se massent tous les matins à l’aube sur les « marchés au travail » où les camions d’entreprise viennent ramasser une main d’œuvre à un prix imbattable.
Le pont de Dandekar est l’un de ces points d’embauche. Rahul Sonawane, président local du Bhartiya Majdur Sangha, un des plus grands syndicats indiens, affirme qu’ils sont entre 400 et 500 à s’y rassembler chaque matin, soit 100 à 200 de plus qu’en temps normal. « Mais avec la mousson qui arrive, de plus en plus restent sur le carreau car on entre dans la période creuse pour le travail », explique-t-il.
En plus de son rôle de médiateur entre travailleurs et employeurs, Rahul Sonawane gère ici un abri qui accueille entre 40 et 50 migrants par nuit. Deux murs coiffés d’une tôle. Ce soir, à 21h30, ils sont une dizaine, venus de Jalna, Satara et Solapur, à partager un canapé éventré et deux chaises posés sur la dalle de béton qui leur servira tout à l’heure de sommier. A la lueur d’une ampoule, ils évoquent ces deux hommes arrivés la veille, à moitié morts de soif après trois jours de voyage et émerveillés par l’abondance en eau de la ville. Demain matin, comme tous les jours, ils chercheront à se faire embaucher à quelques mètres d’ici. Seule la moitié d’entre eux auront la chance de recevoir un salaire pour la journée. Les autres se débrouilleront pour vendre des ballons, louer leurs bras à la pièce, ou devront se résoudre à ne pas manger.
Lisa Agostini, Jessica Trochet
On compare souvent la terrible sécheresse que connait cette année le Maharashtra à celle de 1972, la pire de son histoire. Mais ses causes comme ses effets paraissent très différents.
« Toutes les cultures étaient brûlées. 1972 a été un gros choc pour nous », se souvient Balasabeh Gawde, ancien chef du village de Gawadewadi. Si le vieil homme mentionne ce traumatisme ancien, c’est parce qu’il est régulièrement évoqué à propos de la sécheresse qui affecte le pays depuis des mois, suite à une mauvaise mousson, et qui culmine en ce mois de mai.
Cependant, « les effets de la sécheresse de 2013 sont différents», analyse Parag Lakade, directeur de la société Gangotree, spécialisée dans l’ingénierie civile et l’environnement. « En 1972, ce sont les cultures qui ont été touchées, il y avait assez à boire pour tous, mais pas assez de nourriture. Les prix se sont envolés et les habitants n'avaient pas les moyens d'acheter à manger. En 2013, c’est l’eau qui manque, plus que la nourriture. Celle que l’on boit et celle que l’on utilise pour les cultures et le bétail. » A Gawadewadi, qui a bénéficié de l’action d’une organisation non gouvernementale (ONG) pour améliorer sa conservation de l’eau et se trouve relativement protégé contre la sécheresse, les éleveurs constatent une baisse du prix de leur lait, due à un fourrage de mauvaise qualité. La faute au manque d’eau.
Pourtant, si les précipitations de la mousson de 2012 ont bien été mesurées comme sensiblement inférieures à la moyenne, elles n'ont pas, dans le Maharastra, été plus faibles qu’il y a quarante ans. Première explication avancée à la pénurie de 2013, l’accroissement des besoins en eau de cet Etat est indexable sur le doublement de sa démographie : 50,4 millions d’habitants en 1971 et 112 millions en 2011, selon le dernier recensement.
364 milliards de mètres cubes d’eau perdus par évaporation
Beaucoup contestent cette imputation à une causalité simplement "naturelle". L’ONG South Asia Network on dams, rivers and people pointe d'abord du doigt les errances de la gestion de l’eau. Elle reproche aux gouvernements successifs d’avoir trop misé sur les gros barrages de retenue, construits à tour de bras après 1972, qui s’avèrent propices à l’évaporation. Pour le pays, le 12e plan (2013-2017) évalue les pertes d’eau par évaporation à 364 milliards de mètres cubes par an.
Parag Lakade relève, lui, un autre point noir : l’irrigation a trop peu progressé. La surface de terres irriguées est passé de 17,8% des zones cultivées en 2001 à 17,9% en 2011, soit un peu moins de 200.000 hectares. « Si ces surfaces irriguées ont si peu augmenté, malgré des investissements publics considérables, c’est parce que les plans sont décidés en dépit des préconisations techniques. » Il met aussi en avant l’usage incontrôlé de la nappe phréatique, encouragé par de nouvelles techniques de forage et par le subventionnement de l'électricité ou du carburant qui alimente les pompes.
Deuxième train d'arguments avancé par les contestaires : le choix de promouvoir des cultures excessivement consommatrices. La surface des exploitations dédiées à la canne à sucre, la plus gourmande en eau, a plus que sextuplé. Évaluée à 167 000 hectares en 1972, elle atteint 1 022 000 hectares en 2012. Une expansion que l’écologiste indienne Vandana Shiva attribue à la politique de la Banque mondiale. Après 1972, celle-ci a conditionné ses prêts aux projets de conservation et d'irrigation du Maharastra à une augmentation de la productivité des cultures de rente. La Banque mondiale n'a cependant jamais encouragé le gaspillage de l'eau.
Des mesures d'intervention au jour le jour
Pour faire face à la menace de mort qui pèse sur la vie des hommes et du bétail, le gouvernement multiplie les mesures d'urgence, recensées dans le plan de gestion de crise du ministère de l'agriculture (voir ci-contre), mais cette politique au jour le jour, certes utile, s'avère de plus en plus dispendieuse. « Les pouvoirs publics vont être obligés de chercher des solutions à long terme, constate Parag Lakade. Sinon la situation ira en s'aggravant dans les années qui viennent. »
Lisa Agostini, Yves Common, Jessica Trochet
Les habitants des quartiers les plus défavorisés ont recours au système D pour assurer leurs besoins vitaux.
Dans ce bidonville du sud de Delhi,connu sous le nom d'Indira Gandhi Camp, les enfants jouent pieds nus parmi un amas d'ordures, qui recouvre une canalisation large d'une dizaine de mètres. Les cochons se nourrissent des déchets, situés en contre-bas du camp. L'odeur des ordures sévit déjà à une centaine de mètres, accentuée par les 45 degrés de l'été delhiite. Sept cents familles occupent la colline. Au pied de celle-ci, le long de l'égout à ciel ouvert, une vingtaine de personnes originaires du Bangladesh sont privées d'eau. Dans le reste de ce campement illégal, les autres habitants ont accès à l’eau, via des canalisations installées par la municipalité, à l’instar de la majorité des 860 bidonvilles de la capitale indienne. Dans le sud de Delhi, ils sont 800 000 à vivre dans ces baraquements de fortune, et 2,5 millions sur l’ensemble de la capitale.
Les premiers compteurs d'eau
Dagshree, 65 ans, vit à côté de l'égout depuis plus de 40 ans. « Parfois, la nuit, nous essayons d'aller voler de l'eau aux maisons situées plus haut, mais nous avons peur qu'il viennent nous battre. » Il lui arrive de marcher entre 500 mètres et un kilomètre, chargé de bidons, pour trouver de l’eau. Le chef autoproclamé de ce bidonville, et sûrement l'un des résidents les plus riches, comme en témoignent son smartphone, la taille de sa montre et sa maison cossue, a décidé d'installer des compteurs d'eau dans chacune des 140 maisons du campement. Il assure que même les maisons qui sont totalement dépourvues d’approvisionnement – et sont par ailleurs promises à la démolition - seront concernées. « J'espère que les compteurs seront posés d'ici à deux mois, explique Subhkant Kamat. Si tout fonctionne, notre camp sera le premier à Delhi à avoir des compteurs. » Chaque habitation du bidonville va être reliée au réseau de canalisation afin de pouvoir installer ces compteurs. Pour le chef, ces derniers n'ont que des avantages. « Actuellement, nous avons l'eau gratuitement et donc personne n'écoute nos problèmes. Une fois que nous payerons l'eau, les responsables devront nous écouter. En plus, les compteurs vont mettre fin au gaspillage. » Et Subhkant Kamat espère ainsi éviter les coupures qui touchent fréquemment sa maison. L’avantage du projet, c’est de fournir de l’eau a tout le monde ; la contrepartie, c’est de rendre payant un bien aujourd’hui gratuit. « Moi, je ne crois pas Subhkant Kamalt, explique Seema,qui travaille comme bonne dans le quartier aisé, de l’autre côté de la route. Il vient de temps en temps nous voir, mais à la fin, tout est fait pour les gens du haut de la colline. » « Cela a surtout pour but de nous contraindre à utiliser moins d'eau, il est de mèche avec les politiques », abonde Mamta. « Si nous avons de l'eau de qualité, je suis prête à payer quelques roupies de plus, positive Dasghree. Ici, les familles gagnent en moyenne 6 000 à 7 000 roupies par mois (ce qui les place sous le seuil de pauvreté ndlr). Après tout, cela vaudra bien tout le mal que nous subissons chaque jour. »

© Antoine Izambard /CUEJ
Des ruptures d'approvisionnement
A deux kilomètres de là, en contre-bas d'un boulevard en permanence embouteillé, la rue principale du bidonville de Barapulla échappe aux regards. On aperçoit d'abord les enfants qui trient les ordures, à la recherche d'objets à recycler et à revendre. Ici, les maisons sont en dur, les murs peints en bleu. Les habitants, tous hindous, ont fait construire un temple et une école où sont scolarisés les plus jeunes. Des canalisations courent le long des maisons. Au milieu de la grande rue, des jeunes filles viennent remplir leurs seaux d'eau grâce à un robinet commun. L’eau a été livrée le matin par le camion-citerne du Delhi Jal Board (DJB), l'organisme municipal chargé de la distribution d'eau, comme dans la majorité des bidonvilles de la ville. Les livraisons sont toutefois irrégulières.
« Il arrive que nous n'ayons pas d'eau pendant trois jours, raconte un résident, qui se protège de la chaleur en s'abritant le long de sa maison. Cela arrive quand le DJB nettoie ses camions.Nous allons alors nous approvisionnerdans le quartier riche qui est en face. » Et quand un problème majeur apparaît,les quelque 2500 habitants se tournent vers le chef du lieu,
Il ne stagne plus qu’une dizaine de centimètres d'eau verdâtre au fond du puits. Une quantité infime, que quatre femmes retirent, puis acheminent au petit village montagnard d'Hadsar. Par temps de sécheresse, le rituel est quotidien pour les femmes des populations dites tribales, les Adivasi du taluka* de Junnar.
Pendant des siècles, les Adivasi ont vécu en marge de la civilisation indienne. La Constitution leur a reconnu un statut particulier en 1949, leur attribuant des terres théoriquement inaliénables dans des zones reculées: montagnes, forêts et îles. Une espèce protégée, en somme, qui se tient à l'écart du marché et à laquelle l'administration indienne ne se sent apparemment aucune obligation d'assurer l'accès aux services publics.
Dans le village voisin d’Anjanawle, les Adivasi s’abreuvent directement à la nappe phréatique, au moyen de puits et des pompes manuelles. Ils sont aujourd’hui presque à sec. En contrebas, la retenue d’eau de Manikdoh dessert la plaine. « Ce barrage est sur nos terres, mais nous ne pouvons pas accéder à son eau, même pour boire, constate une femme du village. Pour survivre, les gens descendent cinq mois de l'année pour travailler dans la plaine. » Quelques centaines de mètres plus bas, les rectangles verts des parcelles irriguées contrastent avec l’herbe jaunie et le sol craquelé des collines alentours.
L'eau coule à flot
C’est sur cette oasis que prospère, près du village de Galegaon, la vaste exploitation horticole de Mangesh Doke. Une dizaine de journaliers Adivasi travaillent dans ses vignes. Mangesh Doke, grand, musclé, chemise blanche impeccable et RayBan noires, reçoit ses visiteurs dans son vaste salon, équipé d'un écran plat. Il se dit touché par la sécheresse qui affecte les autres : « Ce qui leur arrive pourrait m'arriver » . L'eau qui irrigue ses vignes et ses grenadiers provient d'un captage de la rivière Kukadi, acheminée en continu jusqu'à un réservoir de dix mètres de diamètre via plus de 5 km de pipelines. L’accès à l’eau en abondance lui a permis de développer très vite une gamme de fruits à forte valeur ajoutée: bananes, tomates, mangues. Ses grenades et son raisin sont exportés à 80% vers les pays du Golfe.
Vishal, Kuldip et Deepack Mandlik,trois fermiers du même clan, ont choisi, eux, de miser sur la rajapuri, une variété de mangue très prisée des Indiens. Mais leurs vergers - 1,5 à 2 acres par familles- sont à l’extrême limite de la « ceinture verte », dans le village de Belsar, à 8 km de Galegaon. Ici,le système d’irrigation est en bout de course.
« Toutes les cultures étaient brûlées. 1972 a été un gros choc pour nous », se souvient Balasabeh Gawde, ancien chef du village de Gawadewadi. Si le vieil homme évoque ce traumatisme, c’est parce qu’il est associé à la sécheresse que traverse actuellement le pays.
Pourtant, « les effets de la sécheresse de 2013 sont différents, explique Parag Lakade, directeur de la société Gangotree, spécialisée dans l’ingénierie civile et l’environnement. En 1972, ce sont les cultures qui ont été touchées, il y avait assez à boire pour tous, mais pas assez de nourriture, et les habitants ne pouvaient pas acheter à manger. En 2013, c’est l’eau qui manque, plus que la nourriture. Celle que l’on boit et celle que l’on utilise pour les cultures et le bétail. » A Gawadewadi, village qui a bénéficié de l’action d’une organisation non gouvernementale (ONG) pour revoir sa gestion de l’eau et donc relativement protégé par la sécheresse, les producteurs de lait constatent une baisse de leur production, due à un fourrage de mauvaise qualité. La faute au manque d’eau.
Pourtant, si la mousson de 2012 a été considérée comme inférieure à la moyenne, il a plu autant, sinon plus, qu’il y a quarante ans dans le Maharastra. Première explication avancée à la rareté de 2013 : l’accroissement des besoins en eau de cet Etat, proportionnel à sa hausse démographique : 50,4 millions d’habitants en 1971 et 112 millions en 2011, d’après le recensement.
364 milliard de mètres cubes d’eau perdus par évaporation
Beaucoup de voix contestent cette argumentation d’une catastrophe naturelle. L’ONG South Asia Network on dams, rivers and people remet en cause la gestion de l’eau. Elle reproche à l’Etat d’avoir trop misé sur les gros barrages construits après 1972, qui s’avèrent propices à l’évaporation. Le 12e plan (2013-2017) évalue ainsi les pertes d’eau par évaporation à 364 milliards de mètres cubes par an.
Parag Lakade, directeur de la société Gangotree, relève un autre point : l’irrigation a peu progressé. Le nombre de terres irriguées est passé de 14,99% des zones cultivées en 1999 à 17,57% en 2005. « Si les surfaces irriguées ont si peu augmenté malgré l’argent investi, c’est parce que les plans sont décidés en dépit des suggestions techniques. » Il met aussi en avant l’usage incontrôlé de la nappe phréatique. En 2007, c’est 16 millions de litres qui ont été pompés contre 11 en 1988.
Deuxième argument avancé par les contestaires : les choix de culture. Les surfaces agricoles dédiées à la canne a sucre, denrée gourmande en eau, ont augmenté. Évaluées à 167 000 hectares en 1972, elles sont de 1 022 000 hectares en 2012. Un accroissement dû à la politique de la Banque mondiale, selon l’activiste indien Vandana Shiva. Après 1972, celle-ci accorde de l’argent à l’Etat du Maharastra pour creuser des puits, à la condition de planter de la canne à sucre.
Une fois la mousson, on oublie la sécheresse
Pour faire face à cette situation, le gouvernement prend des mesures, qui d’après le Memorandum for drought relief de 2003-2004, sont identiques à chaque sècheresse. « Mais les pouvoirs publics vont être obligés de chercher des solutions à long terme, explique Parag Lakade. Sinon la situation restera la même dans les années à venir. » Car une fois la mousson venue, dans le Maharastra, on oublie la sécheresse et la culture de la canne à sucre reprend de plus belle.
Lisa Agostini
Yves Common
Jessica Trochet