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« L'eau va encore augmenter », argue, facture à la main, Dipak Dholakia,secrétaire général du Comité de résistance à la privatisation et à la commercialisation de l'eau, un collectif citoyen installé à Delhi. « Je paye 800 roupies par mois, dont 500 roupies de charges, détaille le retraité, qui appartient à la classe moyenne. Chaque année, le DJB augmente ses tarifs de 10%. »

Cette crainte est partagée par les habitants des bidonvilles de Delhi, qui reçoivent actuellement de l'eau gratuite de la municipalité. « C'est le DJB qui fixe les prix. Nous touchons un pourcentage qui nous est reversé par le DJB », répond Patrick Rousseau. Ces délégations de service public permettent de pallier les carences du DJB, qui pour l’instant ne peut fournir une eau propre et de qualité aux 16,5 millions d’habitants de Delhi. « La population de Delhi a tellement augmenté que le DJB n’a pas pu suivre,» argue Rumi Ajiaz, un chercheur spécialiste de l’urbanisation à l’Observer research foundation, un think-thank. « Le DJB ne possède ni les ressources financières suffisantes, ni la technologie ou l’expertise pour maintenir le réseau en état.»

Environ 216 litres par jour et par personne

Le DJB, créé en 1957, emploie selon les chiffres des syndicats, 16 000 personnes, contre 35 000 avant les débuts de la privatisation du réseau d’assainissement, commencée il y a dix ans. Il draine quotidiennement jusqu’à Delhi 3,8 milliards de litres d’eau issus de trois sources dites de surface : le fleuve Yamuna, le canal du Gange et celui issu du barrage de Bhakra-Nangal, situé à la frontière de l’Himachal Pradesh et du Penjab, au nord-ouest du pays. Quant aux nappes phréatiques de la ville, elles ne fournissent que 12% de l’eau et s'épuisent du fait de la sécheresse et de la surexploitation. Il faut désormais creuser jusqu’à 40 mètres dans certains quartiers pour trouver l’or bleu.

« Chaque goutte d’eau est importante pour nous », martèle-t-on a la communication du DJB. Mais dans les sanitaires mêmes de l’Office, les canalisations fuient et un robinet sur deux ne marche pas. Le chemin reste long.

Dans une interview donnée en avril 2012 au Wall Street Journal, Debashree Mukherjee estimait les besoins en eau de Delhi à « 216 litres par jour et par personne ». Ce chiffre correspond à une moyenne entre besoins des particuliers, des institutions publiques, des commerces, des industries et la lutte contre les incendies. Une estimation approximative. Car l’organisme de l’eau de Delhi avoue son impuissance à quantifier avec précision les milliers de litres d’eau réellement disponibles. Il évalue a 46% le volume d’eau échappant à toute facturation. Mais comment savoir ? Sur les 19 millions de clients du DJB, 75% seulement ont un compteur d’eau, « mais beaucoup d’entre eux ne fonctionnent pas ».

Réduire les pertes

L’organisme a prévu de réduire, sur la période 2012-2017, cette "non-revenue water" de 30%. Installer plus de compteurs et faire payer des amendes, être capable de fournir de l’eau vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Quatre heures par jour est la situation la plus courante.

L’approvisionnement en eau s’accompagne d’un gaspillage d’une hauteur de 40%, selon Suez environnement. Ce sont des milliers de litres qui, chaque jour, n’arrivent jamais jusqu’au robinet des 75 % d’habitants raccordés (les autres Delhiites reçoivent leur eau via des puits ou les quelques 500 camions-citernes du DJB). Notoirement vétuste, le réseau de canalisations subit de graves fuites. Autre effet de la mauvaise étanchéité des tuyaux, l’eau souterraine contaminée par la pollution s’y infiltre et se mélange a l’eau propre. Pour y faire face, les deux multinationales françaises de l’eau vont installer des systèmes de détection des fuites. « Nous utilisons une technologie de détection par l’hélium, détaille Sevahsree Mohapatra,de Suez. Ainsi nous n’avons pas a  creuser.» Mais que vaut un réseau sans fuite dont l’eau empoisonnerait ses utilisateurs ? La ressource, malgré les « 300 analyses quotidiennes réalisées aux robinets » dont se targue le DJB, reste souvent très polluée.
 

Mathilde Cousin et Anna Cuxac, Karan Dhar, Clémence Mermillod, Manal Naila, Bhanu Privyi Vyas,Smriti Singh, Quentin Thomas

LEGENDE

Alors qu'elle manque à des millions d'Indiens, la ressource liquide offre des moments de détente aux plus aisés.

 

D’un côté, des files d’attente qui s’allongent près des pompes à eau. De l’autre, des parcs aquatiques dont le succès ne se dément pas. D’un côté, des habitants des quartiers pauvres qui viennent s’approvisionner pour assurer leurs besoins vitaux en eau. De l’autre, une poignée de privilegiés, des familles aisées et leurs enfants, qui barbottent, sautent, plongent et s'éclatent. Ce contraste, alors que les températures a Dehli sont à leur maximun, est saisissant.

Il existe sept parcs aquatiques autour de Delhi. Ils recoivent chacun entre 200 et 1500 visiteurs par jour et consomment quotidiennement environ 100 millions de litres d’eau, soit les besoins journaliers de 350 000 personnes, selon des chiffres fournis par le gouvernement. Ce luxe a un prix. L’entrée du Jurassic Park Inn revient à 750 roupies par personne, quand le salaire moyen à Delhi tourne autour de 16 000 roupies par mois.

L'eau n'est pas recyclee

Cette situation choque d’autant plus certaines ONG en guerre contre le « gaspillage » des parcs aquatiques qu’elles soupconnent certains d’entre eux de ne pas recycler l’eau qu’ils consomment. Un gaspillage qui les scandalise alors que le niveau des nappes phréatiques demeure très bas.

Nombreux sont ceux qui dénoncent ce privilège dangereux. Selon l’association des chambres de commerce et d’industrie,

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Ce chantier empoussiéré est le lit d'un des deux lacs de retenue du district de Beed. © Baptiste Cogitore/Cuej

A Jamia Nagar, le quartier musulman du sud est de Delhi, les véhicules rudimentaires défilent dans les ruelles. Des triporteurs convoient sans cesse des dizaines de vieux bidons d’eau. Vingt litres chacun, vendus aux habitants de ce quartier pauvre aussi bien pour s’hydrater que pour des usages domestiques. Jamia Nagar, colonie non autorisée, n’est pas approvisionnée par le Daily Jal Board. Seule une quinzaine de personnes, à la tête de petits commerces illégaux, fournit le quartier en eau. Dans un pays où l’économie informelle représente 84 % du PIB, l’approvisionnement en eau relève de la débrouille. La population s’en s’accommode, car elle peut en acheter à des prix défiant toute concurrence, à partir de 15 roupies pour 20 litres. 

Mohammed Reyas est l’un des fournisseurs d’eau de Jamia Nagar. A la tête d’une affaire située au coeur du quartier musulman et dans laquelle six personnes travaillent, cet homme d’une quarantaine d’années aux cheveux grisonnants a investi 300 000 roupies en 2008 dans un système de pompage et de filtrage de l’eau.

Aucun contrôle

La méthode est la suivante : l’eau est pompée dans le sol à douze mètres de profondeur avant de passer dans trois systèmes de filtration censés la purifier totalement. Mohammed Reyas produit ainsi jusqu’à 1 000 litres d’eau par heure, et la vend immédiatement aux habitants du quartier. L’activité est illégale, car une autorisation du gouvernement est nécessaire pour pouvoir puiser l’eau dans les sols de la ville. Et quid de sa qualité ? L’eau extraite des nappes phréatiques n’est soumise à aucun contrôle, alors que les sous-sols de Delhi  sont extrêmement pollués. « Elle est potable et même meilleure en goût que les bouteilles vendues par les entreprises », assure Mohammed, le revendeur, qui gagne 30 000 roupies par mois, de quoi nourrir aisément sa famille. Le discours est différent parmi les consommateurs de cette eau souterraine. « J’achète mon eau dans le quartier parce que je n’ai pas le choix, mais elle a souvent un goût de terre », affirme Mahlia, une habitante de Jamia Nagar. Une partie des propriétaires de puits de Jamia Nagar écoulent leur production à des petits revendeurs. 

 

Sécheresse pieds

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