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12 h 02 : « Il était une figure du siècle, une conscience républicaine, l’esprit français », salue Emmanuel Macron sur X.

« Avocat, garde des Sceaux, homme de l’abolition de la peine de mort. Robert Badinter ne cessa jamais de plaider pour les Lumières. Il était une figure du siècle, une conscience républicaine, l’esprit français. »

Trouver le coupable  

Le lendemain, à la même heure, autre ambiance à l'intérieur du Parlement. Dans l'hémicycle feutré,  les députés s’interrogent à leur tour sur les causes de la crise agricole. Pour les parlementaires de droite, le  « Pacte vert pour l'Europe » est coupable de tous les maux. Ce programme de transition durable, lancé par la Commission européenne, serait trop contraignant et basé sur une idéologie « écologiste » plutôt que sur de vraies données scientifiques. Adopté en 2020, il prévoyait notamment une baisse de 50% de l'usage des pesticides d'ici à 2030 pour protéger les champs de produits trop agressifs. Ursula Von Der Leyen, présidente de la Commission européenne, a annoncé ce mardi le retrait du projet concernant les produits phytosanitaires. La droite a félicité cette décision. « L’Union européenne garantit à nouveau un mode de vie décent à nos agriculteurs » explique Juan Álvarez (PPE, droite). Dans le contexte de guerre en Ukraine, les pesticides aideraient les agriculteurs à produire plus et moins cher face aux produits fermiers ukrainiens bon marché, désormais commercialisés sans restriction en Europe. 

À gauche, c’est plutôt le modèle économique libéral de la PAC qui agace. Les députés accusent la Commission d'avoir conclu un pacte avec les industriels et la Copa-Cogeca. « La majorité des paysans n'ont pas accès à la PAC. Ce sont les semenciers et les grosses exploitations qui profitent du système » s'indigne Martin Häusling  (Les Verts, écologistes). Les subventions liées à la PAC seraient distribuées pour moitié à moins de 10% des coopératives européennes, c'est-à-dire aux plus puissantes. « On est censés nourrir des gens, on meurt dans nos champs à cause des plus grands » s'offusque Manon Aubry (The Left, extrême gauche), reprenant les mots d’un agriculteur. 

Les députés socialistes et de gauche radicale dénoncent également la logique libérale de la Commission. En vingt ans, l’Union a signé plus de 30 accords commerciaux avec des pays tiers. Le dernier en date a particulièrement indigné : l'accord entre l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande prévoit en effet l'importation de 38 000 tonnes de viande bovine. Pour les élus de gauche, cette pratique libérale met en péril la souveraineté agricole européenne. Les importations à bas prix pourraient bientôt remplacer les produits des fermes européennes dans les supermarchés. 

Frilosité ambiante

La prochaine échéance importante est le « dialogue stratégique sur l’avenir de l'agriculture », une série de concertations entre agriculteurs, eurodéputés et citoyens chargés de façonner un modèle plus viable, à la fois sur le plan économique, social et environnemental. Annoncé par Ursula Von Der Leyen à la mi-janvier pour calmer la colère des agriculteurs, les premières réunions sont prévues pour la fin février.

Selon le vice-président de la commission agriculture du Parlement européen, Benoît Biteau (Les Verts, écologistes), c’est de la poudre aux yeux. « C’est exactement le même sujet que sur la convention citoyenne pour le climat. On convoque des gens et finalement on décide tout aux antipodes de ce que ces gens proposent » soupire-t-il. Lennart Nilsson, président du syndicat agricole Copa-Cogeca n’est pas du même avis: « La colère des agriculteurs est enfin reconnue. Nous avons des rencontres prévues avec Bruxelles pour permettre ce dialogue stratégique ».

Si ces discussions ne reflètent pas d’action concrète, il s’agit surtout pour les institutions européennes de donner un « signal politique sur les prochaines années », rappelle Luc Vernet, secrétaire général du think tank Farm Europe. Concrètement, la PAC a très peu de chance d’être réformée puisqu’elle a déjà été modifiée l’année dernière. Néanmoins, « des plans stratégiques nationaux peuvent être révisés chaque année et les États membres peuvent revoir un certain nombre de règles pour faciliter la vie des agriculteurs », explique-t-il. C’est le cas notamment de la Belgique, qui a adapté l’obligation des 4% de jachères prévue par la dernière PAC en proposant des alternatives à ses agriculteurs, comme les couverts végétaux ou les prairies extensives.

Pour Paul Fritsch et ses camarades paysans, tout reste à faire. Si les tracteurs ont regagné leurs exploitations, les agriculteurs ne comptent pas relâcher la pression et attendent des mesures concrètes.

Chloé Bouchasson, Léa Bouquet, Alice Bouton

 

11 h 59  : « Je n'ai jamais croisé un autre être de cette nature. Il était tout simplement lumineux », a réagi le chef de file des Insoumis, Jean-Luc Mélenchon.

11 h 47 : Le sénateur socialiste et ex-ministre des Sports Patrick Kanner remercie Robert Badinter pour « l’empreinte indélébile » laissée « dans notre Histoire collective ».

Les manifestations d’agriculteurs ont bousculé le débat prévu au Parlement européen sur la politique agricole. Pesticides, jachères ou accords de libre-échange, les députés se sont déchirés sur les causes de la crise.

Des tracteurs ont envahi le parvis du Parlement européen de Strasbourg pour faire entendre leurs revendications. © Anna Chabaud

Robert Badinter est décédé dans la nuit du 8 au 9 février à l’âge de 95 ans, selon sa collaboratrice Aude Napoli, à l’AFP. L’ancien ministre de la Justice sous François Mitterrand avait porté la loi du 9 octobre 1981, abolissant la peine de mort.

Avocat de formation, Robert Badinter était aussi homme politique, écrivain, sénateur et président du Conseil constitutionnel. Le grand homme de gauche a défendu les droits de l'Homme jusqu’au bout dans ses écrits et prises de position. Il porte ses convictions d’abord devant les tribunaux en défendant ses clients, puis au Parlement. En 1981, il appelait les députés à se saisir d’« un débat de conscience qui engage chacun d’entre vous ».

Un duo soudé avec son épouse Elisabeth Badinter

Robert Badinter est né en 1928 à Paris de parents juifs naturalisés français. Pendant l’Occupation, sa famille part s’installer à Lyon. Un autre 9 février, en 1943, il échappe à la Gestapo alors que son père est arrêté à Lyon dans une rafle organisée par Klaus Barbie. Sa vie bascule. Il écrira en 2018 dans son ouvrage Idiss : « Mon enfance a pris fin le 10 mai 1940 ».

Après la guerre, il étudie les lettres et le droit à Paris puis à l'université Colombia. Alors âgé de 21 ans, il s’inscrit au barreau de Paris. Un premier mariage avec la comédienne Anne Verdon puis Robert Badinter tombe sous le charme d’Elisabeth Bleustein-Blanchet, 22 ans. Il en a alors 38. Depuis leur union en 1966 jusqu'au décès de l'avocat, Robert et Elisabeth Badinter formaient un couple uni. Chacun a marqué, à sa manière, la Vème République. Philosophe et figure du féminisme, Elisabeth Badinter se qualifie comme la “fille de Simone de Beauvoir”.

Un combat incarné dans ses discours

Son combat contre la peine de mort débute en 1972 en tant qu’avocat de la défense. C’est l’affaire Patrick Henry qui le fera connaître et le propulsera dans les rangs du gouvernement. Il sauve la tête de ce criminel, jugé pour enlèvement et assassinat d’enfant en 1977. L’homme sera condamné à la réclusion à perpétuité. Cinq autres hommes échappent grâce à lui à l'échafaud.

Quand la gauche, incarnée par François Mitterrand, accède à l’Elysée en mai 1981, Robert Badinter n’est pourtant pas le premier pressenti pour être garde des Sceaux. Maurice Faure, premier locataire de la place Vendôme, démissionne deux mois après la composition du gouvernement. Badinter le remplace et peut mener là le grand combat de sa vie. La partie n’est pas gagnée : 63% des Français sont à l’époque opposés à l’abolition. Pourtant, l’avocat convaint députés et sénateurs. Dans un discours enflammé à la tribune de l'Assemblée nationale le 17 septembre 1981, il déclare : « Demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue (…). Demain, vous voterez l’abolition de la peine de mort. »

Le 10 octobre 1981, la loi est promulguée en ces termes : “La peine de mort est abolie”. L'abrogation est ensuite inscrite dans la Constitution en 2007. Robert Badinter a célébré cette victoire toute sa vie.

Auteur de nombreux ouvrages jusqu'à la fin de sa vie

Après son passage au ministère marqué par d’autres réformes issues des 110 propositions de François Mitterand, Robert Badinter est nommé par ce dernier au Conseil constitutionnel. Il y siège pendant neuf ans et pose les jalons de ce qui deviendra la QPC (question prioritaire de constitutionnalité) qui permet à tout justiciable partie à un procès de questionner la constitutionnalité d’une disposition législative. Cette procédure est entrée en vigueur en 2008.

Après sa présidence de l’institution, Robert Badinter est élu sénateur en 1995. Il y siège jusqu’en 2011 et incarne la défense des droits humains au niveau intrenational devant divers institutions. Il continue de travailler et d’écrire jusqu’à la fin de sa vie. En avril 2023, il est co-auteur de Vladimir Poutine. L’accusation, un réquisitoire contre le président russe. Jusqu’au bout, l’intellectuel a incarné la cause progressiste sans jamais flancher.

Clara Grouzis

Edité par Eva Pontecaille

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