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Longtemps prisée pour des vacances au soleil, la Géorgie fait figure aujourd’hui de refuge pour les Russes qui fuient la mobilisation en Ukraine dans l’armée de Vladimir Poutine. Dans leurs valises, beaucoup de billets… qui mettent à la porte les locataires géorgiens.
Giorgi BREGVADZE, Paul LE GUEN, Louison LEROY
Coincée au milieu d'un combat idéologique entre Est et Ouest, la Géorgie cherche encore sa voie. Des boîtes de nuit aux églises orthodoxes, la société est prise dans un maelstrom de valeurs qui s'opposent. Et la culture est devenue un instrument de lutte.
Martin HORTIN, Mariami KARTVELISHVILI, Amine SNOUSSI
C’est l’histoire d’une petite Caucasienne qui cherche sa place. Du haut de ses 4 millions d’habitants, elle a longtemps eu du mal à prendre la parole au milieu de ses imposants voisins de table. Son oncle russe redouté, situé juste en face d’elle, ne la lâche pas du regard. Lui qui l’a vue mûrir depuis la chute de l’empire soviétique, qui lui a plusieurs fois porté des coups, et qui aujourd’hui ne peut que constater son désir d’émancipation… Au point de craindre qu’elle ne rejoigne la famille européenne, tout comme la cousine ukrainienne.
Cette histoire est celle de la Géorgie. Pour examiner ses contradictions, la promo radio du Cuej, en partenariat avec les étudiants de l’Université d’État de Tbilissi, a franchi les montagnes du Caucase. Alors que le pouvoir sur place reste inféodé à Moscou, 80% des Géorgiens approuvent la demande de candidature d’adhésion à l’Union européenne. Dans quel camp la croix rouge géorgienne flottera-t-elle demain ?
Au détour d’une fresque historique, de lignes de barbelés, d’appartements à louer, de champs de vignes, d’une boîte de nuit ou d’une salle d'audience, partez en six épisodes à la découverte d’une société tiraillée, qui s’apprête à écrire un chapitre déterminant de son histoire.
Zanda GEDENIDZE et Louison LEROY
Pendant un mois, les étudiants spécialité presse écrite et multimédia du Cuej ont posé leurs valises à Tbilissi, en Géorgie. Ils ont sillonné ce petit État tiraillé entre son menaçant voisin russe et son désir d'Europe. Reportages, enquêtes, photos... Retrouvez tous leurs articles dans le sommaire ci-dessous.
Mai 2023. Les rosiers fleurissent dans les parcs de Tbilissi tandis que le pays du Caucase progresse sur un câble d’acier tendu. Deux forces contraires s’exercent sur son balancier, le faisant tantôt pencher vers la Russie, tantôt vers l’Occident. Le funambule parviendra-t-il à se maintenir en équilibre ?
Depuis la chute de l’URSS, la Géorgie s’engage sur la voie de la démocratie et de l’intégration euro-atlantique. Mais avec l’arrivée au pouvoir du parti de l’oligarque Bidzina Ivanichvili en 2012, Tbilissi est suspendu au-dessus du précipice russe. Minuscule face à son voisin du nord, il s’attelle à le ménager, au grand désarroi des manifestants de l’avenue Roustavéli, qui crient leur colère contre l’ex-envahisseur au cœur de la bouillonnante capitale.
Le début du conflit en Ukraine en février 2022 a forcé la Géorgie à reprendre ses appuis, notamment en demandant l’adhésion à l’Union européenne réclamée par ses citoyens. Pour autant, ses velléités de réformer sa justice et de garantir les droits humains, dont ceux des minorités sexuelles et de genre, laissent penser à un auto-sabotage. Osera-t-elle renverser l’échiquier – quitte à froisser la Russie – afin d’atteindre les douze priorités fixées par les Vingt-Sept avant la fin de l’année ?
En dépit des vents tourbillonnants, l’acrobate géorgien avance à belle allure, avec une croissance de 10 % en 2021. Sa situation géographique en fait une plaque tournante pour le commerce. Les camions défilent par milliers sur l’ancienne route militaire soviétique reliant l’Arménie à la Russie, désormais engorgée à cause des stricts contrôles à la frontière. Mais malgré le déferlement de marchandises et de touristes, de trop nombreux Géorgiens vivent dans la précarité et se résignent à l’étranger.
Pris en étau entre les valeurs traditionalistes prônées par l’Église orthodoxe et les aspirations libérales de sa jeunesse, le pays tangue. « La force est dans l’unité », se rassure le funambule perché sur son fil en répétant la devise géorgienne. Compliqué, alors que les cicatrices des conflits russo-géorgiens sont encore vives, comme nous l’ont confié les déplacés des territoires séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud. Il faut tenir jusqu’aux élections de 2024. À moins que l’issue du conflit en Ukraine ne précipite la chute de l’équilibriste.
Audrey Senecal
« Rêve géorgien a saboté le Parlement de Koutaïssi »
Le 1er octobre 2012, la coalition de l'opposition de l’oligarque Bidzina Ivanichvili, Rêve géorgien, remporte les élections législatives. Rapidement, la cohabitation s’annonce difficile avec Mikheil Saakachvili, dont le mandat expire un an plus tard. Le « candidat de Moscou » voit d’un mauvais œil la politique de modernisation menée par son rival pro-occidental. Il va s’attacher à détricoter son héritage, notamment à Koutaïssi.
« Rêve géorgien a saboté le Parlement de Koutaïssi. Tous les projets ont cessé : la construction d’hôtels, la rénovation de la ville, l’entretien même du bâtiment, soupire Chiora Taktakishvili, finalement convaincue des avantages de l’installation de l’institution dans la région d’Iméréthie. L’arrivée du Parlement a changé le statut de la ville. Koutaïssi était devenue attractive. Un chef français de Nice avait même ouvert un restaurant. Les députés y étaient toujours fourrés. » L’établissement est aujourd’hui fermé, à l’instar de nombreux commerces.
Selon Rêve géorgien, la coordination entre le Parlement et le gouvernement était trop compliquée dans deux villes distinctes, et l’entretien des bâtiments trop coûteux. « La vérité, c’est qu’ils ont voulu abattre le symbole associé à Saakachvili », assène Chiora Taktakishvili. Au-delà des emblèmes, c’est l’homme qui a été banni de la vie des Géorgiens. L’ancien président purge une peine de six ans pour abus de pouvoir. Loin d’avoir été effacées, ses idées libérales sont régulièrement scandées par les manifestants devant le Parlement, en plein cœur de la capitale géorgienne.
Audrey Senecal
Avec Mariam Kvavadze
Tout comme les couloirs de son Parlement abandonné, les rues de Koutaïssi sont désertes ce samedi. Seuls quelques touristes se sont réfugiés dans le café Sanimusho, à quelques pas de la mairie, pour échapper à la pluie. Saba, 21 ans, s’active derrière le bar. Le jeune homme travaille en tant que serveur en parallèle de ses études de sciences sociales. Malgré son affection pour sa ville natale, il a déjà prévu son départ pour l’Allemagne d’ici quelques années. « Koutaïssi était la deuxième ville du pays avant », insiste Teimuraz Kvavadze, 68 ans, qui a participé à la construction du dôme. Une grande majorité de sa famille s’est désormais installée à Tbilissi. « Il n’y a pas d’avenir pour les jeunes ici. »
Relancer l’économie de la région
À Koutaïssi, les habitants sont unanimes. « Bien sûr que c’était mieux lorsqu’il y avait le Parlement ! Les hôtels et les restaurants tournaient, ça amenait beaucoup de monde », se souvient Khvicha Vashakmadze, journaliste et membre de l’association « Leave Parliament in Kutaisi », qui milite pour un retour de la chambre dans sa cité.
C’est à l'initiative de l’ex-président, Mikheil Saakachvili, que le Parlement a été déplacé à 220 kilomètres de Tbilissi. Le gouvernement assure à la population que le transfert de l’institution de la capitale vers Koutaïssi doit contribuer au développement économique de la région d’Iméréthie. Le 26 mai 2012, jour de l'indépendance de la Géorgie, le nouveau Parlement du pays est inauguré en grande pompe dans cette ville de 150 000 habitants. Coût du chantier : 326 millions de laris, soit 128 millions d’euros.
À l’époque, Chiora Taktakishvili, députée au sein du Mouvement national uni, le parti fondé par l’ancien chef d’État, n’est pas en faveur du projet: « Je n’étais pas convaincue que cela suffirait à redynamiser la région. » Basée à Tbilissi, comme la plupart des parlementaires, elle doit aussi réorganiser son emploi du temps. « Les trajets étaient contraignants. Il n’y avait pas de ligne de train rapide. Cela prenait plusieurs heures », reconnaît-elle. Un argument de taille pour l’opposition qui, arrivée au pouvoir cinq mois à peine après l’ouverture du Parlement, s’emploie à ramener l’institution dans la capitale.
D’autres font vivre le village à leur échelle. C’est le cas de Mariam Sabiashvili, 20 ans, installée ici avec sa famille. En 2019, avec une ONG locale, la jeune femme a créé un centre pour jeunes avec une petite bibliothèque. Une maisonnette vert d’eau au cœur du camp pour se retrouver et échanger. Elle est aussi à l’origine d’un parc pour enfants et souhaite réhabiliter le stade endommagé. Pour l’instant, l’étudiante fait quotidiennement les aller-retours entre son village et Tbilissi où elle étudie l’écologie. Si elle aime Prezeti et est pleine de projets, elle ne se voit pas y rester : « Il n’y a pas beaucoup d'opportunités pour ma future carrière. » Un manque de possibilité en partie responsable de la diminution de la population de certains camps de campagne comme Prezeti.
Camille Gagne Chabrol
Loris Rinaldi