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31/01/18
19:52

Tunisie : "la situation est pire qu'avant la révolution de 2011"

Emmanuel Macron est en visite en Tunisie ce mercredi. Sept ans après la révolution du Jasmin, le pays est rongé par les difficultés économiques et sociales. Entretien avec Kmar Bendana, professeure d'histoire contemporaine à l'Université de La Manouba (Tunisie) et chercheuse associée à l'Institut de recherches sur le Maghreb contemporain (IRMC).

La Tunisie est souvent présentée comme le seul pays arabe où la révolution a donné naissance à un régime démocratique. Peut-on réellement parler d'une démocratie ?

"On ne peut pas parler d'une démocratie s'il n'y a pas d'institutions fortes et de contre-pouvoir effectifs. Or, en Tunisie, il n'y a ni l'un, ni l'autre. Alors, certes nous avons une nouvelle Constitution depuis 2014 et un Parlement (appelé l'Assemblée des représentants du peuple ou l'ARS), mais ce n'est que le début du commencement. Il n'y a pas de cour constitutionnelle pour contrôler ce dernier. Il n'y a pas non plus de conseil supérieur de la magistrature. Résultat, le Parlement est seul maître à bord et il bloque tout, notamment les avancées en terme de liberté d'expression et de liberté de la presse. La loi sur l'accès à l'information en mai dernier a par exemple été recalée. Par ailleurs, les députés ne sont jamais là, l'institution pâtit d'un fort absentéisme et d'un roulement permanent. On a vu passer près de 300 ministres en 7 ans. Il n'y a pas non plus de pouvoir judiciaire. Les juges ont peur, sont achetés ou corrompus. Comment voulez-vous lutter contre la corruption dans ces conditions ?"

Quel est le sentiment des Tunisiens vis-à-vis du système politique en place ?

"On assiste à une crise de confiance et d'autorité très forte. La population tunisienne ne croit plus en ses politiques, incapable de trouver des solutions. Les émeutes des dernières semaines attestent d'une réelle tension. Et il n'y a pas que les casseurs et les pilleurs. Il y a d'abord des gens en colère qui en veulent à leurs élites. Ils réclament des droits. Depuis la révolution de 2011, les Tunisiens se sont habitués à parler librement, à boire, à sortir, mais les politiques ne suivent pas. Il y a un réel décalage."

Qu'en pense la jeunesse tunisienne qui représente un tiers de la population du pays ?

"Les jeunes n'aspirent qu'à partir. Ceux qui le peuvent quittent le pays, mais c'est une minorité. La plupart se retrouvent prisonniers, sans diplôme et sans perspective d'avenir. La jeunesse est désespérée, frustrée. Et c'est épouvantable pour un pays quand sa jeunesse est frustrée. 

Lors de sa visite, Emmanuel Macron a affirmé vouloir « soutenir la transition démocratique », notamment en renforçant la coopération économique ? Il est d'ailleurs accompagné de plusieurs chefs d'entreprise, comme Xavier Niel (Free) et Stéphane Richard (Orange). 

Pour moi, faire venir des chefs d'entreprise étrangers, ça n'a pas beaucoup de sens. Nous avons de vrais problèmes économiques en Tunisie et ce n'est pas aux chefs d'entreprise de les résoudre, c'est à nos responsables politiques. Il faut sauver l'agriculture tunisienne par exemple. Mais il faut aussi réformer le secteur public : il nous faut un système de santé public plus performant, un enseignement supérieur mieux organisé, etc. Tout cela, ce sont des problèmes que nous devons régler ici, avec nos politiques."

Dans le climat actuel, une nouvelle révolution est-elle envisageable ?

"C'est complètement imprévisible une révolution, mais ce qui est sûr, c'est que les gens se portent encore plus mal qu'avant la révolution de 2011. Il y a sept ans, les gens étaient unis, alors qu'aujourd'hui il y a des inégalités qui nourrissent un sentiment d'injustice et donc un ressentiment d'une partie de la population envers la classe moyenne. Et contrairement à 2010-2011, les Tunisiens ne s'intéressent plus à la politique, car ils estiment que ça ne sert à rien. Cette année par exemple, il y a beaucoup moins de candidats aux élections municipales qu'en 2011. Mais je suis plutôt confiante en l'avenir. Je pense que la solution viendra de la société civile. De toute façon, nous ne pouvons pas compter sur la classe politique."

Wyloën Munhoz-Boillot

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