Si l’annonce de la fermeture de la librairie Broglie a ravivé l’inquiétude sur la capacité des indépendants à résister face à la crise sanitaire mais aussi aux géants comme la Fnac ou Amazon, toutes ne sont pas vouées à disparaître.
Dans un peu plus d’une semaine, la librairie Broglie baissera définitivement le rideau après plus d’un siècle de bons et loyaux services à la vie culturelle strasbourgeoise. Cette institution n’a pas su faire face à la révolution du numérique et la crise sanitaire a précipité sa chute. Mais contrairement aux idées reçues, les librairies indépendantes qui ont su innover et se diversifier ont plutôt tendance à bien résister à la tempête. Et certaines se sentent même renforcées par les nouvelles habitudes.
"Une fois qu’ils ont vu 'En thérapie', regardé Netflix, mangé et fait l’amour, les Français ont repris l’habitude de lire". C’est avec humour et malice que François Wolfermann, à la tête de la librairie Kléber et fondateur du Festival des Bibliothèques idéales, évoque le goût retrouvé pour la lecture à la faveur des confinements et du couvre-feu. "Le livre est le seul objet culturel encore accessible alors que les gens sont bloqués chez eux", dit-il.
La crise sanitaire renforce la consommation littéraire
Amoureux des livres depuis des décennies, il est à la fois surpris et touché par cet engouement. "Je trouve que l’excitation sur les librairies et les livres est un peu démesurée, assure-t-il. Je ne pensais pas que les gens seraient tellement en manque de livre et en même temps cela montre le poids de l’écrit et de l’Histoire en France, ce qui se passe par le livre, la transmission des idées."
À l’instar de la librairie Kléber, Quai des Brumes, située Grand’rue depuis 1984, qui a traversé la crise grâce à la fidélité de ses clients. "Nous avons pu compter sur un retour de combattants et de soutiens massifs après chaque confinement de la part de nos lecteurs habitués", indique à voix basse le gérant, Sébastien Le Benoist. Le lieu inspire et impose la tranquillité. Depuis la réouverture de sa boutique en décembre, il voit même émerger une nouvelle clientèle, "des clients orphelins de cinéma et de théâtre", qui boostent la demande. Un engouement amené à durer ?
Sébastien Le Benoist s’interroge sur "cette nouvelle frénésie littéraire" une fois que la situation sanitaire reviendra à la normale, et que les bars, restaurants et institutions culturelles auront rouverts. Des doutes partagés par François Wolfermann : "Je ne suis pas sûr que les livres continuent à marcher après la pandémies, mais cet épisode est un signe de bonne santé de l’économie du livre et de la place des librairies au cœur de l’action culturelle."
La fausse alternative du numérique
Surtout, les librairies qui s’en sortent le mieux ont su, avec la crise, réinventer leur modèle économique. Quai des Brumes a ouvert il y a cinq ans son site internet mais elle n’en fait pas la promotion car "le clique et collecte est un autre métier qui nécessite une bonne gestion de flux et de stocks", estime son gérant. Il considère que la clientèle qui commande des livres sur internet comme on commande d’autres produits et ne franchit pas la porte d’une librairie est "une clientèle perdue".
À la librairie Kléber, le "clique et collecte" a été mis en place de manière intensive dès le 16 avril 2020. Nouveauté, la librairie a également proposé en continu sur Facebook des rencontres et conférences en direct de leur "salle blanche". Depuis le second confinement c’est sur Instagram que trois à quatre fois par jour sont proposées des rencontres avec des auteurs, des politiques, des artistes et des youtubeurs. Au-delà de l’offre culturelle et des échanges, ces outils ont permis de maintenir le lien avec leurs clients habituels et d’en capter de nouveaux venus sur place dès que les librairies ont pu rouvrir.
Pour Sébastien Le Benoist, en dehors des périodes de longue fermeture, "les réseaux sociaux sont davantage une vitrine pour sa librairie et un moyen de marquer sa présence numérique" que de véritables outils de communication pour garder le contact avec sa clientèle. Rien ne remplace selon lui l’expérience de se perdre à travers les rayonnages. Pour rien au monde Edouard, étudiant de 23 ans ne renoncerait ainsi à ses escapades en librairie. "Il y a une ambiance particulière, on trouve les livres que l’on n’était pas venus chercher, raconte-t-il. Il y a un charme. J’y vais au moins une fois par mois, pour acheter, ou juste pour flâner". Les librairies indépendantes n’ont pas dit leur dernier mot.
Achraf El Barhrassi