L’association Caracol propose quatre logements vacants pour des personnes en difficulté, dans le quartier de l’Elsau. Jeudi soir, elle a permis à de futurs habitants de se rencontrer. Et peut-être de former des colocations multiculturelles.
Le brouhaha du quatrième étage résonne dans l’allée piétonne. Elles viennent de deux appartements du numéro 2 de la rue Watteau du quartier Elsau à Strasbourg. Fenêtres cassées et tâche sur les murs, la cage d’escaliers donne l’impression d’un bâtiment sans vie. En haut de celui-ci, 30 personnes se sont tassées dans une pièce vide et échangent en petits groupes. Ils participent à un événement organisé par l’association Caracol. Le but est de faire se rencontrer des personnes pour former des colocations solidaires et multiculturelles. L’association cherche douze personnes, des réfugiés et des locaux, pour remplir quatre logements vacants sur une période de 18 mois. Le bailleur CDC Habitat Social, qui travaille avec l’association, possède les bâtiments.
Des colocations temporaires et à faible coût
C’est la troisième rencontre de Caracol. Mais ce soir-là, les deux appartements témoins sont remplis. « Je m’attendais à une maison », lâche, déçue, une étudiante. Arrivée à Strasbourg il y a une semaine, elle recherche une alternative moins chère à sa colocation actuelle. Celles de Caracol ne dépassent pas 200 euros par mois, charges comprises. Bandanas sur la tête et pantalons larges, Lise et Margo étudient en master économie sociale et solidaire à Mulhouse, mais sont en alternance à Strasbourg. « On aime la vibe. Ça nous ressemble d’être dans une coloc multiculturelle. On vit dans l’entreprise toute la journée, mais le soir, on peut faire quelque chose avec les autres colocataires. »
Au coin cuisine, où l’on sirote du cola et picore des chips, une femme aux cheveux courts et lunettes rouges à monture large détone. « J’ai trouvé mon premier groupe ! », se réjouit-elle. Cécile, salariée pour Caracol, recense les nouveaux colocataires. Né d’un manageur suisse, l’association s’inspire de la tendance de l'habitat participatif, en vogue en Allemagne et en Suisse. Implantée pour la première fois à Strasbourg, Caracol partage sept autres logements temporaires et vacants, dont un loft dans la Marne, une maison en Vendée et des hôtels particuliers à Paris. Elle bénéficie d’un cadre juridique particulier de la loi sur l’évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELan) votée en 2019. « Le principe : faire de l’habitat sur une période transitoire », précise la jeune femme. Tout ça ne va donc pas durer, la démolition de la barre d’immeubles rose pastel est programmée pour 2023. « L’idée des colocs est qu’ils aient un vrai logement pérenne par la suite. Nous on leur permet juste de se poser un peu », glisse Cécile. Partenaire de Caracol, Adoma et leurs travailleurs sociaux proposent ainsi des accompagnements à destination de certains colocataires en difficulté.
Des rencontres spontanées
Dans la joyeuse cohue qui résonne dans les appartements vides, Antoni sait que son poste d’informaticien est temporaire. « Tu viens de rentrer dans notre équipe, mais elle va disparaître », lui a-t-on dit. Le jeune Mulhousien s’est trouvé ce soir deux camarades de vie, Abdul et Emin, réfugiés de Turquie et du Moyen-Orient. « On a un métier en commun, l’informatique. Forcément ça aide. » Mais la spontanéité des rencontres peut parfois interpeller, « Abdul, il est venu vers moi, il m’a dit ‘viens, on discute’. J’étais pas prêt ! ». Le trio partira en visite avec l’association la semaine prochaine, et espère poser ses valises rue Watteau dans la foulée.
Très vite, les groupes s’échangent des numéros de téléphone et s’inscrivent sur la liste des rendez-vous. Dans une ambiance de marché, on brade des horaires de visite pour s’assurer une place parmi les douze chanceux. « Revenez nous parler plus tard, là on essaie d’avoir un rendez-vous et ça part vite », balaie une quinquagénaire visiblement pressée de conclure son affaire. Une autre triade a obtenu le précieux sésame. Parmi leurs rires, Ophélie s’exclame : « C’est pas une coloc, c’est une famille ! ». Cette grande blonde souhaite loger avec deux garçons, dont un réfugié. « Tu peux m’appeler petite sœur », lui confie-t-elle. Mission aussi accomplie pour Cécile, qui voit l’appartement se désemplir : « Je crois que j’ai mes quatre groupes ». En espérant que l’osmose ne dure pas qu’une soirée.
Alina Metz et Félicien Rondel