En grève depuis vendredi, les salariés de la brasserie Heineken de Schiltigheim ont manifesté dans les rues de la ville ce mardi 14 février alors que le site doit fermer ses portes à la fin de l’année 2025.
Sifflets, cornes de brume, tambour, pétards. Un cortège assourdissant composé de blousons jaunes et verts siglés d’une fameuse marque de bière perce le brouillard matinal strasbourgeois. Ce mardi 14 février, une centaine de salariés de l’usine Heineken de Schiltigheim, près de Strasbourg, marchaient en direction du parlement européen. Depuis l’annonce de la fermeture de la brasserie de l’Espérance en novembre, ils protestent contre les conditions de départ proposées par la direction de l’entreprise. Si la brume finit par se dissiper, l’avenir des salariés reste lui totalement flou.
« Une baisse des parts de marché » et une « augmentation du coût des matières premières et de l'énergie ». Voilà comment le groupe néerlandais Heineken justifiait à l’AFP, le 15 novembre dernier, la fermeture de son site historique de Schiltigheim. Des négociations autour d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) ont alors été ouvertes entre la direction et les salariés et doivent aboutir à la fermeture de l’usine d’ici 2025. Des mesures de reclassement internes seraient prévues, notamment en direction des sites de Mons-en-Barœul (Nord) et de Marseille, villes où l’entreprise souhaite regrouper sa production. Depuis vendredi 10 février, une partie des 220 salariés débraye. « Aujourd’hui c’est toute l’usine qui est en grève ! » s’enthousiasme l’un des manifestants, entre deux coups de sifflet. « La priorité, c’est de maintenir notre usine ouverte. On veut aussi que ceux qui souhaitent partir en mobilité externe puissent le faire », soutient Mickaël Burck, délégué du personnel pour la CFDT.
« Tout ce qu’on veut, c’est partir dignement »
« La population de Schiltigheim avec nous ! Non à la fermeture ! » s’écrient en cœur les manifestants, sous les applaudissements des passants. Les larmes aux yeux, Nathalie s’échine à retenir sa peine. « C’est impossible de se projeter. Qui voudra de moi à 56 ans ? » Comme elle, Laurent Erbs, délégué syndical, ne « parvient pas à réaliser ». Dans trois ans j’ai 58 ans, qu’est-ce que je vais faire ? Ce technicien de fabrication arrivé dans l’entreprise il y a 25 ans se sait « en fin de course ». « Mais les plus jeunes veulent acheter une maison, avoir des enfants. Qu’est-ce qu’ils vont faire, hypothéquer leur vie pour Heineken ? »
Au sein du défilé, beaucoup comparent leur situation à « une prise d’otage ». Pour Valérie*, salariée depuis plus de vingt ans, sa relation avec la brasserie est similaire à celle d’un couple : « C’est comme si un mec trompait sa femme, qu’il avait choisi d’aller vivre avec sa maitresse, mais qu’en plus elle n’avait pas le droit de partir ». D’après cette dernière, impossible de s’en aller avant la fermeture de l’usine, dans trois ans, sous peine de la quitter les mains vides. Heineken demanderait en effet aux salariés ayant trouvé un travail ailleurs de démissionner, sans toucher d’indemnités.
Un avenir qui s’effondre
En fin de cortège, Corinne, 45 ans, marche la tête basse. « Nous, tout ce qu’on veut, c’est partir dignement ». Travaillant au sein du groupe depuis vingt ans, elle fait part de son dégoût. « L’entreprise continue de faire des d’énormes bénéfices. J’en ai marre d'être au service de multinationales qui font de nous ce qu'elles veulent ». Cette dernière envisage de monter sa propre affaire et ne se pose même pas la question de changer de lieu de vie. « Mes enfants n’ont même pas encore commencé leurs études, comment je suis censée aller travailler à Marseille ou à Mons ? »
Guillaume, 28 ans, un fumigène à la main, reste, malgré sa jeunesse, lui aussi très attaché à son territoire. « On est abandonnés. Ils nous proposent de nous rendre à Marseille, mais qu'est-ce ce que je vais aller faire là-bas ? » Des propos que soutient Eléonore*, arrivée chez Heineken il y a seulement neuf mois. « Apprendre ça alors que je viens de commencer c'est dur. C'est mon avenir qui s'effondre. » Le regard dans le vide, Laurent Erbs est un alsacien pur et dur. Il ne se fait guère d’illusions. « J’ai ma famille ici, qu’est-ce que je vais aller faire dans le sud ? De toute façon, dans moins de dix ans, ils vont faire pareil à l’usine de Marseille. Elle aussi, ils vont finir par la fermer. »
* Le prénom a été modifié à la demande de l’intéressé(e).
Corentin Chabot-Agnesina
Édité par Matei Danes