Les contrôles d'identité discriminatoires sont examinés par le Conseil d’État depuis le 29 septembre à l’appel de six associations anti-racistes.
Amnesty International, Human Rights Watch et le réseau Open Society Foundations, suivis par trois autres associations locales, réclament à la plus haute juridiction de l’ordre administratif français un système de traçabilité de tous les contrôles d'identité. Le but ? « La reconnaissance de la part du juge administratif de la gravité du fléau des contrôles au faciès », estime l’avocat des six associations, Antoine Lyon-Caen, dans Libération. Une étude du Défenseur des droits estimait, en 2017, qu’un jeune racisé a une probabilité 20 fois plus élevée qu’un autre d’être contrôlé. Qu’en est-il pour les jeunes étudiants strasbourgeois ?
Noah, 22 ans : “Un contrôle parce qu’on courait”
Noah, 22 ans, devant l'ascenseur d’une bibliothèque strasbourgeoise, le 29 septembre. Photo : Mina Peltier
En master de droit, Noah attend l’ascenseur d’une bibliothèque, il se souvient de ce soir du Nouvel An. Il venait d’avoir 18 ans. À l’heure des derniers tramways, « on courrait derrière le tram, à la Laiterie, au sud de Strasbourg, pour ne pas le rater. J’étais avec quatre ou cinq copains. Des policiers nous ont alors contrôlés, parce qu’on courait. » Juste à côté, son ami, qui lui, est blanc, l’écoute ahuri. Ce genre d’histoires, ce n’est pas du tout sa réalité. Même si Noah dit se sentir « plutôt » en sécurité à Strasbourg, il fait toujours attention. Comme tous les jeunes de son âge, il connaît quelqu’un qui a déjà été contrôlé, plus ou moins violemment. Il y a trois jours, il est allé chercher un ami qui aurait passé « trois heures en garde-à-vue après un contrôle d’identité, à la frontière de Kehl. Il n’avait que son permis de conduire, les flics n’en voulaient pas. Ils l’ont saisi, il s’est débattu. Quand il a voulu récupérer ses papiers, ils l’ont plaqué au sol, un genou sur la tempe. Ils lui ont carrément arraché une de ses tresses. »
Jean, 19 ans et Enes, 20 ans : « D’un coup ils se plantent devant nous, sans raison. »
Jean, 19 ans et Enes, 20 ans, dans une cafétéria du campus, le 29 septembre. Photo : Mina Peltier
Nés à Strasbourg, ces deux amis se sont retrouvés pour le déjeuner. Accoudés, ils se remémorent les quelques contrôles de police qu’ils ont déjà subis. « Le premier, j’avais 18 ans, se souvient Jean, qui étudie l’anglais et l’allemand. J’étais à Schiltigheim avec des potes. Les flics sont arrivés, sans raison particulière et nous ont tous contrôlés. C’était respectueux mais on n'a pas trop compris le but. » Lors du second contrôle, l’année suivante, même scénario. Le regard tourné vers son ami, Enes raconte les « deux ou trois fois » où il s’est fait contrôler. « À chaque fois, c’est pareil. Je suis dehors avec des potes, on marche et d’un coup ils se plantent devant nous, sans raison, et contrôlent l’identité de tout le monde. » Résigné, l’étudiant en mathématique et informatique décrit avoir vécu ce qu'il nomme « un classique ».
Marco, 20 ans : “J’étais pris dans le tas”
Marco, 20 ans, assis dans le hall du Patio, le 29 septembre. Photo : Mina Peltier
Tout juste arrivé de Nice, l’étudiant en cinéma attend des amies parties tourner une petite scène dans le hall d’un bâtiment de Strasbourg. « Oui, bien sûr que je me suis déjà fait contrôler. Mais pas ici, plutôt chez moi, à Nice. » Toujours la même histoire. À chaque contrôle, Marco se baladait avec des amis, la nuit : « quand ça m'arrive, je suis toujours accompagné de mes collègues, qui sont noirs ou rebeux. C’est eux, vraiment, qui intéressent les flics. Pas moi. » Après réflexion, il estime « avoir été contrôlé parce que j’étais avec eux. J’étais pris dans le tas. » D’ailleurs, la seule fois où Marco s’est fait contrôler, il était seul, à la sortie d’un train. « J’étais pas spécialement visé, c’était un contrôle de routine.
Matthieu, 21 ans : “Je pense qu’ils avaient des quotas”
Matthieu, 21 ans, le 29 septembre au café citoyen du campus. Photo : Mina Peltier
Assis sur un banc, en pleine pause cigarette, Matthieu, 21 ans, se remémore les scènes où il s'est fait contrôler, à trois reprises. « Ce qui m’a marqué la deuxième fois, c’est qu’il y avait beaucoup de policiers dans le centre-ville de Strasbourg. J’étais sur le quai, ils m’ont contrôlé moi, mais aussi d’autres groupes de jeunes, à côté. Je pense qu’ils avaient des quotas. » Même lorsqu'il était mineur, Matthieu s’est fait contrôler. Il venait d’acheter un vélo. En selle sur l'ancien, il tenait d'une main le nouveau. « Ils ont cru que je les avais volés ». Depuis quelque temps maintenant, l’étudiant en gestion administration et comptabilité a développé une nouvelle stratégie pour éviter de se faire contrôler au faciès : rouler à vélo. « Là au moins, ils ne peuvent pas m'arrêter. »
Alexia Lamblé et Mina Peltier
Édité par Laura Beaudoin