Une femme a porté plainte contre son conjoint pour violences le 8 janvier, à Bischheim. Mais à la barre du tribunal de Strasbourg, ce mardi, sa version change du tout au tout, allant jusqu’à se mettre elle-même en cause.
La relaxe a été prononcée contre le prévenu accusé de violences conjugales. © Esther Suraud
« Je ne veux plus vous revoir. » Le président du tribunal, Marc Picard, a prononcé cette phrase sur trois des quatre affaires jugées en comparution immédiate, mardi 6 février. Lors du dernier dossier de la journée, son ton s’est fait plus autoritaire. Damien (tous les prénoms ont été changés), 38 ans, entrepreneur en bâtiment, était jugé pour « violences sans incapacité par une personne étant ou ayant été conjoint ou partenaire lié à la victime » envers son ex-conjointe, à Bischheim.
Dans sa déposition, la victime présumée, Sarah, fait état de coups de poing et d’étranglements, sur fond de dispute conjugale et de jalousie. Le prévenu nie les violences. Plusieurs condamnations pour d’autres faits de même nature, survenus entre 2019 et 2023, sont mentionnées dans son casier judiciaire.
« Il a répondu à mes coups »
Sarah se présente à la barre, seule et sans avocat. Contre toute attente, elle annonce : « Je l’ai quand même provoqué, je l’ai poussé, il a répondu à mes coups. » Surpris, le président lui rappelle les mots utilisés lors de sa déposition. « Je ne maintiens pas cela. Il aurait aussi pu porter plainte pour les mêmes raisons », dit-elle à propos des coups de poings qu’elle lui aurait assénée.
« Pourquoi avez-vous porté plainte alors ? » Sarah lâche : « J’en avais ras-le-bol de lui. » Le président hausse le ton : « Vous vous prenez pour qui à porter plainte parce que “vous en avez ras-le-bol” ? Le tribunal n’est pas là pour ça ! »
Sarah s’empêtre dans les contradictions, réfutant l’idée que Damien ait été spontanément violent avec elle. Pourtant, des auditions passées de son amie Delphine, évoquées par le tribunal, dressent une situation de couple inquiétante depuis 2019 : « Sarah se confiait régulièrement à moi. Elle m’a dit qu’il y avait eu des coups, parfois en présence de son fils de 13 ans qui vivait avec le couple », déclarait-elle entre autres. Ce dernier n’a pas été entendu par les enquêteurs. Selon les éléments dont dispose le procureur, Sarah « avait tout fait pour qu’il ne témoigne pas ».
Le président pointe que lors de sa déposition, Sarah avait indiqué « oui » sur la grille d’évaluation danger, dans la case « avez-vous peur pour vous et vos enfants ? ».
Devant les contradictions du dossier, le président pose la question : « Maintenez-vous avoir vécu des violences de la part de Damien de 2019 à 2023 ? » « Non », pose Sarah. Plus tard, elle indique qu’elle a eu des relations sexuelles avec le prévenu le lendemain des faits. « J’ai encore des sentiments pour lui », concède-t-elle.
La thèse de l’emprise non retenue
Viennent alors les réquisitions du procureur. Il évoque les cas de violences conjugales où l’emprise, « ce mécanisme bien connu », peut faire apparaître de nombreuses incohérences chez la victime, ainsi qu’un attachement à l’agresseur. « Mais souvent aussi, ajoute le magistrat, les personnes déposent plainte pour régler leurs comptes. » C’est ce qu’il choisit de retenir ici.
Le magistrat revient ensuite sur les éléments factuels. Outre les incohérences constantes, le fait qu’elle ne se soit pas présentée auprès du médecin légiste pour faire constater ses blessures vide le dossier d’un élément matériel capital. « Les faits de violence ne sont corroborés par aucun autre élément que le témoignage de l’amie de Sarah. » La relaxe a été requise. La défense souligne que Damien, qui comparaissait libre, a respecté son contrôle judiciaire. L’avocate a pointé « la toxicité de la relation avec Sarah ». Les réquisitions sont suivies par les juges, après cinq minutes de délibération.
Au prévenu et à la victime, la même question a été posée par le président : « Comment voyez-vous la suite de cette relation ? » Il n’y aura plus rien, vu ce qu’il s’est passé, déclare Damien. « Il fait sa vie, je fais la mienne », conclut Sarah avant de sortir de la salle.
Jean Lebreton
Édité par Milan Derrien