Des insuffisances dans la législation et les politiques sur les violences sexuelles en France. C’est le constat sans appel du groupe d’experts sur la lutte contre les violences à l’égard des femmes et la violence domestique (Grevio).
94 % des plaintes pour viol sont classées sans suite, d'après le Grevio. © Photo libre de droits
Près de 83 % des plaintes pour violences sexuelles classées sans suite en France, 94 % lorsqu’il s’agit de viol : le groupe d’experts sur la lutte contre les violences à l’égard des femmes et la violence domestique (Grevio) du Conseil de l’Europe vient de publier son dernier rapport sur la situation en France. S’il soulève quelques progrès réalisés ces dernières années, il dénonce l’impunité des agresseurs et préconise une série de mesures nécessaires à la prise en charge des victimes : améliorer les enquêtes, le recueil des preuves, assurer l’accès à un examen médico-légal pour les victimes ou encore proposer un accompagnement psychologique.
Le rapport appelle également à l’introduction de l’absence de consentement dans la définition pénale du viol, comme défini par la Convention d’Istanbul de 2014. En débat depuis plusieurs années, cette révision permettrait de prendre en compte l’état de passivité des victimes, dû souvent à un état de choc, ou à l’ingestion de drogues et substances chimiques. Un projet de loi dans ce sens a été adopté en avril par l’Assemblée nationale et en juin par le Sénat, mais n’a pas encore été promulgué.
Sensibilisation au consentement
Les recommandations faites par le Grevio sont primordiales pour Isabelle Gillette-Faye, directrice générale de la Fédération nationale Gams (Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles, des mariages forcés et autres pratiques traditionnelles néfastes à la santé des femmes et des enfants). Elle estime notamment fondamentale cette introduction du consentement : « Le message est essentiel, ça va changer les rapports entre les filles et les garçons, explique-t-elle à Cuej.info. On parle de culture du viol, je voudrais parler de culture du consentement : si les enfants sont sensibilisés à ce sujet dès le plus jeune âge, il y aura un changement de paradigme. » Pour elle, l’éducation sexuelle doit aller de pair avec cette modification pénale
Mais malgré ce rapport fustigeant la France, Jérôme Moreau, vice-président et porte-parole de la Fédération France victimes, juge tout de même qu’elle est précurseure en matière de lutte contre les violences sexuelles. Il admet cependant que les financements manquent pour mettre en place certaines mesures, et appelle à la tenue d’un Grenelle mais aussi à une prise en charge plus rapide, notamment pour protéger les mineurs. « Nous souhaitons une recommandation de la Haute autorité de santé pour que des repérages soient systématiquement faits pour les violences à caractère sexuel, ce qui permettrait au personnel de santé de poser des questions à la victime et donc de les dénoncer le plus rapidement possible », développe-t-il.
L’Espagne, un modèle ?
Isabelle Gilette-Faye appelle à s’inspirer de l’Espagne, souvent perçue comme le modèle en ce qui concerne la lutte contre les violences faites aux femmes, notamment grâce à leur loi sur les violences conjugales. Elle prévient cependant : « On ne peut pas faire de copier-coller, il faut l’adapter à nos réalités locales. L’Espagne a un fonctionnement très différent du nôtre, puisqu’elle est composée de fédérations. Ce qui fonctionne très bien dans certaines régions est bien moins efficace dans d’autres. »
Traverser la crise
Alors que le pays n’a pas encore de gouvernement, Jérôme Moreau tient à rappeler que les ministères ne sont pas à l’arrêt : « Je fais partie d’un groupe de travail au ministère de la Justice. Tous les acteurs continuent de se réunir, même en l’absence de ministre, pour trouver des moyens de mieux accompagner les victimes. » Mais à l’heure où la crise socio-économique et politique menace de faire tomber le rapport aux oubliettes, le prochain vote du budget sera déterminant pour financer les mesures exigées par le Grevio.
Lucie Porquet
Édité par Quentin Baraja