Le procès de l'affaire Puerto, qui a commencé le 28 janvier à Madrid, se termine mardi. On attendait que le principal accusé, le docteur Fuentes, vide son sac et lâche des noms. Raté.
Après les aveux de Lance Armstrong, le procès de l'affaire Puerto devait être le nouveau tournant dans la lutte contre le dopage. Révélations, noms, techniques, tout aurait pu être dit. Seulement, Eufemiano Fuentes, surnommé « Le Mage » - celui qui a dopé des sportifs pendant de nombreuses années - n'est pas jugé pour dopage. Pour cause, l'Espagne n'était pas dotée d'une loi antidopage à l'époque de son arrestation, en 2006. Aujourd'hui, ce qui intéresse la justice espagnole, c'est de savoir si le docteur Fuentes a mis en danger la santé de ces sportifs. Pas suffisant pour tout savoir du « système Fuentes ». Alors, qu'a-t-on appris ?
Il faudrait être naïf pour croire le contraire. L'affaire Puerto éclabousse tous les sports, et pas seulement le cyclisme. Mais c'est dans cette discipline que les scandales éclatent toujours. Parce que la lutte antidopage y est plus sévère qu'ailleurs. Mais Fuentes l'a dit lui-même : « J’ai eu d’autres sportifs que des cyclistes comme clients : des footballeurs, des tennismen, des boxeurs, etc... ».
Ça y est, tout le monde hurle. Haro sur le sport espagnol ! Les Ibères qui gagnent tout depuis une dizaine d'années - tennis, football, basket, entre autres - seraient donc tous chargés comme des mules ! Un raccourci facile. Car il est avéré que dans le cyclisme, des coureurs étrangers ont collaboré avec le docteur Fuentes. Il en est sûrement de même dans les autres sports. Aucun nom n'a été donné, mais les choses sont claires. Cependant, le nom d'un club espagnol ressort au moment du procès : la Real Sociedad. Selon le journal espagnol As, l'ancien président du club basque, Inaki Badiola, a affirmé que l'inscription « Rsoc » sur des documents du docteur Fuentes, faisait sans doute référence à son club.
Quelle surprise ! Santiago Botero, ancien coureur de l'équipe Kelme, T-Mobile et Phonak, a été client d'« Eufe ». Une révélation qui n'en est pas vraiment une tant on pouvait s'en douter. Le Colombien avait été écarté de la Phonak en 2006 lorsqu'a éclaté l'affaire Puerto. Botero s'était révélé à la Kelme qui avait pour médecin chef....le docteur Fuentes. C'est néanmoins grâce à l'audition des écoutes téléphoniques lors du procès que son implication a pu être confirmée.
« Aujourd'hui, tu l'as fait ou tu ne l'as pas fait ? » demande Fuentes au téléphone à Botero, qui court alors le Tour de Catalogne. « Je l'ai déjà préparé et j'allais le faire », répond le Colombien, qui reçoit alors un contre-ordre de Fuentes. « Ecoute, moi, je te conseille de le faire demain (...) Comprends-moi bien : ça, ce n'est pas pour marcher mieux, mais pour créer la base pour avancer. Donc c'est mieux si tu le fais une fois bien fatigué, comme après l'étape de demain ».
Prenez un cobaye, Jesus Manzano, de la Kelme (encore). Administrez-lui lors des courses des hormones de croissance ou de l'hormone féminine (HMG) voire de l'Androgel (testostérone), un peu de cortisone, et pourquoi pas de l'Actovegin (sang de veau), de la nandrolone, et pour faire baisser l'hématocrite, de l'EPO russe et chinoise et albumine. Attendez le résultat, et regardez un coureur à terre.
En 2003, lors de l'étape de Morzine sur le Tour de France, Jesus Manzano est victime d'un malaise et s'écroule en pleine course. Il sera emmené d'urgence à l'hôpital.
« Durant l'étape je m'échappe, mais je commence à me sentir mal, mal, mal et je m'évanouis », a expliqué le coureur lors du procès. « On m'a emmené à l'hôpital où les directeurs sportifs sont venus expressément me voir pour me dire de ne surtout pas dire ce qu'on m'avait donné, qu'à cause de cela, en France, on risquait tous la prison. »
Tous ces produits étaient administré par Eufemiano Fuentes, sa soeur Yolanda et un autre médecin, Walter Viru, selon l'ancien coureur. Jesus Manzano affirme « qu'il y aurait pu avoir un mort ».
Mercredi, un pistard espagnol a été entendu au tribunal. Comme pour Santiago Botero, Jose Antonio Escuredo pourrait bien être confondu par les écoutes téléphoniques. Il ne s'agit pas de n'importe qui, puisqu'Escuredo avait décroché la médaille d'argent de Keirin aux Jeux olympiques d'Athènes en 2004 (voir la vidéo).
Le coureur espagnol, comme beaucoup d'autres cyclistes soupçonnés, se défend en soutenant que sa relation avec le docteur Fuentes se limitait à l'utilisation de produits légaux.
Un simulacre. Une parodie. Une mascarade. Les observateurs n'ont que très peu goûté la façon dont la justice espagole a géré cette affaire. Les zones d'ombre sont nombreuses. Il faut dire que dans cette histoire, l'Espagne a beaucoup à perdre. Dans un pays qui vit depuis cinq ans au rythme du chômage, des expulsions et de la précarité, le sport est le dernier ressort d'une fierté nationale mise à mal. Rafael Nadal, Alberto Contador, le FC Barcelone, l'équipe nationale de foot et de basket, Fernando Alonso, Dani Pedrosa... et la liste n'est pas exhaustive. C'est simple : depuis presque dix ans, les Espagnols gagnent presque tout. De quoi alimenter les soupçons. Et lorsque Eufemiano Fuentes est arrêté, la péninsule ibérique tremble. Elle est depuis rassurée.
Bien avant le début du procès, des éléments paraissaient bien troubles. Sur les 224 poches de sang saisies par la Guardia Civil, seules 173 sont conservées au laboratoires antidopage de Barcelone. Personne ne sait où sont les autres. Cette même Guardia Civil qui a d'ailleurs rendu à Fuentes son carnet où figurait tous les noms de ses clients, plutôt que de le confier à la justice.
Lors des audiences, la mauvaise volonté de la justice est apparue au grand jour. Lorsque le principal accusé annonce qu'il a des clients dans d'autres sports que le cyclisme, la juge Julia Patricia Santamaría ne réagit pas. Fuentes va encore plus loin. « Je suis toujours en mesure de donner le nom des athlètes à qui appartiennent les poches de sang grâce aux codes numériques inscrits dessus », mais la juge reste muette. « La demande ne sera pas prise en compte », répond-elle à l'avocat du CONI (Comité olympique italien) qui veut obtenir des noms.
Ce procès qui devait être le grand déballage restera un leurre. Il ne faut pas s'attendre à un revirement de situation d'ici la fin du procès le 12 mars. Le jugement sera rendu le 22. Pour « délit contre la santé publique », les accusés risquent deux ans de prison. L'Espagne, elle, joue sa crédibilité alors que Madrid est candidate pour les Jeux olympiques 2020.
Thibaud Métais