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La future présidence française souhaite donner plus d'autonomie à l'Union européenne: préparation et conduite d'opérations civiles et militaires, financement accru, davantage de moyens humains et matériels... Une indépendance qui ne sera effective qu'avec une coordination UE/OTAN. Et qui passe, peut-être, par un retour de Paris au sein du commandement intégré de l'Alliance atlantique. Jean-David Levitte en éminence grise.

Jean-David Levitte, éminence grise

Le sherpa de Nicolas Sarkozy est discret mais très influent sur des sujets brûlants tels que les infirmières bulgares ou sur des dossiers européens concernant notamment la stratégie de sécurité et de défense européenne.

«Diplomator». Ce surnom, Jean-David Levitte, aujourd'hui conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy, l'a acquis au fil de sa carrière. Réputé compétent, exigeant et polyvalent, il est surtout connu pour avoir contribué au réchauffement des relations franco-américaines après le différend sur l'intervention en Irak.
Ambassadeur à Washington de 2002 à 2007, Jean-David Levitte influera certainement sur les relations entre la France, l'Europe et l'Otan. Une coopération qui pourrait être encouragée dans le livre blanc français sur la sécurité et la défense, rendu publique en mars prochain. Car Nicolas Sarkozy entend renforcer la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) de l'Union. En ce sens, «Jean-David Levitte joue un rôle clé dans les relations diplomatiques, notamment avec les USA, qui sont un préalable indispensable pour construire l'Europe de la défense», estime l'eurodéputé français Alain Lamassoure. Mais le «Français le plus connu aux Etats-Unis», comme l'a qualifié Nicolas Sarkozy, est mal identifié dans les instances européennes.

Les leçons du Congo

Javier Solana, haut représentant à la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC), a été mandaté le 14 décembre par le Conseil de l'Union européenne pour revoir cette stratégie conçue en 2003. Des interventions militaires rapides, un système multilatéral efficace ou encore la prévention des conflits et des menaces constituent les quelques éléments de la construction de cette stratégie.
Mais ce document est jugé «dépassé» par certains spécialistes de l'Otan. «Le vrai défi serait de dire comment il faut appliquer cette politique. Nous devons tirer les leçons des opérations européennes que nous avons effectuées en République démocratique du Congo ou en Bosnie par exemple, précise Karl von Wogau, président de la Commission défense du Parlement européen. Dans cette politique, certains éléments, comme le multilatéralisme effectif et la prévention des conflits doivent être conservés». Karl von Wogau compte d'ailleurs sur la France pour élaborer des propositions qui vont dans cette direction lorsqu'elle présidera l'Union européenne.

Le contrôle parlementaire piétine

Le deuxième signe qui tend à prouver l'intérêt de la France pour la stratégie de sécurité est la volonté de Nicolas Sarkozy de créer un Conseil national de sécurité (CNS). Jean-David Levitte, ancien sherpa de Jacques Chirac, était d'ailleurs pressenti pour diriger ce CNS calqué sur National Security Council, le modèle américain. Pour l'instant, le projet semble piétiner.
Des débats sur le marché de l'armement européen et un état-major d'opération permanent seront les autres dossiers phares traités par la présidence française en matière de sécurité et de défense. A ce titre, un des enjeux pour Paris sera de convaincre les 27 Etats membres de renforcer les capacités humaines et financières au sein de la cellule civile et militaire, située à Bruxelles, afin que l'Union européenne puisse mener des actions civiles ou militaires de manière autonome.
Autre chantier de la présidence, renforcer le dispositif de protection civile et ainsi mieux faire face aux catastrophes naturelles (feux de forêts, inondations, tsunamis, etc.). Un point néanmoins ne semble pas faire partie des priorités françaises, au vu de son absence dans les déclarations antérieures, il s'agit du contrôle parlementaire de la PESD. Un contrôle pourtant jugé nécessaire par de nombreux parlementaires.

Emmanuelle Ferrandini
à Paris
avec Pierre-Louis Lensel à Strasbourg

Idylle avec les think tanks

Entrés dans la dernière ligne droite avant la présidence, les Français tentent de s'intégrer dans le milieu élitiste et influent des think tanks. Un dialogue difficile, mais qui va en s'intensifiant.

Français et think tanks ne parlent pas toujours la même langue. Le 10 décembre, au sein du Centre for European Policy Studies, un des plus influents «centres de réflexion» bruxellois, Patrick Lachausée, représentant du ministère des Affaires Etrangères, a eu du mal à présenter la position française sur la protection diplomatique et consulaire des citoyens européens. Tout simplement parce qu’il ne maîtrisait pas assez bien l’anglais. Or la plupart des conférences et des débats tenus par ces groupes se font dans la langue de Shakespeare.
Les acteurs politiques français comprennent de plus en plus l’importance de leur participation aux travaux des think tanks. Car la politique européenne ne se construit pas seulement au sein des institutions consacrées, telles que la Commission, le Conseil ou le Parlement. Avant d’arriver sur la table des décideurs, les idées et les initiatives sont souvent élaborées et débattues dans le cadre de ces «réservoirs d’idées». Groupes indépendants de chercheurs et d’experts tentent d’anticiper et influencer la politique européenne, à travers des études scientifiques, des publications, des tables rondes, des conférences ou des séminaires.

Rattraper le retard

Très actifs aux Etats-Unis depuis le début du XXème siècle, les think tanks sont de plus en plus présents à Bruxelles. La France accuse du retard sur ce terrain. Ses premiers think tanks ont été créés dans les années 80. Les hommes politiques de l’Hexagone n'ont compris leur importance qu'à partir de 2000. Michel Barnier, ancien commissaire européen à la politique régionale, a été l'un de leurs principaux propagandistes. Aujourd'hui, cinq personnes du bureau de presse de la représentation permanente travaillent étroitement avec ces organismes. Philippe Ray, responsable de cette équipe, se charge d’assurer une présence française dans toutes leurs manifestations. Il liste toutes les activités des think tanks bruxellois. Et, s'il constate qu'aucun Français n'est invité, il essaye d'y envoyer quelqu'un. Le cas échéant, lui et ses collègues y assistent personnellement. Ils prennent des notes et les publient dans un magazine mensuel destiné à sensibiliser les politiques français. «Notre préoccupation est de savoir ce qui se dit et de prendre des idées. L’intérêt de la réflexion des think tanks, c’est qu’elle inclut le long terme, alors que les hommes politiques Français et Européens travaillent sur le court terme.»
Philippe Ray voit aussi dans ces laboratoires un outil de diffusion des idées défendues par la France. «On nous dit souvent que nos idées sont bizarres. Mais quand on les expose, elles sont assez bien perçues. Par exemple, lorsque les Français viennent à Bruxelles devant un think tank pour expliquer pourquoi Nicolas Sarkozy veut faire l’Union de la Méditerranée et le Comité des sages, ces idées font leur chemin.»
Un calendrier des think tanks européens à Bruxelles est mis à jour toutes les semaines sur le site de la représentation permanente.

A Bruxelles,

Mihaela Carbunaru

Présidence : ce que propose le traité

Le traité de Lisbonne fait du Conseil européen une véritable institution, avec à sa tête un président élu pour deux ans et demi. Il prévoit aussi l'élection d'un Haut représentant pour les Affaires étrangères.

À l'heure actuelle, les pays membres exercent la fonction présidentielle à tour de rôle. Le Conseil européen est présidé par le chef d'Etat ou de gouvernement du pays qui exerce la présidence pour six mois.
Chacun de ses ministres préside la formation du Conseil qui relève de ses compétences. Le ministre des Affaires étrangères occupe une place centrale dans ce dispositif.
Si le traité entre en vigueur à la date prévue, la France sera le dernier pays à assurer ce type de présidence.

Une Europe à têtes multiples

A l'entrée en vigueur du traité, le Conseil européen, qui devient une institution, élit à la majorité qualifiée un(e) président(e) stable, à plein temps, pour deux ans et demi, renouvelables une seule fois. Cette durée théorique de cinq ans correspond à celle des mandats du Parlement européen et de la Commission. Les noms de Jean-Claude Junker, Tony Blair et Anders Rasmussen sont aujourd'hui ceux qui circulent le plus.
Simultanément, avec l'accord de la Commission et l'approbation du Parlement, le Conseil élit, à la majorité qualifiée, un(e) Haut(e) représentant(e) de l'Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité (PESC). C'est lui qui présidera le Conseil des Affaires étrangères et celui des ministres de la Défense. Son adjoint présidera le comité politique et de sécurité, qui joue un rôle central dans la définition et le suivi de la réponse de l'Union européenne à une crise.
L'Eurogroupe est lui aussi doté de son propre président, également pour deux ans et demi renouvelables. Une mesure qu'il a choisi d'anticiper depuis septembre 2004, en élisant le Premier ministre luxembourgeois, également ministre des Finances, qui achèvera son second mandat le 31 décembre 2008.
La présidence tournante par les Etats membres demeure mais ses prérogatives, et donc sa visibilité politique, se réduisent comme peau de chagrin. Par contre, le poids de son représentant permanent à Bruxelles s'accroît.
La présidence tchèque pourrait être la première à essuyer les plâtres de cette nouvelle formule : reste à redistribuer les rôles, à préciser le contenu des fonctions, les moyens d'action et à mesurer les effets de concurrence qui s'y attacheront.

Katleen Marie Bilas

Conseil, Commission, Parlement : au marché des priorités

L’exercice des «priorités de la présidence», les milieux avertis en conviennent, relève surtout de l’art de l’habillage. «Window dressing», dit-on en eurolangue. Nicolas Sarkozy a décidé des siennes dès le 28 août dans son discours aux ambassadeurs français : ce seront le réchauffement climatique, l’énergie, l’immigration et l’Europe de la défense.
En réalité, de juillet à décembre, la présidence française aura à faire avancer des centaines d’actes, pour la plupart hérités des présidences antérieures. Une présidence n’a aucune chance de voir aboutir dans les six mois une législation qu’elle aurait elle-même suscitée au moment de sa prise de fonction. Il lui faut donc faire des choix parmi les actes déjà bien avancés. Et viser la convergence. Car la présidence du Conseil n’est pas seule à établir des priorités. La Commission, qui dispose de l’initiative, et le Parlement dont le poids législatif ne cesse de croître, sacrifient aussi à ce rituel.

14 paquets législatifs

Pour 2008, la Commission a décliné ses propres priorités dans sa «stratégie politique annuelle» dès le 21 février, au moment de proposer son avant-projet de budget. Couvrant en réalité 18 mois, elles sont réparties entre sept grands chapitres : priorités transversales, prospérité, solidarité, sécurité et liberté, l’Europe comme partenaire mondial, mieux légiférer, et améliorer la communication. Distribuées dans ce rubriquage: les 81 priorités d’un programme de travail, qui va de la révision du système de stock pétrolier de l’UE, à la mise en oeuvre d’une base de données centralisée d’empreintes digitales, en passant par l’installation d’une organisation commune de marché unique dans le secteur agricole, la poursuite des négociations d’élargissement avec la Croatie et la Turquie ou le maintien de l’engagement de l’UE en Afghanistan et de sa contribution à la stabilité dans le Golfe.
Ce programme a été détaillé le 23 octobre dans deux feuilles de route qui recensent 26 initiatives «stratégiques» et 61 dites «prioritaires». Ces propositions sont regroupées en 14 paquets mêlant actes législatifs (proposition d’une directive ou d’un règlement) et non-législatifs (livres verts, communications, plan d’actions). Parmi eux, les paquets «immigration», «asile» et «énergie», voisinent avec «forêts», «politique maritime», ou «médicaments».

Disparition d'une initiative chère au Parlement

Le Parlement européen met à profit cet exercice annuel d’anticipation pour arrêter ses propres priorités, en s’appuyant parallèlement sur ses 20 commissions spécialisées et ses sept groupes politiques. Le 12 décembre, dans une résolution commune en 62 points sur le programme de travail de la Commission, il faisait connaître le catalogue de ses choix pour 2008. S’il insiste sur la mise en oeuvre de la directive service ou la lutte contre la pauvreté, il met aussi l’accent sur le changement climatique, demande une association étroite à la définition d’une politique de l’immigration, tout en s’inquiétant de la disparition soudaine d’une initative promise : la création d'une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés. Un projet cher au commissaire Kovács et aux Français, mais sacrilège aux yeux du très libéral commissaire irlandais Mc Creevy, dont le pays affrontera cette année l’épreuve à risque du réferendum sur le traité de Lisbonne.

Loup Besmond de Senneville

La déclaration 9 sur l'exercice de la présidence

Déclaration ad article 9 C, paragraphe 9, du traité sur l'Union européenne concernant la décision du Conseil européen relative à l'exercice de la présidence du Conseil

La Conférence déclare que le Conseil devrait commencer à préparer la décision fixant les procédures de mise en oeuvre de la décision relative à l'exercice de la présidence du Conseil dès la signature du traité de Lisbonne et l'approuver politiquement dans les six mois. Un projet de décision du Conseil européen, qui sera adoptée le jour de l'entrée en vigueur dudit traité, figure ci-après :

Projet de décision du Conseil européen relative à l'exercice de la présidence du Conseil
Article premier

1. La présidence du Conseil, à l'exception de la formation des affaires étrangères, est assurée par des groupes prédéterminés de trois États membres pour une période de 18 mois. Ces groupes sont composés par rotation égale des États membres, en tenant compte de leur diversité et des équilibres géographiques au sein de l'Union.
2. Chaque membre du groupe assure à tour de rôle, pour une période de six mois, la présidence de toutes les formations du Conseil, à l'exception de la formation des affaires étrangères. Les autres membres du groupe assistent la présidence dans toutes ses responsabilités, sur la base d'un programme commun. Les membres du groupe peuvent convenir entre eux d'autres arrangements.

Article 2

La présidence du Comité des représentants permanents des gouvernements des États membres est assurée par un représentant de l'État membre qui assure la présidence du Conseil des affaires générales.
La présidence du comité politique et de sécurité est assurée par un représentant du haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.
La présidence des organes préparatoires des diverses formations du Conseil, à l'exception de la formation des affaires étrangères, relève du membre du groupe qui assure la présidence de la formation concernée, sauf décision contraire conformément à l'article 4.

Article 3

Le Conseil des affaires générales assure, en coopération avec la Commission, la cohérence et la continuité des travaux des différentes formations du Conseil dans le cadre d'une programmation pluriannuelle. Les États membres en charge de la présidence prennent, avec l'assistance du secrétariat général du Conseil, toutes les dispositions utiles à l'organisation et à la bonne marche des travaux du Conseil.

Article 4

Le Conseil adopte une décision établissant les mesures d'application de la présente décision.

Tourner à trois

Le système de présidence tournante de l’Union européenne a fait son temps. «Il faut en moyenne 23 mois pour faire aboutir un texte au niveau communautaire. Autant dire que les six mois de la présidence ne sont pas suffisants», explique Michael Christophe, adjoint au chef de cellule de la présidence française du secrétariat général des Affaires européennes.
Pour y remédier, en plus de la présidence permanente, le traité de Lisbonne met en place une présidence conjointe de trois pays, qui dirigent ensemble pendant 18 mois le Conseil de l’Union européenne. Cet organe regroupe pas moins de 800 ministres qui se croisent épisodiquement lors d’une présidence semestrielle! Difficile dans ces conditions de faire jeu égal avec le Parlement et à la Commission, tous deux en place pour cinq ans. Il fallait donc stabiliser la machine.

« Apprendre en marchant »

L’ordre de rotation a été révisé afin que chaque trio commence par un «grand» et que les nouveaux soient encadrés par deux anciens. Le premier trinôme, l’Allemagne, le Portugal et la Slovénie, achèvera son mandat en juin 2008. La France, la République Tchèque et la Suède suivront. Première étape pour s’entendre : faire une proposition de programme sur 18 mois. Officiellement, depuis le 20 septembre, des groupes de négociateurs ont été mis en place dans ces trois pays.
Le système n’est cependant pas tout à fait au point : «Difficile pour l’heure de cerner tous les sujets qui dépassent les 18 mois. Comme ce programme a été mis en place seulement avec l’Allemagne, nous apprenons en marchant, explique Michael Christophe. Mais 80% du programme d'une présidence est hérité des précédentes.»
A l’heure actuelle, la lutte contre le réchauffement climatique, l’énergie, la PAC, l’immigration ou encore l’Europe citoyenne feront partie des priorités du trio France, République Tchèque et Suède. En 2008, les responsables politiques se rencontreront donc afin d’évoquer tous les grands sujets en vue d’établir une synthèse des propositions communes pour fin mars. Un récapitulatif sera officellement rendu public fin juin 2008 quelques jours avant le début de la présidence française.

Sarah Bernuchon

Présidence : mode d'emploi

Le «manuel de la présidence» l’en avertit : la présidence du Conseil de l’Union ne sera pas pour la France l’occasion d’imposer sa volonté. Mais tout simplement l’opportunité d’attirer la reconnaissance pour sa capacité à prévenir les souhaits de ses partenaires et sa diligence à les conduire vers des compromis qui feront avancer l’Union. Parfois au prix des intérêts français, les plus faciles à sacrifier en cas d’impasse.

Honnête courtier

Nicolas Sarkozy, lorsqu’il présidera le Conseil européen, devra oublier qu’il est le chef d’un Etat membre. La voix de la France, en effet, ne lui appartiendra pas. Elle proviendra d’un autre siège, occupé par un de ses ministres. Et il en sera de même pour toutes les formations du Conseil, ou pour les quelque 200 groupes de travail que présideront les fonctionnaires de la représentation permanente, en amont des sessions ministérielles.
Cette distribution des rôles, prévient le secrétariat général du Conseil, doit être respectée en public. Aussi suggère-t-il de recourir à deux porte-parole pour éviter les malentendus. La France, selon le Quai d’Orsay, a choisi d’écarter cette solution.

Administrateur dévoué

Face à l’énorme machinerie du Conseil, qui brasse en six mois quelque 800 ministres et plusieurs milliers de fonctionnaires nationaux, la présidence ne dispose d’aucune prééminence. Elle s’exerce à travers des pouvoirs purement procéduraux, appuyés pour l’essentiel sur le réglement intérieur : arrêter des dates, rédiger un programme de travail, établir des ordres du jour, distribuer des temps de parole, décider de passer au vote. Bref, administrer, servir utilement. Ou courir à la catastrophe. Dans cette fonction exténuante, les services du secrétariat général sont un appui indispensable. Car si la règle du jeu est simple, elle requiert de l’expérience : il faut enregistrer les positions de chacun, isoler les plus gros obstacles, et parvenir à les contourner pour trouver la formule de compromis. Avec un objectif : le consensus à 27. Et sans braquer la Commission.
Il ne faut surtout pas oublier, dès les premiers instants, le respect dû au Parlement, codécision oblige. La présidence ne doit pas seulement y représenter le Conseil en session, ses ministres auront aussi à se soumettre aux auditions de ses commissions, tandis que ses fonctionnaires nationaux dirigeront la rédaction des réponses à ses questions écrites et orales. Le tout sans jamais hausser le ton, sous peine de cuisantes mésaventures lors des comités de conciliation où se négocient durement les compromis sur la législation entre les deux institutions.
Autant dire qu’une bonne présidence se prépare de longue date, par une intense présence aux interminables réunions des Conseils, pour gagner la confiance du club. Et qu’il est avisé pour les ministres de hanter des mois à l’avance les couloirs de Strasbourg ou du «caprice des dieux», sobriquet affectueux inventé par les autochtones pour désigner le palais monumental que les eurodéputés se sont octroyé à Bruxelles.

Représentant extérieur

La présidence représente aussi l’Union à l’extérieur, aux côtés du Haut représentant et du président de la Commission. C’est à elle qu’il revient de défendre la position communautaire au sein des organisations internationales, dans les relations bilatérales et de réagir aux crises internationales. C’est un moment intense de mobilisation de sa diplomatie, chargée aussi de réunir régulièrement les représentants des 27. Lorsqu’elle a la taille critique pour assurer une présence à l’étranger, ce qui n’est pas le cas de la Slovénie. C’est pourquoi les diplomates français auront une longue année : dès janvier, ils assureront ce travail pour la présidence slovène dans 120 pays.

Mihaela Carbunaru

Feuille de route 2008

1er JANVIER : présidence slovène.
8 JANVIER : le gouvernement slovène reçoit la Commission.
13 et 14 MARS : Conseil européen.
19 et 20 JUIN : second Conseil européen.
FIN JUIN : publication des priorités de la présidence française et du programme conjoint des présidences française, tchèque et suédoise. Le Comité des représentants permanents publie les ordres du jour prévisionnels de chaque réunion du Conseil pour les six prochains mois.
30 JUIN : fin de la présidence slovène.
1er JUILLET : présidence française. A Paris, réception du Collège des commissaires européens et cérémonie à l’Arc de triomphe.
10 JUILLET : Nicolas Sarkozy présente les priorités de la présidence au Parlement européen.
JUILLET-SEPTEMBRE : les commissions du Parlement européen auditionnent les ministres français.
15 et 16 OCTOBRE : Nicolas Sarkozy préside le Conseil européen.
21 OCTOBRE : le président français dresse le bilan du Conseil européen devant le Parlement européen.
11 et 12 DECEMBRE : au Conseil européen, nomination du président du Conseil européen et du Haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité.
17 DECEMBRE : Nicolas Sarkozy dresse le bilan de la présidence française au Parlement européen.

A partir de 2009

1er JANVIER : entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, si le processus de ratification a abouti ; début de la présidence tchèque.

Sous la présidence française, plusieurs sommets entre l’Union européenne et les pays émergents pourraient se tenir en France avec la Chine, la Russie et l’Inde.

Présider le Conseil de l'Union, c'est jongler avec les agendas et les tableaux de bord. Trouver des compromis entre ses priorités, celles des autres institutions de l'Union et les attentes des Etats membres. L'exercice a ses règles d'or et favorise les maîtres en jeux d'influence. Aux manettes, un homme d'expérience: Jean-Pierre Jouyet.

 

Jouyet, un joker dans la manche

Secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, Jean-Pierre Jouyet est parti en éclaireur depuis mai, sans attendre que le gouvernement ou ses administrations soient prêts. Portrait d'un homme orchestre qui se dépense sans compter.

Il est parfois présenté comme le meilleur atout de Nicolas Sarkozy pour préparer en moins d’un an la présidence française de l’Union (deuxième semestre 2008). Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’Etat aux Affaires européennes et chargé des relations franco-allemandes, emprunte au président de la République, qu’il dit « admirer », la bougeotte et l’action à outrance. Certes moins médiatique, il n’en reste pas moins l’un des secrétaires d’Etat les plus importants du gouvernement.
Comme son «patron», Bernard Kouchner, il fait partie des ministres d’ouverture. Ancien proche de François Hollande, membre des Gracques (groupe de réflexion social-libéral qui a soutenu François Bayrou lors de la présidentielle), il a été directeur du cabinet de Jacques Delors lorsque celui-ci présidait la Commission européenne. En le nommant, Nicolas Sarkozy a voulu valoriser l’action européenne. «Une priorité de son quinquennat», affirme-t-on à l’Elysée. Ainsi, jamais un secrétaire d’Etat n’avait été autant interviewé : 69 fois en six mois. Au Quai d’Orsay, on explique «son arrivée a donné une impulsion nouvelle aussi bien en terme d’opinion publique que de réactivité des chefs d’Etats». Dans l’ombre de Nicolas Sarkozy, le «serviteur de l‘Europe», comme il s’appelle, traite avec toutes les chancelleries dans les couloirs européens.

Délocalisé à Bruxelles

Son point fort : ce premier de classe dispose de réseaux denses où se côtoient les plus grands noms de la République et des affaires. «Il connaît tout le monde», confie l’un de ses collaborateurs. A la Commission Delors, il s’est imposé dans le milieu européen et y a gagné sa légitimité et sa connaissance du mécanisme communautaire. Inspecteur général des finances, il a des relais dans toute la haute fonction publique, a côtoyé les grands noms de l’entreprise et s’est spécialisé dans la fiscalité. Autant de domaines et de contacts qui servent à la préparation de la présidence. Lors de ses déplacements à Bruxelles ou au Parlement européen il détermine la grille de travail commune, avec ses homologues slovènes (qui présideront l’UE en janvier) ou tchèques et suédois (qui présideront en 2009).
Pour une fois, il n'est pas ici comme technicien. Il impulse et porte le message de la France. Il est le porte-parole européen de l’Elysée. Rares sont les capitales européennes qu’il n’a pas visitées depuis son arrivée au Quai d’Orsay en mai dernier. Au total, 27 voyages officiels en six mois. Sans parler de Bruxelles, sa seconde maison. Dès juin, Claude Guéant, secrétaire général de l’Élysée, affirmait : «Le président veut qu’il passe la moitié de son temps à Bruxelles où la France est trop absente.» Dans la capitale européenne, Jean-Pierre Jouyet travaille en coordination avec Pierre Sellal, représentant permanent de la France (l’ambassadeur auprès de l’UE). Le premier avec les politiques, le deuxième avec les diplomates. Chacun sa partition pour une exécution concertée.
Lui rencontre les commissaires, les eurodéputés, ses homologues du Conseil affaires générales, et Javier Solana (Haut représentant des affaires étrangères pour l’UE). Au total, plus d’un millier de réunions, dont les grands thèmes doivent être programmés, seront organisées durant la présidence française du Conseil de l’Union.

Occuper le terrain

Ce passionné de l'économie immatérielle a fait de son secrétariat d’Etat un échangeur grâce à la confiance du président de la République. Il s'y distingue ainsi de ses derniers prédecesseurs aux marges de manœuvre restreintes. Déjà en mai, dans la lettre de mission qu’il adressait à Bernard Kouchner, le chef de l’Etat insistait sur la confiance qu’il portait à Jean-Pierre Jouyet, et la nécessité de lui laisser les mains libres sur les affaires européennes. Il est en lien direct avec l’Elysée, soit via Jean-David Levitte, conseiller diplomatique, soit directement avec Nicolas Sarkozy.
Son décret de nomination, lui donne autorité sur le Secrétariat général des affaires européennes pour coordonner l’action gouvernementale en matière d’Europe. Mais il tient aussi aux relations avec le Parlement répondant aux questions au gouvernement, ou se livrant aux auditions des délégations pour l'UE (quatre fois au Sénat et huit fois à l’Assemblée nationale, en six mois). Bref, il occupe le terrain en attendant que les ministres concernés se mettent en jambe.
Embarqué pour dynamiser la présidence française de l’UE, il ne disparaîtra pas au 1er juillet mais en sera le porte-parole aux côtés de Bernard Kouchner et Nicolas Sarkozy.

Matthieu Poissonnet

Le traité poursuit sa route devant les parlements nationaux

Le traité de Lisbonne est signé, reste encore à le ratifier. La quasi-totalité des Etats membres ont choisi la voie parlementaire, en vue d’une entrée en vigueur au 1er janvier 2009.
En France, le gouvernement s’est fixé pour objectif une ratification par le Parlement avant le 9 février 2008. Dès le 14 décembre, le Conseil constitutionnel a été saisi pour examen. S’il estime qu’une révision de la Constitution est nécessaire, le projet de loi constitutionnelle sera présenté en conseil des ministres le 2 ou le 9 janvier, avant d’être soumise à discussion à l’Assemblée nationale puis au Sénat, les 14 et 28 janvier. Pour l’approuver, le Parlement sera réuni en Congrès à Versailles, le 4 février. Trois cinquièmes des suffrages exprimés sont requis.
Une fois la révision constitutionnelle adoptée, le gouvernement présentera un projet de loi autorisant la ratification du traité de Lisbonne qui sera soumis au vote des deux assemblées, à la majorité simple.

Un seul référendum, en Irlande

Dans l’autre pays du «non» au projet de Constitution européenne, les Pays-Bas, c’est aussi la voie parlementaire qui est privilégiée, alors qu’en 2005 le pays avait opté pour le référendum.
Seule l’Irlande est tenue par sa Constitution d’organiser un référendum. Elle entend le faire le plus tard possible. Partout ailleurs, on s’achemine vers une procédure de ratification par les parlements nationaux. Chose déjà faite en Hongrie le 17 décembre.
Des incertitudes fortes persistent sur l’issue du vote au Royaume-Uni ; et les gouvernements tchèque, danois et polonais laissent encore planer le doute sur le mode de ratification qu’ils choisiront.

Fabien Mollon

Un document de 281 pages

A l’initiative de son président Axel Poniatowski, la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale a établi une version consolidée du traité de Lisbonne. Ce document de 281 pages intègre les modifications apportées par le traité de Lisbonne aux traités précédents. Il est téléchargeable sur le site de l’hémicycle. Pour plus de confort, l’internaute peut commander la version papier du texte pour 6,50 euros.
Ce document de travail est destiné aux députés et aux sénateurs français afin de leur permettre une lecture simplifiée pendant l’examen parlementaire, qui devrait aboutir le 8 février 2008.
Seule la dernière version «originale» du traité de Lisbonne, tel qu’il a été signé par les chefs d’Etat et de gouvernement des 27, a une valeur juridique et fera référence si le traité entre en vigueur.

Un jeu de piste

La France est le premier Etat membre à proposer à ses citoyens une version consolidée du traité de Lisbonne. «Nous voulions être les premiers, explique François-Xavier Priollaud, administrateur de l’Assemblée nationale auprès de la commission des affaires étrangères et auteur du texte. Depuis que nous l’avons mis en ligne, d’autres pays francophones nous en ont demandé une copie».
«Il a fallu faire un jeu de piste. Le texte représente environ deux jours et demi de travail et m’a demandé beaucoup de concentration», raconte François-Xavier Priollaud.
Pour établir ce texte, la commission des affaires étrangère de l’Assemblée nationale s’est basée sur les documents approuvés par la conférence intergouvernementale le 18 octobre 2007. Il ne tient donc pas compte des ajustements rédactionnels apportés depuis cette date par les juristes linguistes du Conseil de l’Union européenne. «Après un sondage autour de moi, ces ajustements ne représentent pas grand-chose. Un paragraphe scindé en deux par exemple. A 99,99%, c’est le même texte», estime François-Xavier Priollaud.
La numérotation utilisée par la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale est celle qui figurera dans les versions consolidées du traité sur l'Union européenne (TUE) et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), s'ils entrent en vigueur.
Cette opération de numérotation s'appuie sur le tableau de correspondance publié en annexe de la version du Conseil.
Les références aux traités mentionnées dans ce dossier renvoient au document de l'Assemblée Nationale.

Antoine Krempf, à Paris

Sénat: le rapport Haenel sur le traité de Lisbonne  

Assemblée nationale: Le rapport Lequiller sur le traité de Lisbonne  

EDITO

La sécurité pour étendard
 

Le 1er juillet 2008, la France prendra la présidence du Conseil de l’Union européenne pour la douzième fois. Depuis plus d’un an, la Représentation permanente, à Bruxelles, et le secrétariat général des affaires européennes, à Paris, fonctionnent à plein régime. Et la pression monte dans les ministères. Car une présidence du Conseil ne s’improvise pas. Et l’équipe française a très peu de temps pour être au point, par la faute d'un calendrier électoral tardif. Branle bas de combat, donc, dans la haute administration nationale, pressée de se mettre en rangs serrés.
Nicolas Sarkozy veut faire de cette présidence un moment clef de son quinquennat, sa campagne d’Europe. Avec un enjeu martelé à l’envi : «la France est de retour en Europe» après un long crépuscule à Bruxelles.
Dans un discours ultra-politique sur les priorités de la présidence française prononcé le 13 novembre 2007 devant les eurodéputés à Strasbourg, il a tenu à revenir sur les causes du «non» français: l’angoisse, «le sentiment que l’Europe ne protégeait plus assez ses citoyens. L’Europe ne peut pas être tenue à l’écart de la vie, à l’écart des sentiments et à l’écart des passions humaines.» Conséquence ? Il faut aller chercher ces citoyens et les rassurer. La méthode ? Politique, évidemment.
Le credo de cette présidence en deux mots: protection et sécurité. Préférence communautaire, défense, diplomatie de combat, régulation des marchés financiers, immigration, les thèmes et les priorités annoncés par Nicolas Sarkozy sont des lancers de lassos vers les déçus de l’Europe. Quitte à se fâcher avec les autres capitales: «Nous avons des idées et des points de vue différents. Et bien, ce n’est pas une raison pour ne pas en parler», a-t-il professé devant les parlementaires éberlués. Jamais un chef d'Etat ne leur avait parlé ainsi.
Pour faire aboutir ces dossiers, la France fait un pari: l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er janvier 2009. Enfin peut-être. Car rien n’est joué.
Sur le plan international, il faudra faire avec deux rendez-vous majeurs: les Jeux Olympiques de Pékin en août 2008 et les élections présidentielles aux Etats-Unis en novembre. Deux événements qui touchent de près aux priorités françaises: relations avec les pays émergents et refondation du lien transatlantique. Le Kosovo, lui, restera la zone de tous les dangers.
Mais la présidence française a aussi quelques atouts dans la manche. Elle pourra notamment jouer la carte de la Commission européenne et du Parlement. Les deux institutions, en fin de législature, auront à cœur de faire aboutir leurs programmes politiques. Un moment providentiel pour aboutir à des compromis de velours sur des dossiers brûlants.
Le 31 décembre 2008, l’équipe de la présidence française aura passé six mois à la tête du Conseil. Mais c'est maintenant que tout se noue.
Qui fait quoi, où et comment? Aux avant-postes de la présidence française.

Antoine Krempf

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