Les menaces terroristes replacent le guerrier sur le devant de la scène. Aujourd'hui, le soldat au service de la démocratie est-il un technicien des armes ou un guerrier ?
Les étudiants du CUEJ ont mené l'enquête auprès des militaires du rang, des gradés et de leurs familles. Ils ont ausculté les motivations de ceux qui veulent s'engager. De la signature du contrat à la sortie de la caserne, ce travail balaye la vie des militaires. Le soldat des temps modernes s'éloigne de la figure du guerrier d'antan.
Des Ardennes à la Haute-Marne s’étend le croissant désertique du grand Est. Composé de petites communes rurales, cet espace concentre essentiellement des personnes à faible revenu, coupées des services publics. Un électorat qu’aimerait conquérir le Front national.
Avec ses 5,5 millions d’habitants et 57 000 km2, le territoire de la nouvelle région rassemble des zones géographiques aux profils très inégaux. Reims, Nancy, Metz, Strasbourg : chacune de ces villes est le moteur de son territoire périphérique. Mais entre celles-ci, un nombre conséquent de communes rurales affichent des indicateurs reflétant des inégalités territoriales. C’est le cas du « croissant désertique » qui descend du sud des Ardennes à la Haute-Marne, puis remonte vers la Moselle.
Population totale en nombre d'habitants
Le cœur de ce croissant, composé de la Meuse et la Haute-Marne, correspond à l’extrême nord de la « diagonale du vide », terme utilisé par la Datar pour définir la zone la moins peuplée de la France. Laquelle s’étend des Landes à la Champagne-Ardenne. Avec une densité de population de 31 habitants/km2 en Meuse et de 29,3 pour la Haute-Marne, cette bande se situe bien en-dessous de la moyenne nationale (117 habitants/km2). Verdun (19 000 habitants), Bar-Le-Duc (16 000) et Saint-Dizier (26 000) en sont les principaux foyers de population. La majorité du territoire est composée de petites communes, qui dépassent rarement plus de 2000 habitants. Le même schéma se dessine en Moselle, entre d’un côté les zones plus peuplées de Nancy et Metz et de l’autre l’Alsace.
Carte schématisant l'accès aux soins, du désert médical (blanc), à l'équipement complet (noir)
La dénomination de « désert » n’est pas uniquement due à la répartition de la population. Une grande partie du croissant manque d’accès aux soins, avec un nombre important de communes ne comprenant aucune infrastructure médicale. La présence d’équipements sportifs et culturels est aussi très ténue. Cette absence de services entretient l’image de territoires de « seconde zone », qui souffrent d’inégalités avec les grandes métropoles et leurs périphéries.
Carte schématisant la concentration en équipements sportifs
Des revenus nettement inférieurs
Les revenus médians reflètent également les inégalités entre ces campagnes et les villes importantes. Dans les territoires les moins peuplés, ils excèdent rarement 19 000 euros par an.
Le désert démographique et économique de la grande région s’explique en partie par son profil rural. La majorité des campagnes vit essentiellement d’une agriculture bovine et céréalière. Il existe toutefois des inégalités au sein de certaines zones rurales. En Champagne-Ardenne, les revenus du territoire comprenant les vignobles accrochés à la côte de l’Ile-de-France et aux versants de la vallée de la Marne sont plus élevés que dans le reste de la région.
Médiane des revenus disponibles par Unité de Consomation (UC)
Tous ces espaces déserts se distinguent aussi par une activité industrielle en déclin. Comme l’affirme André Gamblin dans son ouvrage La France dans ses régions, la crise de la sidérurgie commencée lors des années 1970 a touché la « vallée rouge » de la Meuse, la Marne moyenne et les Ardennes, notamment la diagonale entre Chaumont et Charleville-Mézières. Le secteur du textile, autrefois florissant dans les Vosges, a lui aussi été victime de la désindustrialisation.
« Il n’y a pas de secteur économique qui prend le relais de ces zones désertiques », souligne le géographe Christophe Noyé, coauteur avec Christophe Guilluy de L’Atlas des nouvelles fractures sociales. Cette perte de dynamisme économique provoque un vieillissement de la population de ces communes. Les plus de 60 ans représentent en effet plus de 30% de leurs habitants, alors que la moyenne nationale s’élève à 23,7%.
Un électorat visé par le FN
Les déserts de l’ACAL sont donc des régions en déshérence qui évoquent l'image de la « France profonde », ou encore la « France des oubliés », reprise à son compte par Marine Le Pen. C'est d'ailleurs dans la banlieue de Metz, en décembre 2011, que la candidate du Front National s'était autoproclamée porte-parole de la population de ces zones rurales : « Agriculteurs, chômeurs, ouvriers, retraités, habitants des campagnes françaises, vous êtes ces oubliés ». Cette volonté du FN de représenter la « France des oubliés » porte-t-elle ses fruits lors des scrutins dans ces déserts ?
Lors de l’élection présidentielle de 2012, le parti de Marine Le Pen a obtenu des scores supérieurs aux 24% dans une bonne partie des territoires du croissant désertique. Ces résultats sont encore plus remarquables dans plusieurs communes au nord de l’Aube, de la Haute-Marne et de la Meuse, où elle a réuni plus de 30% des voix. Le soutien électoral au FN a cependant été moins important dans le département de la Marne et au sud de la Haute-Marne. Le vainqueur lors du premier tour y a été Nicolas Sarkozy, avec des scores supérieurs aux 40%. Les électeurs des zones désertiques ont donc davantage soutenu le FN que la moyenne nationale (18,5%), mais ce soutien n’a été ni unanime ni distribué de manière homogène.
Selon Bernard Schwengler, chercheur à l’Observatoire de la vie politique en Alsace, le profil de l’électeur FN au nord-est est « une personne de condition ouvrière habitant dans une commune éloignée des grandes métropoles ». En analysant les données sur les revenus médians, on observe une correspondance entre les zones désertiques avec des faibles niveaux de richesse et le vote à l’extrême droite. Les communes les moins aisées de la Meuse, l’Aube et la Haute-Marne ont en effet plus voté pour le parti de Marine Le Pen que les zones prospères de la périphérie de Reims, qui ont préféré Nicolas Sarkozy.
Voter pour le centre-droit ou l’extrême-droite, c’est le dilemme politique de la plupart des habitants du croissant désertique. Une diagonale du vide qui semble avoir vocation à demeurer au sein de la grande région. « On n’observe pas une alternative à l'abandon économique et démographique des zones rurales », affirme Christophe Noyé.
Enric Bonet, Valentin Ehkirch, Clément Grégoire, Ismaël Halissat, Benjamin Hourticq et Théau Monnet
Trois régions, trois moteurs. Aux côtés du territoire alsacien, deux autres entités se démarquent : l'axe Thionville-Metz-Nancy-Epinal – le sillon mosellan – et l'agglomération de Reims. D’importances différentes, ces pôles dynamiques peuvent s’avérer complémentaires pour la grande région.
Taux d'emploi (en %)
Le sillon mosellan, un couloir dynamique
Après une période difficile de désindustrialisation, la Lorraine a connu une reconversion tertiaire entamée dans les années 1980. Né de ce changement, le sillon mosellan est un axe urbain orienté Nord-Sud, qui suit le double cours de la Moselle et de son canal, entre Thionville et Epinal. Acteur central de la future Acal, il est doté de deux grandes aires urbaines, celles de Metz et de Nancy, et concentre plus de 600 000 habitants.
Les deux agglomérations messine et nancéienne constituent les principaux pôles d'emploi de la région. « Dans le sillon lorrain, il y a de fortes mobilités domicile-travail. Les Messins vont travailler à Nancy, et inversement. Ce sont surtout des populations qualifiées, avec une concentration de cadres et de professions intellectuelles supérieures », confirme Julien Gingembre, géographe à l’université de Lorraine. La carte de proportion des cadres et professions intellectuelles supérieures montre que la plus grande partie des cadres se trouve dans le sud de l’axe : 25,5 % à Nancy contre 17,6 % à Metz. Soit légérement plus que la moyenne nationale qui se situe à 16,7%.
Proportion des cadres en Acal sur la population active (en %)
Cette répartition s’explique par les choix de développement des deux villes. Metz, implantée dans l’ancien bassin sidérurgique, a profité de sa reconversion vers le commerce et les services, notamment par sa proximité avec le Luxembourg. Nancy, plus axée sur le couloir mosellan, a une économie portée par l’administration publique, l’enseignement, la santé et l’action sociale qui rassemblent 40,5% des emplois. Le commerce, les transports, et les services en totalisent 46%. Un dynamisme qui attire les étudiants lorrains, trois-cinquièmes d'entre eux sont concentrés à Nancy. « Le sillon lorrain a été créé pour peser entre Paris et l’Alsace. Cette vocation va s’intensifier pour rivaliser avec Strasbourg dans le cadre de la grande région », assure Julien Gingembre. Si ce territoire parvient à contrebalancer le poids de la capitale alsacienne, c’est parce que les agglomérations ont réussi à trouver une certaine cohérence malgré des réalités différentes.
Bastions rouges dans la grande région bleue
Dans l’Acal, le sillon mosellan se distingue également par sa particularité électorale : de la frontière luxembourgeoise à Epinal on vote fortement à gauche. La carte des résultats additionnés de François Hollande et Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l'élection présidentielle de 2012 souligne ce comportement électoral singulier au sein de ce territoire.
Résultats cumulés de François Hollande et Jean-Luc Mélenchon (en %)
Le vote socialiste devient en partie un vote citadin, explique Etienne Criqui, professeur en sciences politiques à l'université de Lorraine. « L’électorat socialiste s’est métamorphosé, le vote de gauche séduit désormais les cols blancs. » De plus, la présence de bastions communistes en Meurthe-et-Moselle et à la frontière avec le Luxembourg influence encore aujourd’hui le comportement électoral du territoire.
Reims, trait d’union entre l’Île-de-France et l’ACAL
A l’extrême ouest de la grande région, forte de ses 179 992 habitants, Reims est la deuxième ville de la nouvelle grande région. Sa principale force réside dans sa proximité avec Paris. Depuis l’ouverture de la ligne grande vitesse (LGV) en 2007, elle n’est plus qu’à 40 minutes de la capitale. Elle compte ainsi se positionner en porte d’entrée de l'Acal.
Pour faire le trait d’union entre Paris et Strasbourg et contrebalancer la prédominance des zones dynamiques alsaciennes et lorraines, la métropole de Reims se rapproche de Châlons-en-Champagne. Les deux villes souhaitent s’unir au sein d’une même communauté urbaine, qui compterait environ 300 000 habitants. L’union devrait être actée dans les prochains mois.
Le sillon mosellan et l’agglomération rémoise ont toutes les capacités pour être des moteurs de la grande région. Mais ils n’atteignent ni la densité de population, ni le niveau de richesse du territoire alsacien qui s’impose comme le pôle économique principal. C’est d’ailleurs Strasbourg qui a été retenue comme capitale régionale.
Audrey Altimare, Romain Boulho, Justin Delepine, Hélène Gully, Mathilde Loire
Lors de l'élection présidentielle de 2012, le taux d'abstention s'est avéré particulièrement élevé dans les zones frontalières du Grand Est. Travail transfrontalier, chômage et forte présence ouvrière sont en partie responsables de ce phénomène.
32,11% à Forbach (Moselle), 26,63% à Sedan (Ardennes), 23,26% à Thionville (Moselle) : lors de l’élection présidentielle de 2012, certaines communes de la nouvelle région Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine (Acal) ont atteint des taux d'abstention records. Leur point commun : la proximité avec les frontières belge, luxembourgeoise, allemande ou suisse. Plusieurs facteurs socio-économiques expliquent la faible participation des citoyens de ces villes frontalières, visible sur la carte ci-dessous.
Taux d'abstention en 2012 (en %)
Ces forts taux d’abstention s’expliquent notamment par le nombre important de travailleurs transfrontaliers dans ces villes. En 2011, l’Insee recense près de 160 000 actifs résidant dans la région Acal et travaillant en dehors de la France métropolitaine, soit 6,1% des actifs de la nouvelle région. Il s'agit cependant d'un phénomène récent. « La France était historiquement un pays d'accueil pour les travailleurs frontaliers et cela s'est inversé dans les années 70 à cause de la crise », constate Philippe Hamman, sociologue à l'université de Strasbourg. La carte suivante illustre la mobilité transfrontalière en 2012.
Part des travailleurs transfrontaliers (en %)
Selon Rachid Belkacem, maître de conférences en économie à l’Université de Lorraine, l’abstention des travailleurs transfrontaliers est liée à un sentiment d’appartenance à l’Europe. « La majorité d’entre eux habite à moins de 20 km des frontières, constate Rachid Belkacem. Pour eux, elles sont gommées, il n’y a pas de rupture entre les deux pays. Ils ne ressentent donc pas le besoin de marquer leur appartenance au territoire national ».
Une tendance que l’on note particulièrement à la frontière luxembourgeoise. Le Grand-Duché attire le plus grand nombre de travailleurs transfrontaliers de la nouvelle région. En 2011, ils étaient 69 000 résidents de l’Acal à avoir un emploi au Luxembourg. Parmi eux, des cadres et des professions intermédiaires travaillant principalement pour des organismes financiers. Leurs revenus (carte des revenus visible sur cet article) sont donc plus élevés que ceux des autres frontaliers et ils bénéficient également de mesures salariales et fiscales avantageuses. Ce niveau de vie élevé se traduit ainsi par un désintérêt pour la vie politique nationale et aux urnes, par une forte abstention. Lors de la dernière élection présidentielle, Longwy a présenté un taux d'abstention de 28%. Or cette commune de 14 000 habitants, située à seulement six kilomètres de la frontière luxembourgeoise, compte 41,2% de travailleurs transfrontaliers.
Cependant, le sociologue Philippe Hamman nuance l'effet du sentiment d'appartenance à l'Europe. Pour lui, vivre aux frontières n'est pas forcément synonyme d'ouverture. « Etre en proximité avec l'autre peut au contraire conduire à faire une distinction entre les frontaliers des deux pays, ce qui peut amener soit à un vote pour un parti anti-Europe soit à l'abstention ».
Abstention et taux de chômage
Sur les 760 km de frontière qui séparent l’Acal des pays étrangers, d‘autres facteurs entrent en jeu pour expliquer les forts taux d’abstention. Les grandes zones industrielles telles que le nord de la Lorraine et des Ardennes s’abstiennent fortement. En cause : la désindustrialisation. Ces territoires ont, en effet, connu une dégradation progressive de l’emploi industriel, aggravée par la crise économique mondiale de 2008. Certaines communes frontalières présentent des taux de chômage (carte du chômage visible sur cet article) bien supérieurs à la moyenne nationale (9,8%). En Lorraine, fin 2011, ils s’élèvent par exemple à 25% à Forbach, 18% à Longwy, ou encore à 13% à Thionville. Même constat dans les Ardennes où le taux de chômage atteint 21% à Charleville-Mézières ou 28% à Sedan.
Selon la sociologue Céline Braconnier, il existe une corrélation entre le taux de chômage et l’abstention. « Les années 1980, au cours desquelles on enregistre une première décroissance électorale, sont bien celles de la montée du chômage, de l’extension de la crise industrielle, du début de la déstructuration du monde ouvrier et du développement des emplois précaires. Les années 1990 sont celles de la diffusion des effets de la crise. Les dernières années marquent une inflexion vers le haut de la tendance abstentionniste qui pourrait bien, également, correspondre aux prolongements politiques du dernier volet – financier – de cette crise. », explique-t-elle dans un article intitulé « Le vote et l’abstention en temps de crise » pour la revue Savoir/Agir en septembre 2011.
Part des ouvriers parmi les actifs (en %)
De plus, la classe ouvrière, bien représentée dans ces territoires, a tendance à s’abstenir davantage. Sur la carte ci-dessus, on remarque une forte présence des ouvriers aux frontières, en particulier dans les Ardennes et le Pays-Haut (Meurthe-et-Moselle). D‘après les chiffres de l’Insee, en Lorraine, un ouvrier sur cinq ne s’était pas déplacé pour les quatre tours de l’élection présidentielle et des législatives de 2012.
Jérémy Bruno, Estelle Pattée, Christelle Pravixay, Anna Riva et Elodie Troadec