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Les think tanks s'y intéressent

CICERO FOUNDATION - fondé en 1992, à Maastricht. Le groupe se propose de fournir un forum de débat sur toutes les grandes thématiques de l’actualité européenne. Il soutient l’adhésion et l’intégration des pays de l’Europe centrale et de l’est à l’UE. Récemment, le think tank a eu des lectures sur les sujets : comment combattre la criminalité internationale dans une Union élargie ? Quel rôle pour Europol ? Quelles mesures devraient prendre les gouvernements ?
OBSERVATOIRE SOCIAL EUROPEEN - fondé en 1984, basé à Bruxelles. Ses principales missions consistent à suivre l’évolution des politiques communautaires, en particulier des politiques sociales, et à analyser les dynamiques et les acteurs. Il veut contribuer à une meilleure compréhension - et par là à une meilleure maîtrise - des implications sociales de la construction européenne.
FONDATION ROBERT SCHUMAN - fondée en 1992, sièges à Paris et Bruxelles. Accompagne et établit des liens étroits avec les nouveaux entrants, les futurs candidats à l’adhésion et les pays voisins de l’Union européenne. Elle organise des débats à Bruxelles en partenariat avec « Friends of Europe ».

Le changement est majeur : le Parlement européen et la Cour de justice ont voix à part entière en matière de justice, liberté et sécurité.

L’immigration légale, la coordination policière et judiciaire passent du vote à l’unanimité au vote à la majorité qualifiée. Cela va faciliter la prise de décision sur ces matières, surtout dans le grand espace commun sans frontières intérieures de Schengen. Les gouvernements des Etats membres devront en revanche composer avec un Parlement européen codécisionnaire et seront soumis au contrôle de la Cour de Justice.
La disparition du cloisonnement entre matières intergouvernementales et matières communautaires produit des effets administratifs et organisationnels. L’Union doit notamment créer un comité de sécurité intérieure répondant au doux nom de COSI, qui aura à répondre de ses actes devant le Parlement. Au-delà, tous les groupes et organismes mis en place par le Conseil dans ce domaine sont affectés.

Solidarité, mutualité

Le traité vise à terme une gestion commune de l’immigration légale et illégale, assortie d’un principe de solidarité financière qui répartit les coûts entre les Etats accueillant plus ou moins de réfugiés (article 80) (1). L’Union rappelle également l’objectif de reconnaissance des décisions judiciaires au pénal comme au civil : une décision de justice prise dans un Etat doit être reconnue dans tous les autres. Elle peut même établir des règles communes minimales pour lutter contre la grande criminalité transfrontalière (article 83).

Pas touche au droit de la famille

Quand aux parlements nationaux, qui délèguent leurs principales compétences à l’Union dans ce domaine, ils doivent être systématiquement informés des procédures communautaires en cours et peuvent faire échouer celles qui ne respectent pas le principe de subsidiarité (article 69). Ils sont également associés au Parlement européen pour contrôler les activités d’Europol (2) et d’Eurojust (3).
Le traité dresse quelques garde-fous contre des empiètements excessifs: pas touche au droit de la famille par exemple, ni au droit de chaque Etat à déterminer le nombre d’immigrants accueillis sur son territoire ou aux mesures de coercition qui «relèvent exclusivement des autorités nationales compétentes».
Toujours dans le même ordre d’idées, la décision d’autoriser l’intervention des forces de police et de justice sur le territoire d’un autre Etat membre reste du domaine de l’unanimité.
Mais il suffirait d’un consensus des Etats membres pour lever ces barrières. Tout comme pour l’éventuelle création d’un parquet européen visant à «combattre les infractions» portant atteinte aux intérêts financiers de l’UE” (article 86). Le traité laisse donc des portes ouvertes pour avancer dans la communautarisation.
Et si le consensus fait défaut, reste la coopération renforcée : neuf Etats - au moins - peuvent décider de mettre en commun davantage de compétences dans un domaine précis.

(1) Tous les articles mentionnés se rapportent au traité sur le fonctionnement de l’UE.
(2) L’office de police criminel intergouvernemental qui facilite l’échange de renseignements entre polices nationales.
(3) L’organe européen chargé de faciliter la coopération judiciaire pénale.

Louise Fessard

Feuille de route 2008

JANVIER : propositions de la Commission sur la décision cadre sur l’échange de casiers judicaires et le règlement des frontières Schengen.
1er semestre : bilan de la Commission sur l’agence européeenne de contrôles des frontières FRONTEX.
MARS : propositions du «paquet frontières» par la Commission.
30 MARS : les frontières aériennes des neuf nouveaux Etats membres entrent dans l’espace Schengen.
AVRIL : propositions de la Commission sur les réglements de l’Autorité du système d’information Schengen deuxième génération (SIS II) et de Visa, réglement Eurodac.
JUIN : propositions de la Commission sur le régime commun d’asile. Rapport d’Europol et d’Eurojust au Conseil sur leur système d’information.
7-8 JUILLET : Conseil informel JAI à Cannes.
JUILLET : propositions du «groupe du futur» sur la politique de sécurité intérieure de l’Union (2009-2013).
Automne : entrée de la Suisse dans l’espace Schengen.
20 et 21 OCTOBRE : conférence sur les migrations et le développement (Rabat II) à Paris.
NOVEMBRE : trois propositions de directives de la Commission sur les conditions d’entrée et de séjour des travailleurs saisonniers, des stagiaires remunérés, sur les réfugiés.
11-12 DECEMBRE : Conseil européen. La France veut y faire adopter un Pacte européen de l’immigration.
Fin DECEMBRE : mise en service du SIS II.

A partir de 2009

1er JANVIER : le Parlement accède à la codécision en matière d’immigration légale, et de coopération policière et judicaire, ce qui le conduit à réformer les compétences de ses commissions. Le contrôle de la Cour de Justice s’étend aux actes arrêtés sur ces nouvelles bases à partir de cette date.

«Pour le SIS, l’élargissement est un non événement»

Bernard Kirch l’assure, c’est la routine ce jeudi 20 décembre au Système Central d'information Schengen (C-SIS) de Strasbourg. Pourtant, demain, Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, y inaugurera le nouveau SisOne4ALL et l’entrée de neuf nouveaux membres -sans Chypre- dans l’espace Schengen.
Pour le chef du C-SIS, commissaire divisionnaire, «l’ouverture des frontières est un événement mais l’élargissement de notre système en lui-même est un non événement. Pour nous, au C-SIS, cela ne change rien».
Et pour cause. Cela fait des mois que Bernard Kirch et les 35 agents du ministère français de l’Intérieur préparent techniquement l’élargissement du système qui relie polices et douanes, ici au Stockfeld, à l’intérieur d’un bâtiment rose et blanc, ultra-sécurisé et classé sensible.
L’équipement, la mise aux normes et la connexion des pays entrants dans l’espace Schengen à un SIS II était une condition à cet élargissement. Or celui -ci prenait du retard. Il a fallu tout l’allant du Portugal pour convaincre ses partenaires d’adopter une solution intermédiaire, baptisée SISOne4ALL et de se tenir au calendrier.

«Les Portugais ont joué un rôle central»

Selon Bernard Kirch, “les Portugais ont joué un rôle central. Ils ont cloné leur propre système national pour pallier les retards, ils ont développé le logiciel, installé les clones sur place, formé et permis aux nouveaux entrants de valider les tests du groupe d’évaluation Schengen”.
Entouré de grilles et de systèmes de détections électroniques, le C-SIS est interdit au public. Il faut, pour y pénétrer, passer un double contrôle et laisser ses empreintes digitales.
C’est au sous-sol, dans la salle informatique enterrée, que se situe la clef du nouvel élargissement de l’espace Schengen. Ici plus de 22,45 millions de données sont stockées, mises à jour et diffusées vers les systèmes nationaux (N-SIS) des 27 membres de l’espace Schengen, dont l'Islande et la Norvège. Ces transferts de données sont l'épine dorsale d' une «meilleure coopération judiciaire et policière entre Etats membres, qui doit faciliter la gestion des flux migratoires et maintenir un niveau élevé de sécurité».
C’est grâce au C-SIS, notamment, que dès le premier jour les douaniers des nouvelles frontières extérieures de l’espace Schengen filtrent les entrants, en vérifiant que les divers composants de leurs documents de voyage ne déclenchent aucun «hit» suspect dans le système. 78 % des données qui y figurent concernent en effet des documents volés, 13 % des véhicules et 5 % des personnes recherchées.
En décembre 2008, sous présidence française, le SIS II devrait être opérationnel. Bernard Kirch supervise déjà ses essais . D’ici là, le système d’information Schengen devrait compter un nouveau membre: la Suisse.

Martin Pierre
à Strasbourg

Les 8 bases d’une politique européenne d’immigration

Le 14 décembre 2007 à Bruxelles, les 27 chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union Européenne, réunis en Conseil européen, ont fixé le cadre d’une politique européenne globale en matière de migrations, reposant sur 8 bases, dont le contenu reste à détailler à l’horizon de la fin 2008:
- Coopérer avec les pays tiers pour assurer l’expulsion et la réadmission de leurs ressortissants.
- Favoriser une immigration du travail.
- Lutter contre le travail illégal clandestin en poursuivant en justice les employeurs de travailleurs en séjour irrégulier.
- Renforcer les conditions de franchissement des frontières extérieures.
- Définir une politique commune d’expulsions.
- Fixer un statut unique pour les demandeurs d’asile.
- Etablir une politique d’intégration des immigrés.
- Passer des accords sur les visas et l’expulsion de ressortissants avec quatre pays des Balkans (Bosnie-Herzegovine, Macédoine, Monténégro et Serbie) ainsi que l’Ukraine, la Moldavie, l’Albanie.
A charge de la présidence française de négocier avec les autres Etats membres les termes précis du contrat qui engageront les 27 dans ce pacte commun de l’immigration.

Julie Algre

Conclure un pacte sur l'immigration

Le gouvernement Prodi l’a annoncé mi-décembre. L’Italie accordera 170 000 permis de séjour à des travailleurs migrants en janvier 2008. Un moyen de régulariser les travailleurs clandestins, nombreux dans le secteur d’aide à la personne. Cette régularisation massive suscite des critiques du côté des Etats membres. Selon Thierry Mariani, député et vice-président de la délégation de l’Union européenne à l’Assemblée nationale, «avec l’espace Schengen, la régularisation massive dans un pays a des répercussions sur ses voisins européens. Il faut que l’Union européenne fixe des règles communes».
C’est l’objectif clair du pacte européen de l’immigration que Nicolas Sarkozy espère conclure sous la présidence française. En visite à Madrid, le 10 octobre 2007, le ministre de l’Immigration Brice Hortefeux, a fixé les trois piliers de ce socle commun de la gestion des flux migratoires : «Le refus des régularisations massives, l’harmonisation des régimes communs d’asile, des négociations sur les accords de réadmission». Ces trois grands principes font déjà l’objet de négociations au sein des institutions de l’Union européenne. Tel que présenté, le programme du pacte d’immigration français remporte un consensus.
«Le Royaume-Uni soutient la France pour ne plus effectuer de régularisation massive de sans-papiers dans l’UE», explique un haut-fonctionnaire britannique. Mais le cas anglais interroge sur le cadre futur du pacte de l’immigration : concernerait-il l’espace Schengen (espace européen de libre ciculation) ou la totalité de l’Union européenne ? Le Royaume-uni et l’Irlande, tous deux membres de l’UE, n’appartiennent pas à l’espace Schengen. Sans compter qu’au 21 décembre 2007, Schengen s’agrandit. Neuf des dix nouveaux pays entrants en 2004 (hors Chypre) s’ajoutent aux 14 pays actuels.

Immigration du travail à la Commission

La Commission européenne, qui aura bientôt le quasi-monopole de l’initiative dans le domaine de l’immigration, est une alliée à courtiser. Pour elle, lutter contre l’immigration clandestine doit aller de pair avec une politique d’attraction des travailleurs immigrés qualifiés. «L’Europe devrait être amenée à faire davantage appel à l’immigration pour équilibrer l’offre et la demande sur ses marchés du travail et pour soutenir sa croissance économique.»
Au nom de la lutte contre la fuite de cerveaux des pays du Sud, la Commission a accouché d’un nouveau concept: la migration circulaire. Grâce à des partenariats avec des pays tiers, l’UE souhaite ouvrir des canaux d’immigration ciblés et surtout faciliter le retour des travailleurs immigrés dans leurs pays d’origine. Une approche soutenue par la France: «Vous venez, vous repartez et vous pourrez revenir, mais sans immigration familiale et définitive», décrypte un haut-fonctionnaire français. L’objectif annoncé par Nicolas Sarkozy est de faire passer l’immigration économique de 7% à 50% des flux migratoires vers la France.

Le Parlement européen s’invite au débat

La présidence française devra aussi compter avec le Parlement européen, qui entend peser sur ce dossier dès à présent. «Le Parlement européen espère bien, avant le 1er janvier 2009, participer à toutes les discussions touchant à l’immigration», explique Lilli Grüber, eurodéputée italienne et rapporteur sur l’immigration du travail. Sans attendre l’application du Traité de Lisbonne, où la procédure de codécision s’appliquera en matière d’immigration à la fois illégale et légale. Dans une lettre du 7 décembre, adressée au président de l’Europarlement Hans-Gert Pöttering, Jean-Marie Cavada, président de la commission libertés civiles, justice et affaires intérieures lui demande de sensibiliser le Conseil européen à l'opportunité de conclure un accord global entre institutions.
La France a bien compris la montée en puissance du Parlement. Depuis septembre, le ministère de l’Intérieur a envoyé pour la première fois une attachée permanente au Parlement européen, Muriel Sylvan. «Je dois établir des liens avec toutes les personnes, parlementaires et autres, qui peuvent faire avancer les textes, notamment au sein de la Commission libertés du Parlement». Le jeu des influences et des négociations est lancé.

Louise Fessard
Julie Algre

à Paris et Bruxelles

 

Pour sécuriser l’Union Européenne, la présidence française souhaite à tout prix conclure une Charte sur l'immigration. Elle devrait aussi miser sur un espace Schengen élargi à 9 nouveaux pays pour renforcer la coopération policière et judiciaire. En copilotage: Brice Hortefeux et Nicolas Quillet.

Hortefeux, Quillet : une sécurité européenne à deux visages

Le pacte commun pour l’immigration est la principale priorité de la présidence française sur les politiques européennes de justice, affaires intérieures (JAI). Un dossier entre les mains de Brice Hortefeux, sous contrôle de l’Elysée. Nicolas Quillet joue le rôle de relais au ministère de l’Intérieur.

L’immigration est le sujet phare de Nicolas Sarkozy, tant sur la scène nationale qu’européenne. «Etablir un pacte européen pour l’immigration est la priorité numéro un de la présidence française», explique Lionel Rinuy, chef du secteur de l’espace judiciaire au SGAE (secrétariat général des affaires européennes), organe de liaison entre les ministères. En septembre 2006, en marge d’une réunion des ministres du Sud de l’UE à Madrid, le président Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, a lancé l’idée de mutualiser les efforts en matière de lutte contre l’immigration clandestine. «Quand un pays régularise, il régularise pour lui mais aussi pour tous les autres pays de l’espace Schengen.»
Ce pacte commun de l’immigration sera au coeur des discussions en 2008. Brice Hortefeux, ministre de l’Immigration, pilote le dossier, sous contrôle de l’Elysée. Il fait partie du pôle «Justice, affaires intérieures» (JAI) des politiques européennes discutées à Bruxelles. Depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, la JAI européenne est répartie entre trois ministères contre deux auparavant : le ministère de l’Intérieur, le ministère de la Justice et le nouveau ministère de l’Immigration. Tous trois sont actuellement en pleine restructuration administrative. Difficile dans ces conditions de définir une position commune.
En matière de coopération policière européenne, c’est Nicolas Quillet qui prépare la présidence française de 2008, au ministère de l’Intérieur. Depuis le 10 septembre 2007, il dirige un groupe de travail de cinq personnes. Ancien collaborateur de Nicolas Sarkozy, place Beauvau, le préfet Nicolas Quillet a l’appui de l’Elysée.

La sécurité intérieure après 2010

Nicolas Quillet représente aussi la France au Groupe du futur, un organe intergouvernemental créé en 2007, sous la présidence allemande, pour renforcer l’espace européen de sécurité. A ses côtés : Franco Frattini, le commissaire chargé des affaires de justice, liberté et sécurité, et cinq représentants des ministres de l’Intérieur du trio présidentiel actuel des présidences de l’UE (Allemagne, Portugal, Slovénie), du trio suivant (France, République tchèque, Suède) ainsi qu'un espagnol. Le Groupe du futur doit proposer des pistes pour poursuivre le programme de La Haye. Ce programme quinquennal pour une politique européenne de sécurité intérieure et de justice vient à échéance en 2010.
Selon Armand Apruzzesse, adjoint de Nicolas Quillet au ministère de l’Intérieur, «le groupe doit déposer ses premières propositions en juillet 2008, au début de la présidence française de l’UE». Mais son entourage s’interroge sur l’opportunité de boucler le prochain plan quinquennal sous la présidence française alors que la nouvelle Commission ne sera nommée qu’en 2009. Il n'y aura probablement pas de "programme de Paris". Le prochain programme global sur l’espace européen de sécurité devrait plutôt voir le jour sous la présidence tchèque, voire même suédoise.

Julie Algre à Paris

JAI : Le rapport du sénateur Hyest sur la présidence française

Contrairement aux souhaits français, les questions des frontières et de la place de la Turquie ne figurent plus clairement dans le mandat du Groupe de réflexion.

Nicolas Sarkozy avait posé comme condition à la poursuite des pourparlers avec la Turquie la création d’un Comité des sages, destiné à discuter de l’avenir de l’Union européenne à l’horizon 2020-2030, et notamment des frontières de l’Europe. Devenu «Groupe de réflexion indépendant», l’organe a effectivement été créé lors du Conseil européen du 14 décembre. Une création qui a permis d’ouvrir, le 19 décembre, deux nouveaux chapitres des négociations d’adhésion de la Turquie sur «la santé et la protection des consommateurs» et «les réseaux transeuropéens de transport».
Mais son mandat, qui a fait l’objet d’âpres débats entre Etats membres, a été considérablement modifié. Ceux qui, comme la Grande-Bretagne et les pays scandinaves, sont favorables à l’entrée de la Turquie dans l’Union, ont accueilli avec méfiance l’idée du président français : selon eux elle est destinée à bloquer ou à ralentir les négociations d’adhésion. Ils ont fait pression pour réduire le champ de réflexion du groupe d’experts. Celui-ci ne travaillera finalement pas sur les questions institutionnelles et financières mais sur le développement durable, la sécurité internationale, le modèle social européen et la lutte contre le réchauffement climatique. Son président, Felipe Gonzalez, et ses deux vice-présidents, Vaira Vike-Freiberga et Jorma Ollila, nommeront ses membres en mars prochain. Les conclusions du groupe seront rendues en juin 2010.

Des sons de cloches dissonants

Les sages examineront «la meilleure manière d’œuvrer pour la stabilité et la prospérité aussi bien de l’Union que de la région qui l’entoure» (Conclusions du Conseil européen du 14 décembre 2007).
Si la question des frontières n’est pas clairement mentionnée, le mandat reste suffisamment flou pour ne pas l’exclure complètement, comme le souligne Marine de Carné, porte-parole de la Représentation permanente française à Bruxelles : «Le travail du groupe portera sur les finalités de l’Union européenne; le débat sur les frontières sera forcément inclu», explique-t-elle. Même son de cloche chez Angela Merkel : la chancelière allemande considère que «la politique de voisinage fait naturellement partie du mandat». Gordon Brown s’est au contraire félicité de l’absence des questions sur l’élargissement dans le mandat du groupe. Des interprétations pour le moins divergentes.

Bataille sémantique

Pour le moment, sur les 35 chapitres que comptent les négociations d’adhésion, quatre ont été ouverts -«entreprise et industrie», «statistiques», «contrôle financier» et «science et recherche». Un seul a été bouclé -«science et recherche»- depuis l’officialisation de la candidature turque, en octobre 2005. En décembre 2006, Bruxelles a suspendu huit autres chapitres en raison du refus d’Ankara d’ouvrir à Chypre ses ports maritimes et aériens : «libre circulation des marchandises», «droit d’établissement et libre prestation de services», «services financiers», «agriculture et développement rural», «pêche», «politique des transports», «union douanière» et «relations extérieures». Enfin, la France s’oppose à l’ouverture des cinq autres chapitres impliquant directement l’adhésion de la Turquie, comme la politique économique et monétaire, le budget ou les institutions.
«La position de la France n’a pas changé, affirme Marine de Carné. Nous pensons toujours que la Turquie n’a pas sa place en Europe». Cette position explique la bataille sémantique à laquelle s’est livrée la France et à laquelle les 27 ont cédé pour ne pas voir l’ouverture des nouveaux chapitres reportée à 2008. Ainsi, les prochaines sessions de négociation ne seront plus désignées par l’appellation usuelle «conférences d’adhésion», mais par celle, moins explicite, de «conférences intergouvernementales». Cette guerre des mots a provoqué le courroux d’Ankara . Dans un communiqué, le porte-parole du ministère turc des Affaires étrangères a exprimé son «sérieux mécontentement» et a déploré, sans nommer la France, «la position d’un pays membre qui ne fait pas preuve de compréhension».

Dave Kouliche à Strasbourg

Pas d'emphase sur les relations entre l'Union et l'Afrique. A l'aube de 2008, rien ne va plus. Le blocage majeur concerne les accords de partenariat économique.

Le commissaire européen au développement Louis Michel l'a admis le 17 décembre : le sommet Europe-Afrique de Lisbonne n’a pas permis d’avancer sur les accords de coopérations économiques. L’Union européenne n’arrive pas à convaincre les pays africains, signataires de l'accords de Cotonou, d’accepter un nouveau pacte économique. La première phase de cet accord, qui organise l’Afrique en quatre zones économiques (voir carte) pour négocier plus facilement avec l’Europe, arrive à terme. Les 27 estiment que les tarifs préférentiels accordés aux importations africaines ne correspondent plus aux règles de l’OMC (Organisation mondiale du commerce). Les pays africains sont divisés sur les nouvelles négociations commerciales au sein même de chaque zone.
Dès le 1° janvier , l’Union peut en effet être mise en accusation devant l'OMC pour discrimination positive en faveur de ses anciennes colonies. La Commission propose donc de libéraliser progressivement les échanges, afin d’intégrer l’Afrique dans la mondialisation.
Les pays en question sont loin d'accepter ce régime, qu'ils jugent moins favorable que les accords de Cotonou ne le promettaient et aucune des quatre régions africaines n’a signé ces nouveaux contrats. Les Etats africains sont inquiets pour leurs produits agricoles qui ne pourraient bientôt plus concurrencer les produits européens subventionnés. Ils craignent, en abaissant leurs taxes douanieres, de perdre l'essentiel des ressources qui alimentent leur budget.

Des pays africains divisés

Faute de consensus, la Commission a choisi de négocier avec les pays africains un par un. Les PMA (Pays les moins avancés) ne sont pas concernés. Ils pourront quoi qu'il arrive exporter vers l'Europe sans droit de douane ni quota dans le cadre du régime «tout sauf les armes». En revanche, les Etats à revenus intermédiaires, comme la Côte d’Ivoire et le Ghana, devront acquitter des droits de douane supplémentaires dès 2008, à moins de se mettre en conformité avec les règles de l'OMC qui s'appliquent à tous leurs homologues.
Cette mise en demeure vient de pousser ces deux pays à négocier des accords provisoires avec l’Union en urgence, afin de préserver leurs facilités d’exportation.
A ce jour à peine une dizaine de pays (étoiles sur la carte) sur les 52 membres de l’Union africaine ont signé un accord intérimaire de partenariat économique.
Tandis que les relations euro-africaines se tendent, la Chine pénètre à grande vitesse les marchés africains dont elle vise sans se cacher les matières premières.
Une situation qui explique la discrétion de Paris sur les nouvelles ambitions de l'Eurafrique.

Catherine Roussin

Le projet français avance et se précise malgré les levées de bouclier. Revue de détails

La petite équipe vient à peine de poser ses cartons au ministère des Affaires étrangères. Sa mission : porter le projet d’Union de la Méditerranée (UM). A leur tête, Alain Leroy, ambassadeur de France fraîchement débarqué de Madagascar et qui vient de terminer une première tournée diplomatique des capitales de la Mare Nostrum. Il lui faut «vendre, défendre et construire le projet», résume sa collaboratrice et porte-parole, Laurène Gimenez. Ils rendent aussi des comptes à l’Élysée. Plus particulièrement au conseiller spécial du Président, Henri Guaino, le penseur du projet. L’équipe s’apprête à publier les principes de base de la future organisation internationale et à les diffuser auprès des chancelleries.
A l’origine de l’Union de la Méditerranée, un constat de l’Élysée : alors que les Etats-Unis réalisent 20% de leurs investissements au sein de l’Alena (Association de libre-échange nord-américaine) et le Japon 25% dans l’Asean (Association des nations de l’Asie du sud-est), l’Europe manque de passerelles économiques vers son sud (l’Afrique du Nord) où elle ne réalise que 2% de ses investissements extérieurs. D’où l’idée de créer une banque d’investissement et une agence des PME de la Méditerranée.
Même si, officiellement, le projet ne vise pas à gérer les migrations du sud vers le nord, une telle organisation économique pourrait, comme les maquiladoras (entreprises américaines implantées au Mexique), favoriser les investissements au sud pour contenir l’immigration. Selon une étude du Bureau international du travail (BIT), il faudrait créer 40 millions d’emplois au sud de la Méditerranée d’ici vingt ans pour maintenir un taux de chômage stable.

Vingt-cinq membres

«Tous les pays du pourtour méditerranéen ont vocation à intégrer l’Union», explique Laurène Gimenez. Et la porte-parole d’ajouter qu’Israël et la Turquie seront présents en juillet prochain à Paris, lors du sommet fondateur de l’UM. Aux 22 pays ayant une façade maritime méditerranéenne, s’ajoutent trois pays qui participent déjà à des projets de type Euromed (1) ou « 5+5 » (2) : la Mauritanie, le Portugal et la Jordanie.

« Un secrétariat de projets » à géométrie variable

Mais tous les pays du pourtour n’ont pas vocation à travailler ensemble. «Il est peu probable que la Libye et Israël travaillent sur un même projet», explique Laurène Gimenez. C’est, dit-elle, une différence majeure avec Euromed où tous les membres doivent participer à l’ensemble des projets. Les inventeurs de l’UM la voient davantage en «secrétariat de projets», avec des réunions informelles de type G8 et des coopérations renforcées sur des projets qui se veulent concrets : mise en place d’un fonds carbone, implantation d’énergie solaire au sud, organisation d’une coopération entre les ports, mutualisation des universités et des centres de recherche.

Union de la Méditerranée et Union européenne

Mais ce projet froisse l’Allemagne. « Si, à côté de l’UE, les Etats riverains de la Méditerranée devaient constituer une deuxième Union, cela risquerait de constituer une épreuve difficile pour l’Europe », déclarait la chancelière Angela Merkel le 7 décembre 2007 lors du sommet franco-allemand. « L’Allemagne a pris la main en Europe sous l’ère chiraquienne, maintenant elle s’inquiète de voir la France revenir en force », rétorque-t-on au Quai d’Orsay.

L'ouverture aux pays du Nord

Reste que Nicolas Sarkozy a dû accepter d'ouvrir son Union méditerranéenne aux pays du Nord : tout membre de l’UE pourra intégrer l’UM s’il le souhaite. La Commission, elle, sera de droit le 26e membre. Une décision très intéressée pour certains : il sera ainsi plus facile de demander des financements à Bruxelles. Laurène Gimenez s’en défend : « Le financement va essentiellement reposer sur des fonds privés et sur des institutions internationales». Au quai d’Orsay où ce projet à figuré pour un temps dans les priorités de la présidence française de l’UE, on ne parle plus que d’une coïncidence de calendrier.

(1) Le partenariat Euromed ou processus de Barcelone a été mis en place en 1995 à l’initiative de l’UE et de dix pays du sud de la Méditerrannée (Algérie, Autorité Palestinienne, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Maroc, Syrie, Tunisie, Turquie). Ses objectifs sont aussi bien politiques - normalisation des rapports israélo-palestiniens-, qu’économiques - création d’une zone euro-méditerranéenne de libre-échange d’ici 2010.
(2) Le dialogue « 5+5 » est une coopération politique entre 10 pays de la Méditerranée occidentale (Espagne,France, Italie, Malte, Portugal/Algérie, Lybie, Mauritanie, Maroc, Tunisie- soit les cinq membres de l'Union du Maghreb arabe) qui ambitionnent de consolider Euromed.
(3) Au total, 22 pays du pourtour méditerranéen plus le Portugal, la Mauritanie et la Jordanie sont pressentis pour faire partie du club. La Commission européenne est invitée, comme tout pays membre de l'Union . L'Allemagne s'est déclarée "intéressée".

Matthieu Poissonnet
à Paris

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