Vous êtes ici

Des aménagements minimaux pour la zone euro, qui se voit dotée de règles propres et d'une plus grande visibilité. La politique commerciale doit désormais respecter la cohérence de l'action extérieure de l'Union.

L'Eurogroupe voit son existence et celle de son président reconnues formellement (protocole 3). La Banque centrale européenne devient une institution à part entière. Son directoire est nommé à la majorité qualifée. Elle peut se voir confier une mission de contrôle des établissements de crédits (article 127 TFUE).

Une gouvernance renforcée

Au sein du Conseil Ecofin, les Etats membres de la zone euro peuvent décider seuls de renforcer leur discipline budgétaire ou d'adopter des orientations de politique économique (article 136 TFUE). Les autres cas où ils sont seuls à exercer le droit de vote sont énumérés. La Commission européenne obtient le droit de proposer au Conseil de déclarer un Etat membre en «déficit excessif». Il faudra donc l'unanimité des membres de l'Eurogroupe pour modifier cette proposition.

Une représentation commune sur la scène internationale

Le Conseil pourra, après consultation de la BCE, «adopter des mesures appropriées» pour assurer une représentation commune de la zone euro auprès des institutions financières internationales (article 138 TFUE)

Une compétence commerciale élargie

La politique commerciale devient explicitement une compétence exclusive de l'UE. Elle s'étend aux droits de propriété intellectuelle,aux services et aux investissements directs étrangers (article 207 TFUE). Le texte maintient le vote à la majorité qualifiée au Conseil sur les
accords commerciaux, mais il recourra à l'unanimité pour ceux touchant au secteur culturel et audiovisuel et aux services sociaux et de santé «lorsque ces accords risquent de toucher gravement l'organisation de ces services au niveau national». Le Parlement accède à la codécision sur le cadre d’exercice de cette politique, qui doit respecter les «principes et objectifs de l’action extérieure». Le Haut Représentant pourrait donc avoir son mot à dire sur l’action du Commissaire au Commerce.

Fanny Lothaire

L'Union doit gendarmer les marchés monétaires et financiers mais ausi muscler ses instruments de défense commerciale. Protectionnisme ? Non, réciprocité, assure François Pérol conseiller économique de l'Elysée.

François Pérol: « Monsieur économie »

Pour cet homme de cabinet, rallié à la cause sarkozyste sur le tard, l’économie mondiale est un champ de bataille dans lequel l'Union doit imposer sa voix. Rendre l’Europe forte et compétitive sur les marchés mondiaux est un défi essentiel, et la future présidence sera « une occasion très importante de montrer que l’Europe a besoin de la France ».

François Pérol ne cache pas le dédain que lui inspire la stratégie de Lisbonne -qui vise à faire de l’Union européenne l’économie la plus compétitive et la plus dynamique du monde d'ici à 2010. Sourire au coin des lèvres, il la considère comme lettre morte. Mais il ne souhaite en tout cas pas laisser la France et l’Europe se faire écraser par la concurrence agressive des autres pays.
Depuis son arrivée dans les couloirs vieillis du cinquième étage du Palais de l’Elysée en mai dernier, cet énarque diplômé d’HEC, promu conseiller économique de Nicolas Sarkozy, gère les gros dossiers économiques de la présidence. A 44 ans, cet inspecteur des finances, chef du bureau des marchés financiers à la direction du Trésor de 1996 à 1999, ancien directeur de cabinet de Francis Mer en 2002, puis de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Economie, a mérité son surnom de « Monsieur économie » du président.
Les gros dossiers, tels que la fusion GDF-EDF, l’affaire Airbus-EADS ou encore l’avenir d’Areva, passent en priorité dans son bureau, reléguant Bercy, selon Sylvie Pierre-Brossolette de l’hebdomadaire Le Point, à une sorte de pâle doublure médiatique. « Dès qu’il y a enjeu de pouvoir, tout passe par le bureau de Pérol », avait avoué un industriel français à l'hebdomadaire.

L'artisan de « l'Europe qui protège »

Son empreinte est lisible dans tous les discours économiques du président. Le 10 septembre dernier, dans une lettre commune avec la chancelière allemande Angela Merkel, Nicolas Sarkozy souhaitait rendre plus transparents les marchés financiers et contrôler les institutions financières européennes pour tirer toutes les conséquences de la crise subprimes déclenchée par les Etats-Unis . Première étape proposée : mettre en place un code de bonne conduite des institutions financières qui régissent les marchés. Un voeu auquel s'est rallié le Premier ministre britannique Gordon Brown. Le président français souhaite également placer l’Europe au coeur des négociations commerciales internationales, notamment àl’OMC.
Le ton de la future présidence française est donné : face à la volatilité des marchés financiers et à la concurrence globale, « une Europe qui protège ».
« Je ne vois pas de contradiction entre une Europe qui protège et une Europe compétitive », précise François Pérol. « Nous sommes pour la concurrence mais à partir du moment où tout le monde joue selon les mêmes règles. Il ne faut pas être naïf, il faut fixer des règles pour que la concurrence soit la même partout. Nous n’avons aucune raison de laisser les pays non européens profiter du marché sans nous et à notre détriment ».
Comment y parvenir? Par exemple par la création d’une taxe carbone prélevée sur l’importation de produits issus de pays tiers qui ne respecteraient pas les normes de fabrication environnementale de l’UE. Une mesure qui « rétablirait de l’ordre à nos frontières et que l’on défendra pendant notre présidence ». Une façon écologique, aussi, de se protéger de la concurrence mondiale.

«Montrer que l’Europe a besoin de la France»

La meilleure défense reste l’attaque, un adage que le conseiller économique compte mettre en application lors de la présidence française de l’UE. Même souci de protection sur le plan monétaire. Sur ce dernier point, le conseiller économique est catégorique : « Il n’est pas normal que l’euro soit la seule monnaie qui s’apprécie. Nous essayons d’ailleurs de convaincre nos voisins européens que ce n’est pas bon du tout pour notre économie. La politique de change, dans les traités, relève des gouvernements et non de la BCE. Nous voulons donc renforcer les pouvoirs de l’Eurogroupe et renforcer le dialogue avec la BCE », promet-t-il.

Fanny Lothaire
Antoine Krempf

La grande table ronde de l'écologie à la française a tourné à la séance de rattrapage de la législation européenne.

«Le Grenelle de l’environnement? Ah, c'est une belle machine médiatique», ironise un eurodéputé français. De Paris à Bruxelles, l'événement fait grincer quelques dents : la révolution écologique à la française n'est bien souvent qu'une simple reprise de la législation européenne.
Difficile pourtant pour les eurodéputés de croire que leurs collègues français ignorent tout des normes européennes. «Jean-Louis Borloo (ministre de l’Ecologie, du Développement et de l’Aménagement durable) connaît très bien la législation de l’UE», tranche Ambroise Guellec, député français PPE/DE. « C'est un grand classique politique en France. On oublie le niveau européen.»
Car pour certains, le Grenelle est avant tout « une stratégie de communication avec une petite taxe par-ci ou par-là. Mais c'est surtout la mise en application de la législation européenne, comme pour les OGM», selon Marie-Hélène Aubert, vice-présidente du groupe des Verts au Parlement européen. «Il semble que ce soit une séance de rattrapage. Comme bien souvent, c'est l'Europe qui est moteur», ajoute Philippe Tourtelier, député PS membre de la délégation pour l’Union Européenne de l'Assemblée nationale et du groupe de suivi du Grenelle.

"Sarkozy va se rouler par terre pour la sauvegarde des petits oiseaux"

Jérôme Bignon, député UMP et lui aussi membre du groupe de suivi du Grenelle, dément cet immobilisme écologique : «Mes collègues parlementaires ont peut-être raison quand ils parlent de mise à jour, mais ce n'est que temporaire : il s’agit d’aller au-delà des directives européennes. On est quand même le seul pays en Europe à évoquer le développement durable. Le Grenelle avait aussi pour objectif de changer les habitudes de consommation : cela sera également l'un des futurs enjeux de la présidence française.»
Une présidence de l'Union où l'on devrait donc entendre parler du Grenelle. Mais, selon certains, en France ou en Europe, les priorités de la présidence française sur l'environnement seront du même acabit : «Dans six mois, le Grenelle va être en haut de l’agenda en terme de communication : Sarkozy et ses ministres vont se rouler par terre en appelant à la sauvegarde des petits oiseaux, dit Marie-Hélène Aubert . Le président annoncera la création d’une taxe carbone et si ça ne marche pas, ce sera la faute de ses collègues européens... »

Sarah Bernuchon à Paris

Opposée à la proposition de directive sur le dégroupage patrimonial des monopoles énergétiques, la France tente de prendre les devants pour que ce dossier, sur lequel les Etats membres sont très partagés, aboutisse avant fin 2008.

Face au projet de la Commission européenne de démanteler les monopoles sur le gaz et l’électricité, la France freine des deux pieds. Afin de préserver Gaz de France et EDF, Nicolas Sarkozy tient à boucler le dossier «ownership unbundling» au cours de la présidence française du Conseil. Car après, il sera plus difficile de défendre la position française : dès 2009, les décisions en matière d’énergie seront soumises au vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil, et non plus au régime de l’unanimité.
En jeu : le démantèlement des systèmes verticaux à la française, où un même groupe détient toute la chaîne énergétique, de la production à la commercialisation, en passant par le transport. Objectif : ouvrir le marché européen à la concurrence. La proposition de la Commission, prévue dans le troisième paquet législatif présenté en septembre 2007, vise à instaurer une séparation de propriété entre, d’un côté les réseaux de transport, de l’autre les activités de production, extraction, distribution et commercialisation des opérateurs énergétiques.
La France, soutenue par une Allemagne soucieuse du sort du groupe E.ON, mène la fronde des pays opposés à la directive «unbundling» (Autriche, Grèce, Luxembourg, Slovaquie). Nicolas Sarkozy et Angela Merkel veulent prendre les devants : ils ont récemment annoncé qu’ils présenteront fin janvier 2008 une proposition conjointe sur la question de la séparation effective.
Les orientations contenues dans le troisième paquet ne devraient pas y trouver une très grande place, comme le laisse présager la déclaration de Jean-Pierre Jouyet à la presse, en septembre dernier : «Nous sommes très clairement en opposition avec les propositions faites par la Commission. C’est un paquet qui affaiblit les opérateurs européens et qui ne permet pas de garantir une baisse des prix au profit des consommateurs.»

La bataille des chiffres s’engage

Car l’effet du dégroupage sur les prix est contesté, et la bataille des chiffres ne fait que commencer. Il existe des pays où l’unbundling existe déjà : le Danemark, les Pays-Bas, le Portugal, la Roumanie, l’Espagne, la Suède et le Royaume-Uni, rappelle Oskar Almén, co-auteur du neuvième Observatoire européen des marchés de l’énergie, publié le mois dernier par le cabinet de conseil Capgemini. «Ces pays sont en faveur de la séparation patrimoniale, tout comme la Belgique. Selon une étude d’impact de la Commission, depuis 1998 les prix du gaz et de l’électricité ont augmenté de 6% dans ces pays, contre 29% dans les autres. Mais je pense qu’il est prématuré de mettre la différence sur le compte du seul unbundling. Il y a d’autres variables qui entrent en jeu, comme la dépendance de chaque pays aux différentes énergies.»
De fait, le rapport de Capgemini pointe qu’«à quelques exceptions près, on observe des prix de détail de l’électricité supérieurs à la moyenne européenne dans les Etats membres dont les marchés sont ouverts à la concurrence depuis plus de trois ans». C’est au Danemark que l’électricité à usage domestique coûte le plus cher (258 €/MWh au 1er janvier 2007), tandis que la Grèce (72 €/Mwh) et la France (121 €/MWh) présentent les tarifs les moins élevés, bien en dessous de la moyenne de l’UE (158,1 €/MWh).

Doutes sur la clause Gazprom

En outre, les anti-dégroupage mettent en doute l’efficacité d’une stratégie d’éclatement des opérateurs énergétiques face à la politique russe de «super-bundling». «Gazprom cherche à maîtriser tous les maillons de la chaîne gazière, relève Oskar Almén. Et je ne suis pas sûr qu’une clause de réciprocité soit une solution très réaliste. » Cette suggestion de la Commission, dite « clause Gazprom » imposerait au groupe russe de séparer lui aussi ses activités de production et de transmission avant d’être autorisé à détenir une part de contrôle dans les entreprises énergétiques européennes. Mais «même si Gazprom perdait formellement la propriété des réseaux, l’Etat russe garderait la haute main à la fois sur les réseaux et sur Gazprom», soulignait déjà Philippe Herzog, président du think tank Confrontations Europe, en novembre 2006.
Quoi qu’il en soit, la Commission a déjà fait une seconde proposition susceptible de se substituer à celle de l’unbundling : c’est l’option «Opérateur indépendant du système» (ISO), qui permettrait aux entreprises de rester propriétaires de leurs actifs ; mais la gestion, y compris l’investissement et les décisions commerciales, devraient être transférées à cet opérateur. En retour, ce dernier verserait une rémunération aux groupes énergétiques.
Quant au commissaire à l’Energie Andris Piebalgs, il espère que la négociation entre les Etats membres, qui promet d’être longue et ardue, pourra se conclure sous la présidence française du Conseil. Au moins un point sur lequel la Commission et la France tombent d’accord.

Fabien Mollon à Paris

Une Charte pour l’énergie toujours en négociation

La question de la sécurité de l’approvisionnement énergétique de la Communauté européenne a été posée dès l’éclatement de l’URSS. En 1991, 51 Etats ont signé la Charte européenne de l’énergie. Parmi eux, les pays européens, le Japon, la Norvège ou encore la Russie. Seuls 46 l’ont ratifiée. La Russie, premier producteur mondial de gaz et le deuxième producteur de pétrole, s’y refuse.
La Charte de l’énergie fait toujours l’objet de négociations lors des sommets UE-Russie. Elle soutient une coopération internationale dans le domaine de l’énergie. Le traité sur la Charte de l'énergie a été signé en 1994 et est entré en vigueur le 16 avril 1998 à titre provisoire. Les principales dispositions du traité concernent la protection des investissements, le commerce des ressources énergétiques régit par les règles de l’OMC et le transit des matières énergétiques.

Maud Czaja

L’Ukraine abrite le deuxième plus grand réseau de gazoducs au monde. Il est le garant de la fourniture en gaz de l’Union européenne. Les récentes tensions avec le producteur russe Gazprom ont convaincu les Européens de la nécessité de faire rapidement de Kiev un allié sûr dans le domaine énergétique.

Environ 80% du gaz russe destiné à l’Union européenne transite par l’Ukraine. Soit trois partenaires mutuellement dépendants. Or, l’équilibre russo-ukrainien est fragile, comme l’a prouvé la crise du gaz de 2006. Gazprom avait brutalement décidé de suspendre ses exportations de gaz pendant plusieurs jours en direction de l’Ukraine en raison d’un contentieux financier entre les deux pays. Autre exemple, en août 2007, le secrétaire adjoint du Conseil de sécurité nationale et de défense de l’Ukraine, Iouri Prodan, a évoqué la possibilité de réviser les tarifs du transit du gaz russe livré à l’Europe. Ce qui entraînerait une augmentation du prix pour les Occidentaux. D’où l’importance pour l’UE de sécuriser cette source d’approvisionnement.
Depuis l’élargissement de 2004, l’UE est devenue le principal partenaire commercial de l’Ukraine. Ils ont signé en décembre 2005 un protocole d’accord sur l’énergie, qui porte sur l’intégration des marchés du gaz et de l’efficacité énergétique. Celui-ci fait actuellement l'objet d'une renégociation dans le cadre d'un futur accord de "coopération renforcée". Mais l'instabilité du gouvernement ukrainien ne facilite pas les choses. Ioulia Timochenko, égérie de la révolution orange, a certes été nommée Premier ministre le 18 décembre, trois mois après les élections législatives, mais le parti pro-russe reste très représenté au parlement ukrainien.
«Pour s’assurer du soutien de l’Ukraine, c’est du donnant-donnant. Nous pouvons par exemple leur proposer une aide financière dans un domaine précis en échange de garanties d’approvisionnement. Il faut aussi examiner de plus près cet accord de coopération. L’Ukraine s’est également engagée avec la Russie. Il est préférable qu’il n’y ait pas d’arrangements croisés», commente Rafal Trzaskowski, assistant parlementaire du polonais Jacek Saryusz-Wolski (PPE_DE) auteur du rapport sur "une politique étrangère commune dans le domaine de l'énergie"approuvé cet automne par Strasbourg.

Projets de contournement

Entretemps, plusieurs Etats membres de l’UE soutiennent des projets de contournements tels que la construction du gazoduc Nabucco qui acheminerait du gaz de la Mer Caspienne. Mais d’après Dominique Fache, membre du directoire de Siberian Coal Energy Company (SUEK), on n'échappera pas à la nécessité de sécuriser les approvisionnements énergétiques via l’Ukraine. Une solution pourrait être d' initier un consortium, comprenant Gazprom, pour la gestion de ses gazoducs. Co-dirigé par Gaz de France, par exemple.

Maud Czaja à Strasbourg

Le développement nucléaire contesté

Pour abolir les tensions entre des pays qui maîtrisent le nucléaire et ceux qui souhaitent le développer, tout en garantissant la non-prolifération, Javier Solana, le secrétaire du Conseil de l’Union européenne, s’est récemment prononcé pour la création d’un centre international d’enrichissement sous surveillance multilatérale. «Tous les Etats auraient accès à ce combustible enrichi aux mêmes conditions et à des prix compétitifs», explique-t-il. «C’est l’Union européenne qui est le mieux placée au sein de la communauté internationale pour engager une réflexion sur le système de non-prolifération. Faisons-le donc!»
Selon le vice-président du Parlement européen, Gérard Onesta, ce centre militarisé poserait problème: «Les transports de matière nucléaire sont très dangereux. En cas d’accident, ce serait un drame absolu! D’autre part, ces transports gaspilleraient beaucoup d’énergie.»
En outre, selon lui, le nucléaire représenté en Europe par la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom) ne serait «pas démocratique». Il ne figure pas dans le traité simplifié signé par les chefs d’Etats à Lisbonne car pour beaucoup de pays le nucléaire n’est pas une priorité. Et pourtant l’Union européenne va dédier 120 milliards d’euros au nucléaire en 2008. «Beaucoup trop!» dénonce le vice-président du PE. «Il faut accorder plus de budget au développement des énergies renouvelables, par exemple.»
Les écologistes partagent ce dernier point de vue. «L’émission de gaz à effet de serre serait divisée par quatre si on arrêtait de produire du nucléaire», déclare Damien Demailly, spécialiste de l’énergie chez WWF. Selon lui, chaque pays devrait produire des énergies renouvelables en fonction de ses propres ressources, en utilisant les éoliennes, des panneaux solaires mais aussi l’eau et le gaz. Il voit le développement du nucléaire comme un danger: «Cela représente avant tout un risque de prolifération, d’accident et enfin un mauvais traitement des déchets radioactifs.»
Pour garantir la non prolifération et éviter que certains pays ne passent du développement du nucléaire civil à la production d’armes de destruction massive, la proposition de Javier Solana reste la seule originale. Certains pays arabes pourraient en bénéficier, car selon une source proche de l’Elysée, le nucléaire civil pourrait jouer dans le monde arabo-musulman et sur le projet d’Union de la Méditerranéenne le même rôle qu’avait joué la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), ancêtre de l’Union européenne.

Victor Nicolas
à Paris

Après Kyoto: L’inconnue américaine

Cette histoire est rapportée par une source américaine présente à Bali début décembre. Dans le poche d’Yvo de Boer, responsable de la Convention Climat de l’Onu, se trouvait une lettre écrite par un groupe de représentants du Congrès. Ils lui demandaient clairement de ne pas écouter les délégués américains présents à cette conférence sur le changement climatique. Cet appel illustre les divisions qui traversent les Etats-Unis et rejoint le message du Prix Nobel de la paix Al Gore lors de son intervention spéciale en Indonésie: «faites tout votre possible pour laisser une place aux Américains jusqu’à la prochaine élection».
Car à Bali, «les Américains ont été littéralement hués» raconte Tim Herzog, conseiller à World Resources Institute (WRI), think tank américain pour l'environnement. «Ce qui était le plus surprenant c'était que l'Union européenne, en particulier les Allemands, étaient très vindicatifs».
Engager les Américains vers une réduction chiffrée des gaz à effet de serre (GES) demeurait un défi considérable. Le président américain George W. Bush a toujours refusé de signer le protocole de Kyoto qui engage les pays industrialisés de réduire leur émissions de CO2 de 8% d’ici 2012.
Mais cette fois-ci, le 15 décembre, avec un jour de retard, les Etats-Unis se sont engagés. Il aura fallu des négociations nocturnes et même des larmes d’Yvo de Boer. Certes, l’accord reste non chiffré. Il est destiné à préparer l’après Kyoto et reconnaît que des réductions importantes des GES seront nécessaires comme indiqué dans le rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). «Il fait référence à des objectifs contraignants», explique Guido Sacconi (PSE), président de la commission temporaire du climat au Parlement européen. «Nous sommes très heureux du changement d'avis de l'administration américaine».

Un climat qui change

Le texte reste ambigu, mais cette fameuse référence devrait favoriser l'apparition d'un système de quotas d’émissions de GES dans les futures négociations. «Espérons que la prochaine administration américaine (active à partir de 20 janvier 2009) se rendra compte que retarder l'action va uniquement augmenter le coût du changement climatique à tous les égards», réagit Rebecca Harms (Groupe des Verts), vice-présidente de la commission temporaire.
Aux Etats-Unis, justement, le refus de quotas n'est pas défendu par tous. Parallèlement à la conférence de Bali, une législation sur le "cap-and-trade" (un système d'échange de quotas d'émission de GES) avançait au Sénat américain. Le projet de loi proposé par l'indépendant Joseph Lieberman et le républicain John Warner est sorti de la commission de l’environnement et des affaires sociales le 5 décembre 2007. C'est le projet législatif le plus «avancé» concernant le changement climatique de l'histoire américaine. Il prévoit une réduction de 70% des émissions de C02 par rapport aux niveaux de 2005, dans tous les secteurs, d'ici 2050. Ces contraintes seront la base d'un système d'échange de CO2 qui ressemble au marché de CO2 européen.

Une politique à deux visages

Le projet de loi a eu des échos à Bali. «Lieberman-Warner est compris par la communauté internationale comme la preuve que le climat politique est en train de changer aux Etats-Unis», explique Tim Herzog. «Il y a une compréhension implicite que la position américaine à la prochaine conférence (à Poznan en décembre 2008) sera probablement très différente."
Un sondage commandé par CBS News et Le New York Times montre que plus de la moitié des Américains estime que le changement climatique est un problème sérieux entraînant des conséquences immédiates. Ce sondage montre aussi que les Démocrates sont plus sensible à cette question que des Républicains: 71% contre 42%.
De là, à dire que c'est une question de partis, tout le monde n'est pas d'accord. Le conseiller de l'ambassade des Etats-Unis auprès de l'Union européenne, Boyden Gray, rappelle que le Protocole de Kyoto a été refusé au Sénat par les Républicains et les Démocrates.

Rachel Marusak
à Strasbourg

Thierry Carol : «Dès 2008, il y aura un marché mondial du CO2»

Le 21 décembre, Powernext Carbone, la bourse européenne du CO2, est absorbée par le premier groupe mondial de places boursières NYSE Euronext. Pour Thierry Carol, directeur de son département environnement, le marché du CO2 est en plein essor.

Powernext fonctionne en période d’essai depuis deux ans. A la veille de l’entrée en vigueur des engagements de Kyoto, quelles leçons en tirez-vous?

Le système fonctionne. L’Union européenne a fixé un plafond d’émissions à chacun de ses pays membres. Ces «droits d’émission» ont ensuite été répartis entre industriels, comme un capital. De là naît la possibilité d’échanges entre ceux qui ont des droits en surplus et ceux qui dépassent leurs quotas. C’est ce qu’on appelle le «cap-and-trade».
En mai 2006, on a constaté que les émissions réelles étaient bien moindres que les plafonds prévus, que les contraintes étaient donc très faibles. La bourse, en tant qu’outil de marché, a immédiatement réagi : le prix du CO2 a chuté, passant de 25 euros à 8 centimes par tonne.
Pour la deuxième période, qui commence en janvier, l’Union a changé les paramètres en renforçant les contraintes. Du coup, le marché anticipe et les prix futurs remontent autour de 20 à 25 euros. L’objectif est d’apprendre aux entreprises à fonctionner avec ces nouvelles contraintes, et aux chefs d’entreprise à prendre leurs décisions en tenant compte d’un prix du CO2, comme il y a un prix du pétrole.

Cela veut dire que plus on est riche, plus on peut polluer?

Oui, mais on doit payer plus, et cela permet aux autres de se développer. Dans le protocole de Kyoto, seuls les pays développés ont des contraintes chiffrées. Si leurs entreprises investissent dans les pays en voie de développement dans des projets qui font baisser les émissions de gaz à effet de serre, ils reçoivent en prime des crédits d’émissions, appelés CER (certified emission relation). Ceux-ci leur permettent de baisser les coûts de pollution dans les pays développés, ou d’engranger des bénéfices sur le marché du CO2.

L’Union européenne veut désormais inclure les transports aériens dans ce système. Comment?

Cette introduction, prévue pour 2010 ou 2011, est un peu particulière. Au cours des négociations conduites par la Commission, le secteur aérien n’a accepté de se voir imposer des contraintes qu’à condition qu’on lui garantisse un marché protégé. Aujourd’hui, en effet, aucune technologie ne permet de réduire les émissions des avions au même coût que celles du secteur énergétique ou chimique.
Les grands transporteurs auront la possibilité d’acheter sur le marché actuel des droits d’émission, mais les autres industriels n’auront pas accès à leur marché sectoriel. Potentiellement, cette solution pourrait s’appliquer à d’autres secteurs.

Comment voyez-vous l’avenir de cet instrument boursier de lutte contre le réchauffement climatique?

Le marché européen n’est pas isolé. Au-dessus, il y a un marché mondial, celui des CER dans les pays en développement, auquel il faut ajouter une série de «cap-and-trade». Car après l’Europe, le Japon va bientôt démarrer, puis l’Australie et la Nouvelle Zélande. J’espère que les Etats-Unis suivront. Dès 2008, on ne pourra quasiment plus parler de marché européen : il y aura un marché mondial du CO2 avec des contraintes locales.

Que devient Powernext Carbone?

Nos activités sont rachetées par le groupe NYSE Euronext. On change de casquette, on change de dimension. Nous allons d’abord développer une gamme de produits boursiers environnementaux. Deuxièmement, nous voulons élargir notre zone d’activités à l’Asie et aux Etats-Unis avec deux objectifs: aller chercher des clients pour le marché européen, notamment des conglomérats mondiaux, et gérer localement leurs problématiques. Troisième orientation : le secteur financier. Aujourd’hui, seuls quelques banquiers sont actifs sur le marché carbone. Il revient aux banques de se lancer, par exemple, dans la couverture de risques sur les variations du prix du CO2, comme ils le font pour celui du pétrole ou de l’acier. NYSE Euronext nous offre l’occasion de nous connecter à l’ensemble de la communauté financière et de réellement nous globaliser.

Propos recueillis par Qijun Shi
à Paris

L’UE est engagée à fond dans le cadre du protocole de Kyoto. Mais elle veut aller plus loin. Réduire de 20% ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020. Et porter ce plafond à 30% si un accord international est trouvé à Copenhague fin 2009. Reste à trouver la formule à 27.

L’énergie représente 80% de toutes les émissions de gaz à effet de serre. Pour asseoir son autorité sur la scène internationale, l’UE a choisi de lier étroitement sa politique énergétique à la lutte contre le réchauffement climatique. Ainsi, le 9 mars 2007, le Conseil européen s’est fixé trois objectifs contraignants d'ici 2020 : réduire «unilatéralement» les émissions de gaz à effet de serre de 20%, porter à 20% la part des énergies renouvelables (EnR) dans le bilan énergétique de l’Union, et faire passer à 10% la part de biocarburants dans la consommation totale d'essence et de gazole destinés au transport.
Reste à s’entendre sur des instruments et une formule de répartition de ces obligations communes entre 27 Etats membres aux profils énergétiques distincts, séparés par de grands écarts de richesse. Or sur les uns comme sur l'autre, les positions de départ sont éloignées.

Un système d'échange de quotas critiqué

Pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre, l’Union européenne compte essentiellement sur son système d’échanges des quotas d’émission («emission trading scheme» ou ETS). Mais beaucoup d’eurodéputés, comme la britannique Linda McAvan (PSE), pointent du doigt son inefficacité pendant la période 2005-2007, due aux sur-allocations des quotas d’émission nationaux. «Pour garantir le bon fonctionnement du système, il nous faut désormais le centraliser. La Commission européenne doit avoir l’autorité d’allouer les quotas aux Etats membres», affirme-t-elle.
Le Centre d’analyses stratégique, ancien Commissariat français au Plan, dans son rapport intitulé «Perspectives énergétiques de la France à l’horizon 2020-2050», préconise, au contraire, que l’Union «laisse aux Etats membres les souplesses nécessaires pour choisir les politiques et les instruments adaptés à leur situations très diverses, en tenant compte des efforts déjà réalisés par chaque Etat membre».
«La répartition décidée pour la période de Kyoto est injuste», dénonce de son côté Holger Krahmer (ADLE), eurodéputé allemand, «l’Allemagne en assume trop pour l’instant». Sigmar Gabriel, le ministre de l’Environnement allemand ne partage pas cet avis. «Il faut que les pays les plus développés supportent une part du fardeau de ceux qui sont en rattrapage économique : c'est tout à fait normal». Un signal d’apaisement destiné surtout à la Pologne et la Hongrie qui ont eu du mal à accepter des objectifs contraignants. L’Allemagne, la première économie d’Europe, qui rejette encore annuellement 10 tonnes de CO2 dans l’air par habitant, contre 6,2 pour la France, vient d’adopter en Conseil des ministres 14 mesures devant permettre de réduire de 40% ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2020, soit le double de l’objectif de l’UE.

Après Kyoto, rendez-vous à Poznan et à Copenhague

Devant la difficulté de l’exercice, les propositions de la Commission sur la révision du système ETS et sur les énergies renouvelables, attendues pour décembre 2007, ont été reportées au 23 janvier 2008.
La conduite des négociations et la formulation d’un compromis sur ce «paquet législatif» seront principalement à la charge de la présidence française. L’Union veut en effet conclure avant décembre prochain, pour pouvoir en faire état à la conférence de Poznan en Pologne, étape intermédiaire cruciale dans les négociations internationales en vue de faire aboutir, «le protocole de Copenhague». L’Onu prévoit de finaliser ce nouveau cadre d’actions sur le changement climatique pour l’après-Kyoto lors de la conférence de Copenhague, en décembre 2009.
Il faudra pour cela trouver un accord avec le Parlement européen qui a créé une commission temporaire du climat sans pouvoir législatif afin de coordonner le travail de ses trois principales commissions concernées: environnement, énergie et industrie. Cette dernière craint une baisse de compétitivité des entreprises européennes en raison des contraintes trop strictes. Le mandat de la commission temporaire du climat sera probablement prolongé jusqu’à novembre 2008, voire, s’il faut, mai 2009, selon Guido Sacconi (PSE), eurodéputé italien qui la préside.

Qijun Shi à Paris

 

Pages