• Retrouvez l'émission LA VOIX EST LIBRE diffusée samedi 8 novembre 2014, à 11h00 en direct du Neuhof
Pourquoi notre quartier renvoie-t-il une si mauvaise image ? Que faites-vous contre les discriminations dont nous sommes victimes quand nous cherchons du travail ? Pourquoi dois-je mettre 20 mn de plus qu'un habitant d'Illkirch pour me rendre au centre-ville en transports en commun ? Pendant une heure, Yazid, Nadia, Sanaa et Larouci ont questionné Roland Ries, maire de Strasbourg.
Une émission animée par Géraldine Dreyer et Nordine Nabili, directeur du Bondy Blog, et préparée avec les jeunes du Neuhof et les étudiants du Centre universitaire d’enseignement du journalisme.
En replay ci-dessous et sur alsace.france3.fr
« On est les premières victimes des clichés, des amalgames et la forme artistique, ça permet de dépasser ça, d'amener de la complexité. C'est aussi la fonction du cinéma. » Lundi 3 novembre, Abd Al Malik était au cinéma UGC Rivétoile à Strasbourg pour l'avant-première de son film autobiographique « Qu'Allah bénisse la France ».
Rappeur originaire du Neuhof, l'artiste désormais cinéaste a choisi de parler du quartier dans son premier long métrage, en noir et blanc. Sans fioritures mais avec verve, il évoque le quotidien des jeunes de la cité. Un milieu complexe où se côtoient drogue, chômage, violence mais aussi multiculturalisme, amitiés et religions salutaires. Pour Abd Al Malik, il s'agit de dire aux uns et aux autres que « le déterminisme, ça n'existe pas ».
Ces dernières années, le quartier du Neuhof connaît une abstention croissante. Premiers effets : le vote de gauche s'étiole et le Front National atteint des sommets. Le nord du quartier est le plus touché par ces évolutions.
« La politique, ça ne m'intéresse pas, ça ne répond pas à mes problèmes », « De toute façon, les élus, on les voit jamais » : ces phrases reviennent comme une rengaine dans la bouche des jeunes du quartier du Neuhof. Stationnés au pied des immeubles, engagés dans des associations, à la sortie des écoles, ils sont nombreux à exprimer leur défiance vis-à-vis de la politique.
L'université, plutôt que les quartiers
Les partis politiques ne viennent jamais recruter de militants dans ce quartier populaire de la capitale alsacienne, comme l’admet Mathias Valverde, coordinateur régional des jeunes socialistes : « La campagne de recrutement, on la fait dans les facs à la rentrée. C’est beaucoup plus efficace que d’aller dans les quartiers. » La tactique est identique chez le principal parti d’opposition à Strasbourg : « Les jeunes que l’on recrute sont pour la plupart d’entre eux des étudiants, on ne fait pas de recrutement ciblé dans les quartiers », précise Pierre Jakubowicz, l’un des collaborateurs de Fabienne Keller, qui conduisait la liste UMP à la mairie de Strasbourg.
Faute de militants, les formations sont absentes du Neuhof en dehors des périodes électorales. David Bour, 24 ans, 17e sur la liste du Front de gauche aux dernières élections municipales, vit au Neuhof et ne peut que constater cette défection : « Si j’avais une quinzaine de personnes à disposition, je serais très heureux de pouvoir faire du tractage chaque semaine. Mais les grosses sections de militants sont dans le centre-ville. On a déjà fait des réunions publiques au Neuhof, mais en dehors des campagnes électorales, il n’y a personne. Il y a un gros manque de confiance, dû à un sentiment d’abandon. » Le constat est partagé par Yazid Knibiehly, jeune militant UDI et habitant du quartier : « Pour nous, il est beaucoup plus facile et efficace d’être dans le centre-ville car on peut toucher des gens de tous les quartiers de Strasbourg. Au Neuhof, nos actions sont limitées car il n’y a pas de grand commerce et très peu de lieux d’expression. »
Seule exception : les campagnes électorales
Les campagnes électorales sont les seuls moments où les partis investissent le Neuhof. Pour le Parti socialiste, c’est même une question vitale, explique Matthieu Cahn, adjoint au maire de Strasbourg : « Pour le PS, la victoire se joue sur la participation des quartiers. C’est la proximité qui va compter car la télé ne les mobilise pas. Certains endroits sont prioritaires. Ceux où il y a une forte abstention et une surreprésentation de la gauche c’est-à-dire le nord du quartier. » Seule exception à cette activité militante sporadique, le Front national qui a enregistré en mars 2014 un score record de voix dans le quartier (17,7% au premier tour) sans y mettre les pieds : « On a fait du boitage [distribution dans les boîtes aux lettres, NDLR] mais pas de tractage. Il y a des endroits où on ne peut pas aller car on est très mal reçu. On n’a aucune politique particulière à destination de ce quartier », précise Flavien Suck, responsable du Front national jeunesse Strasbourg.
Charles Thiallier
« C'est pas en restant chez soi à râler qu'on change les choses », Yazid Knibiehly, 15 ans seulement, en est convaincu. Depuis l'âge de 8 ans, il est engagé en politique. Il fait partie de ces jeunes Neuhofois qui ont décidé de faire bouger les choses. Comme lui, Youness El Hassnaoui et Younus El Bachiri s'investissent à leur manière dans le quartier. Ils sont membres du Mouvement des jeunes diplômés du Neuhof, une association qui souhaite tirer vers le haut les étudiants de la cité.
L'abstention n'est pas seule à témoigner de l'éloignement des jeunes de la vie politique. Marqueur souvent négligé, la non-inscription sur les listes électorales peut pourtant prendre une ampleur considérable. Dans le quartier du Neuhof, à Strasbourg, elle touche un jeune sur cinq parmi les 18-24 ans.
Dans le quartier du Neuhof, près de 20 % des 18-24 ans ne sont pas inscrits sur les listes électorales. Dans le sud (Stockfeld et Ganzau), ce taux n'excède pas les 13 %, mais il dépasse souvent les 20 % dans la partie nord, celle des grands ensembles. Dans le bureau de vote 1005, autour de la place de Hautefort, plus d'un jeune sur quatre (29%) n'est pas inscrit. La désaffection des listes s'ajoute ici à celle des urnes. Autant l'abstention est remarquée et commentée, autant la non-inscription échappe aux écrans radar des analyses politiques.
Des étudiants peu inscrits
Certes, à l'Esplanade ou à la Krutenau, où réside une importante population étudiante, le taux est encore supérieur : à peine un jeune sur cinq est inscrit sur les listes. « Les étudiants votent peu à Strasbourg, précise Eric Schultz, adjoint au maire à l'état-civil. Ils sont inscrits sur les listes électorales de leurs communes d'origine. » Mais parmi les quartiers peu étudiants de la ville, le Neuhof affiche l'un des taux les plus élevés de non-inscription. A l'Elsau, à la Montagne-Verte, ou au Port du Rhin, la non-inscription ne dépasse pas les 10 %.
Au Neuhof, les premiers concernés sont les ressortissants étrangers hors UE, exclus d'office du droit de vote. De la même façon, certains condamnés par la justice peuvent être privés de leurs droits civiques, pour cinq ou dix ans. Une fois leur peine purgée, ils doivent faire la démarche pour se réinscrire. Pour les autres, a priori, l'inscription est désormais automatique si le recensement militaire (ou citoyen) est effectué dans les temps, c'est-à-dire dans les trois mois suivant les 16 ans, à l'occasion d'une démarche en mairie. Les retardataires peuvent néanmoins se retrouver sur les listes s'ils se manifestent avant 18 ans. Les jeunes y sont d'autant plus incités que la procédure est devenue nécessaire pour passer le permis de conduire ou un examen public.
Les limites du recensement
Pourtant, au vu des chiffres, des failles existent. La mairie, chargée d'envoyer les lettres de convocation au recensement, se fonde pour cela sur les registres d'état civil. L'adresse indiquée est donc celle des parents à la naissance. Si certains jeunes ont déménagé entre-temps, ils ne reçoivent aucun courrier et ne sont informés que par d'éventuelles campagnes menées dans les lycées.
Difficile toutefois d'évaluer le nombre de ceux qui échappent au recensement. On peut l'approcher en se basant sur la participation à la Journée défense et citoyenneté (JDC, ex-JAPD). Celle-ci découle, comme l'inscription sur les listes, d'un recensement dans les temps. Selon le centre du service national qui organise cette journée, dans une ville comme Strasbourg, près de 10 % des jeunes concernés ne se rendent pas à la convocation. Ce chiffre, qui s'approche de celui du non-recensement, vient nuancer les estimations optimistes de la mairie.
Alexis Boyer