Histoires personnelles transformées en pièces de théâtre : c’est le programme du Centre des Récits du Théâtre National de Strasbourg (TNS). Ce soir, la première de la saison, Valentina, est une création qui en fait partie.
Béatrice Dedieu et Fanny Mentré participent à recueillir paroles et témoignages pour le Centre des Récits du TNS. © Photo Eva Lelièvre
Ecouter les récits intimes, recueillir les paroles, traduire et retranscrire des vies : la directrice du TNS Caroline Guiela Nguyen a mis en place le Centre des Récits à l’automne 2023. Le projet du Théâtre National de Strasbourg (TNS), c’est prendre le réel et le transformer en imaginaire. Valentina, première pièce de la saison 2025-2026, provient de ce processus de création d’un genre unique.
« Petites histoires dans la grande »
« C’est quelque chose de tout à fait inédit dans les théâtres en France, ça n’existe pas ailleurs », explicitent Fanny Mentré et Béatrice Dedieu, du Centre des Récits. Mais comment cette structure fonctionne concrètement ? « On contacte des gens sur le territoire pour réaliser des entretiens. Ça devient une source d’inspiration, un matériau pour écrire de la fiction », précise Fanny Mentré. Cet outil de création a déjà donné naissance à sept spectacles inédits.
« On a créé un maillage sur le territoire, à Strasbourg et dans l’Eurométropole, complète Béatrice Dedieu. On y rencontre énormément de gens issus de pays étrangers. On donne à entendre des propos qui jusqu’alors étaient marginaux, méconnus ou minorisés. On fait attention aux petites histoires dans la grande »
Valentina, c’est précisément cela. L’histoire d’une petite fille roumaine de neuf ans qui devient l’interprète de sa mère, atteinte d’une maladie du cœur et qui ne comprend pas le français. Sa fille doit alors lui annoncer des diagnostics médicaux, et tente de les enjoliver. Vérité, langage, réalité : le spectacle interroge toutes ces notions. La pièce est interprétée par une majorité d’actrices et acteurs amateurs, membres de la communauté roumaine de Strasbourg. L’œuvre devient onirique, ornée de décors et de costumes enchanteurs. « Valentina prend les atours d’un conte qui, comme tel, mêle effroi et enchantement », s’enthousiasme Le Monde.
Des rencontres vivantes
Flora Nestour, membre du TNS travaillant également sur la pièce, décrit la recherche documentaire qui a nourri les récits. « On est beaucoup allés à l’hôpital : on a écouté les cardiologues, on a interviewé des psychiatres. C’est un dialogue avec la vie. » Mais au-delà de spécialistes, il a fallu partir à la rencontre des gens, et de leur histoire. De l’église orthodoxe roumaine à l’université, en passant par des messages sur des groupes Whatsapp de communautés et une publication sur le site du théâtre, les membres du Centre des Récits ont multiplié les contacts. Puis un atelier de deux semaines a eu lieu au TNS, et toutes ces personnes ont pu narrer leur histoire.
Le théâtre a également fait appel à l'association Migration Santé Alsace. Fanny Mentré et Béatrice Dedieu évoquent les témoignages d’interprètes et d’enfants qui se sont retrouvés en situation de traducteurs pour leur famille et leurs amis. L’une d’elles, alors qu’elle était enfant, avait dû annoncer à sa mère qu'elle avait un cancer. Ces récits intimes dépassent les frontières : la pièce sera également jouée à Lyon, à Limoges, à Calais, mais aussi à Rome et Milan, en Espagne et en Allemagne. Une dimension européenne que l’on retrouve dans certains projets du TNS, qui souhaite créer un Centre européen des récits, « qui rassemblerait des récits pas seulement venus de France mais aussi d’autres pays », confie Fanny Mentré.
Eva Lelièvre
Edité par Axel Guillou