Un an et demi après son ouverture, la tour Elithis-Danube, implantée dans le quartier de Rivétoile à Strasbourg, fait l'objet des premières critiques de la part de ses locataires, qui ont créé un collectif. Leur déception vient relativiser la réussite écologique prônée par les gestionnaires.
Les travaux aux abords de la Tour Elithis ne seront pas terminés avant 2020./ Photo Jérôme Flury.
De la fumée, de la circulation et des travaux. Au pied de la résidence Elithis-Danube qui domine le quartier de Rivétoile à Strasbourg, les ouvriers s’affairent. Ce bâtiment de 50 mètres de haut, réalisé par l’entreprise Elithis avec l’appui du Crédit Agricole, est une première architecturale au niveau mondial. En effet, il produit plus d’énergie qu’il n’en consomme, grâce à des panneaux photovoltaïques, et une limitation des surfaces déperditives. La tour grise et noire au design singulier s’est installée dans le paysage strasbourgeois et accueille des locataires depuis un an et demi.
Toutefois la prouesse technique qu’elle symbolise a tendance à faire oublier le quotidien perturbé des habitants. Tous locataires, ceux-ci sont arrivés tels des pionniers, en ayant l’impression d’être acteurs de ce projet novateur. C’est le cas de Valérie*, ravie d’habiter au 3e étage de la tour depuis plus d’un an, qui se remémore l’envie et l’intrigue ressenties en emménageant dans son appartement. Cette fierté a laissé la place à la désillusion. Les habitants s’attendaient à une résolution des problèmes à la hauteur de la médiatisation reçue par le lieu, qui avait attiré la plupart des médias nationaux lors de son ouverture.
Un lieu fermé à la critique
Valérie explique ainsi que des soucis d’écoulement existent, « à des échelles diverses » : « Moi je dois seulement faire attention à bien laver la douche, d’autres ont dû utiliser des bassines. » Les ennuis techniques sont devenus plus conséquents. « De l’eau s’est infiltrée dans les sols des 11e et 2e étages », explique Paul, jeune homme aux cheveux bien peignés, logeant au 7e étage. Quant à Estelle et Frank, cinquantenaires logés dans l’un des derniers étages, leur store mal fermé n’a été réparé qu’au bout de quatre mois. L’entreprise gestionnaire réalise des demandes d’intervention seulement lorsque plusieurs problèmes s’accumulent. Certes, il est possible de trouver des ennuis similaires dans de nombreux bâtiments. En revanche, le caractère particulier de cette tour conduisait à la mise en avant d’une communication uniquement positive sur l’édifice.
Au dessus des toits strasbourgeois, moment de lecture pour un résident de la Tour Elithis./ Photo Jérôme Flury
Dans cet immeuble résolument écologique, les autocollants « Stop Pub » recouvrent les boîtes aux lettres. « Les 63 logements étaient occupés en juin. Il y a eu quelques départs cet été », confie Arthur, résident du septième étage. Comme Valérie, le jeune homme reconnaît que le manque de réponses aux difficultés des locataires a amplifié les problèmes. « Nous avons créé une conversation Whatsapp entre nous et nous avons commencé à lancer des soirées apéritives, au 16e étage, afin d’échanger sur les soucis que nous avions. » Un collectif d’habitants a été lancé, fin juin, et regroupe à ce jour seize des locataires. Les rencontres se déroulent sur la terrasse de l’immeuble, le « cœur social », doté d’une vue sur la capitale alsacienne. La parole est alors libre.
« Les logements sont bons, et disposent d’une superbe isolation en termes de température et de bruit », décrit Arthur. Heureusement, car les véhicules de chantier sont en action, quelques mètres plus bas. « Il est vrai que je ne peux pas toujours ouvrir les fenêtres, et il fait très chaud en été », regrette ainsi le jeune homme, présent depuis août 2018. Impossible cependant de s’appesantir sur les défauts de cette construction : certains des habitants ont ainsi signé une charte les interdisant de « s’adonner à aucune forme de dénigrements, critiques ou autres propos ou agissements négatifs ou néfastes pouvant nuire à l’image du bâtiment Tour Elithis Danube ». Les premières critiques sont nées sur Internet, sous des pseudos divers. Ces avis forment un véritable cahier de doléances.
Les avis laissés sur internet, pessimistes sur la tour, sont publiés sous des faux noms./ Photo capture d'écran.
Une existence perturbée par des visites
La mauvaise notation du bâtiment n’a cependant pas freiné les visiteurs de curieux et d’amateurs d’architecture. « Un jour, je descendais en robe de chambre chercher mon courrier, je suis tombé sur une quarantaine de personnes qui observaient le rez-de-chaussée », glisse Arthur. Au cœur des couloirs propres et lumineux, des tensions ont commencé à émerger. « Le manque de communication du bailleur était problématique, le lien social s’est dégradé. » Valérie aussi témoigne d’un problème latent de communication avec les gestionnaires de l’édifice, dont le bailleur. Une réunion d’urgence s’est tenue le 4 septembre entre les habitants, la société Gest’Hom et les dirigeants d’Elithis. La rencontre a permis « aux parties de s’entendre », résume Valérie qui y voit un bon signe. L’habitante est confiante pour la suite, alors que lundi 16 septembre, Gest’home a prévu de recevoir des membres du collectif, quatre jours avant la tenue d’une soirée entre voisins. Ce dernier regroupement témoigne d’un renforcement des liens entre les locataires d’un lieu peu ordinaire.
Réunion de travail à 50 mètres de hauteur pour les habitants de l'écoquartier Danube./ Photo Jérôme Flury
De plus, tout n’est pas si sombre dans les logements de la Tour Danube, comme le glissent les souriants Estelle et Frank, qui habitent depuis plus d’un an au 14e étage et n’ont jamais rencontré le moindre ennui. Présent mercredi 11 septembre à la réunion de l’éco quartier Danube, organisée dans le cœur social du 16e étage, le couple profite de la vue imprenable sur la ville. « C’est quand même unique ! », souligne la femme, enchantée, alors que le soleil pose ses derniers rayons sur Strasbourg. Ce panorama, pour lequel plusieurs personnes se sont introduites dans la tour les premiers mois, appartient aux habitants de la tour d’argent. Un rappel de la singularité de leur logement, où la vie poursuit son cours derrière les murs couverts de panneaux photovoltaïques.
* Tous les prénoms ont été modifiés.
Jérôme Flury