Habitué des tribunaux, ce Strasbourgeois est accusé d’avoir craché sur une jeune femme, de l’avoir insultée et violentée.
La procureure requiert 15 mois d’emprisonnement. Photo : Esther Suraud
Tramway A, direction Illkirch-Graffenstaden. Ce dimanche 24 septembre, à 23 h 30, une jeune femme est dérangée par les regards incessants d’un homme, la quarantaine, installé à quelques sièges d’elle. Après avoir changé de place, l’œillade persiste et la passagère, qui perd patience, lui demande d’arrêter. C’est alors que des insultes fusent de la part du voyageur, « sale pute, salope, connasse », avant que celui-ci ne se lève et ne lui crache au visage. Elle se défend en l’insultant à son tour, puis par une gifle qu’il lui rend en coup de poing. Une bousculade se crée avant l’intervention des autres passagers. La scène est filmée par les caméras de surveillance du wagon. La victime s’en sort avec une ecchymose à la lèvre supérieure et un nez en sang, potentiellement fracturé d’après la première expertise médicale.
« L’affaire est extrêmement simple, même si elle est particulièrement désagréable », lance le président après avoir rappelé les faits reprochés au prévenu : « violence dans un moyen de transport collectif suivie d’incapacité n’excédant pas 8 jours, en récidive. »
« Une femme seule face à un homme »
Ce jeudi 28 septembre, la victime se tient seule au premier rang de la salle d’audience du Palais de Justice de Strasbourg, devant son père et son frère, installés derrière elle. « L’exposé fait par la victime lors de sa déposition ne correspond pas tout à fait à ce qui a été établi dans l’exploitation de la vidéo-surveillance. La plaignante ne fait pas référence à une défense physique de sa part. Vous ne vous êtes pas laissé faire, vous aviez bien raison, mais vous auriez dû le dire lors du dépôt de plainte », lance le président. Invitée à se lever, elle s’exécute et d’un pas lent, presque boitant, rejoint le micro au centre de la pièce.
« C’est faux, j’ai signalé à la police que je m’étais défendue quand il m’a craché dessus. Je vous jure, je ne l’ai pas caché. Je l’ai insulté aussi, en lui disant que si pour lui, j’étais une connasse, c’est que, au fond, il devait se sentir comme un connard », énonce la jeune femme. « Il n’a pas aimé que je lui réponde. » Jean bleu, t-shirt blanc, elle est âgée d’une vingtaine d’années et ses longs cheveux bruns sont tressés. « Je ne me sentais pas en sécurité dans ce tram. À quel moment peut-on se défendre quand on est une femme seule face à un homme qui se sent grand et fort ? » lance-t-elle avant de rejoindre le banc. En se rasseyant, son père lui pose une main sur l’épaule.
Son avocate, Me Herrmann, se désole qu’une femme ne puisse pas « être en sécurité la nuit dans un transport public », mais salue « le courage » de sa cliente. Une radio du nez doit encore être effectuée pour confirmer une probable fracture. La défense demande donc un renvoi de l’affaire pour chiffrer les préjudices.
Le parcours d’un délinquant
Le prévenu, un homme de 48 ans, né à Strasbourg, se tient derrière la vitre des accusés, entouré de deux policiers. Les mains jointes, le regard bas, il porte un pull blanc, une barbe grisonnante et des cheveux noirs. « Vous avez un casier judiciaire presque aussi épais que la procédure », lance le président avant d’énumérer les mentions qui y figurent, au nombre de vingt-huit. « Vol, extorsion, port d’arme, trafic de stupéfiants, recel, enlèvement, séquestration et beaucoup, beaucoup, de condamnation pour violence. » Les deux policiers se lancent un regard complice. La dernière condamnation, à six mois d’emprisonnement, remonte au 4 août 2022 pour des faits similaires à ceux qui lui sont reprochés aujourd’hui.
« Ça va s’arrêter quand ? Rien ne vous fait tenir tranquille. C’est inquiétant comme comportement, non ? » questionne le président. Silence dans la salle. « Répondez monsieur, s’agace-t-il, le tribunal vous écoute. » L’homme admet avoir eu une réaction excessive, notamment en donnant le coup de poing. En revanche, il nie avoir regardé avec persistance la jeune femme.
Sa situation est précaire. Il loge dans un foyer, dans lequel il ne peut pas accueillir sa femme et ses trois enfants, âgés de cinq mois, quatorze mois et trois ans et demi. Depuis avril 2023, il exerce un CDI à la plonge dans un restaurant strasbourgeois. Son avocate, Me Pfalzgraf, demande la clémence du tribunal, mais reste lucide face à la condamnation de son client, qu’elle sait inévitable. « Il a conscience qu’il va perdre son travail, son logement et que ses enfants et sa femme vont être impactés. Il reconnaît ses erreurs et il s’en excuse. » Dernier mot pour le prévenu, il s’avance vers le micro, tousse, et d’un ton monocorde lance : « J’aimerais encore m’excuser, je n’aurais pas dû réagir comme ça. » Maintenu en détention, il est condamné à quinze mois de prison ferme.
Esther Suraud
Édité par Jean Lebreton