En 1986, Judith Godrèche vit une liaison avec le cinéaste Benoît Jacquot. Le 6 février, l’actrice et réalisatrice porte plainte pour « viol avec violence sur mineure de moins de 15 ans » contre lui. Une enquête préliminaire a été ouverte par le Parquet de Paris.
Actrice et réalisatrice française, Judith Godrèche porte plainte contre son ancien compagnon Benoît Jacquot le 6 février pour "viol avec violence sur mineure de moins de 15 ans". © Arte
« Le désespoir de ma faiblesse passée, le désespoir de mon enfance volée, a trouvé sa voix. » Dans une lettre à sa fille publiée dans Le Monde le 7 février, l’actrice Judith Godrèche affirme vouloir briser le silence autour de sa relation avec le réalisateur Benoît Jacquot. Dans ce texte, elle annonce avoir porté plainte contre lui pour « viol avec violence sur mineur de moins de 15 ans ». En quelques semaines, le discours de la française a évolué.
En 1986, la jeune fille de 14 ans est castée pour le rôle principale des Mendiants. Benoît Jacquot, 39 ans, est à la réalisation. Il raconte en 2011, devant la caméra du psychiatre Gérard Miller, qui le filme pour son documentaire L’interdit : les ruses du désir, que la jeune fille « a braqué [son] désir ». Une relation commence. Personne sur le plateau ne s'étonne. Au contraire, la relation entre un réalisateur en vogue et une étoile montante du cinéma français est une vraie attraction pour les médias de l’époque qui célèbrent la libération sexuelle. Après six ans de relation, elle le quitte.
La fiction à la rescousse de la réalité
Direction les Etats-Unis, quasi dans la foulée. L’actrice, nommée à trois reprises aux César avant ses 20 ans, laisse derrière elle une carrière qui s’annonçait brillante. Outre-Atlantique, elle tourne. Un peu. Dans des films indépendants, qui passent sous les radars. Elle élève ses deux enfants, qu’elle a eus avant de partir d’un autre compagnon, vivote grâce à l’argent de la vente de son appartement parisien. De temps en temps, elle rentre en France le temps d’un second rôle, comme pour L’Auberge espagnole (2002) ou Potiche (2010). Puis un peu par surprise, la quinquagénaire réapparaît en France avec sa série, Icon of French Cinema, qu’elle présente au Festival du film américain de Deauville en septembre dernier.
Inspirée de sa vie, la série raconte l’histoire de son alter ego, ancienne actrice à succès, partie tenter sa chance à Hollywood puis revenue à ses premiers amours. Le retour est difficile, surtout que sa fille (qui joue son propre rôle) tombe amoureuse de son chorégraphe, de trente ans son aîné. Des souvenirs ressurgissent. Elle aussi, elle était avec un homme plus âgé. Une relation toxique, déroulée devant les yeux d’un public gentiment choqué par la transgression d’un tabou : l’amour entre un adulte et une enfant.
« La petite fille en moi ne peut plus taire ce nom »
De « peur que le sujet disparaisse derrière un nom », lors de la tournée promotionnelle de décembre, Judith Godrèche ne prononce jamais le nom de son premier compagnon. Même si de nombreuses archives existent, même si tout le monde ou presque sait, la désormais scénariste et réalisatrice esquive les questions, reste évasive. Sur le plateau de Quotidien, le 12 décembre, elle confirme n’avoir jamais montré ses films à sa fille sans savoir trop pourquoi, malgré les encouragements de Yann Barthès. C’est lui, d’ailleurs, qui mentionne Benoît Jacquot. En face, la réalisatrice est décontenancée. Entendre son nom semble la troubler. Son sourire disparaît. Un silence pesant de quelques secondes - une rareté en télé - s’installe. Et l’interview se poursuit.
Puis tout s’emballe, sur les réseaux sociaux. « La petite fille en moi ne peut plus taire ce nom. Il s’appelle Benoît Jacquot. », confie-t-elle sur son compte Instagram le 6 janvier, passé en public pour l’occasion. Le déclencheur de cette prise de parole ? Des extraits du documentaire de Gérard Miller, soudainement remontés des archives. Les mots de Benoît Jacquot, qui affirme que la mineure de l’époque n’en « avait rien à foutre » d’enfreindre la loi en étant avec lui, au contraire, il suppute que « ça l’excitait beaucoup. » Dans ce film, dont des extraits ont été diffusés sur X (ex-Twitter), le réalisateur mentionne aussi Virginie Ledoyen et Isild Le Besco, deux actrices qu’il séduit, alors mineures et actrices dans ses films.
Même si elle avait déjà pris la parole en 2017 contre le producteur américain Harvey Weinstein, Judith Godrèche affirmait le 10 janvier au Parisien que cet extrait « évoque des choses que je n’ai pas encore réussi à formuler à moi-même, et ça montre que je ne suis pas libérée. » Sa plainte pour « viol avec violences » ne serait qu’une étape avant la poursuite de sa prise parole. Elle promet dans sa lettre ouverte : « J’ai décidé d’être à la hauteur [...] quelle que soit la cruelle absurdité de ce vécu que je vais exposer au monde. »
Mina Peltier
Édité par Célestin de Séguier