L'absence de consensus franco-allemand rend difficile la création d'une armée commune en Europe, au grand dam d'Emmanuel Macron.
L'Allemagne craint de devenir le principal contributeur financier d'une défense européenne, sans pouvoir en prendre la tête. Photo wmfawmfa / Public Domain
Depuis le temps qu'il en parlait, Emmanuel Macron a enfin obtenu une réaction allemande sur un de ses sujets de prédilection : la politique de défense européenne. Mais pas sûr que le chef de l'État ait apprécié, et encore moins approuvé, cette proposition venue d'Outre-Rhin.
Johann Wadephul est vice-président du groupe parlementaire de la CDU, le parti conservateur d'Angela Merkel, au Bundestag. Dans une interview publiée par le quotidien berlinois Tagesspiegel le 3 février, il a reconnu que son pays « devrait être prêt à participer à la force de dissuasion nucléaire avec ses propres capacités et moyens ». Avant de préciser : « La France devrait être prête à placer [son arsenal nucléaire] sous un commandement commun de l'Union européenne ou de l'OTAN ». En clair : l'Allemagne pourrait participer au développement d'une défense européenne, à condition que la France renonce à contrôler seule son arsenal atomique.
Mais le député n'a pas obtenu le soutien de ses collègues. Ni même celui du gouvernement allemand. « Il s'agit d'un parlementaire isolé, qui a été critiqué, explique Jean-Pierre Maulny, directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), à CUEJ Info. Cette question n'est pas à l'ordre du jour à Berlin. »
Une idée mise sur la table en 2018
Si le président français pousse depuis un an et demi pour une coopération renforcée entre États européens sur le plan de la défense, il n'a jamais été question pour lui de laisser à l'Union européenne (UE) les codes nucléaires français. En novembre 2018, dans une interview accordée à l'hebdomadaire britannique The Economist, Emmanuel Macron disait pourtant : « On ne protégera pas les Européens si on ne décide pas d'avoir une vraie armée européenne. On doit avoir une Europe qui se défend davantage seule, sans dépendre seulement des États-Unis. »
Une armée européenne donc, mais dans laquelle la France occuperait le premier rôle, puisqu'il ne serait pas question de doter cette nouvelle force de l'arsenal français. Pour Emmanuel Macron, la question de la défense européenne apparaît d'autant plus importante que depuis le 1er février et la sortie du Royaume-Uni de l'UE, la France reste la seule puissance nucléaire au sein des 27.
Le contexte politique mondial fait aussi dire au chef de l'État que la situation devient pressante : « La France, l'Allemagne et les autres pays européens sont maintenant menacés par de nouveaux missiles russes », déclarait-il en décembre dernier. Ce discours faisait référence à la suspension de l'accord entre les États-Unis et la Russie visant à interdire les missiles terrestres de portée intermédiaire.
Un sujet toujours sensible en Allemagne
Du côté allemand, ces appels n'avaient jusque là pas suscité beaucoup de réactions. La politique de défense et le renforcement de l'armée restent des sujets sensibles pour Berlin. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Allemagne a adopté une position pacifiste et intervient surtout pour des missions de maintien de paix et de sécurité. Ainsi, en décembre 2019, Berlin avait annoncé vouloir renforcer sa présence au Sahel, où l'armée allemande vient déjà en soutien logistique à l'armée française dans la lutte contre la menace djihadiste.
Sa politique de défense se range aussi derrière l'OTAN. Les propos tenus par Emmanuel Macron en novembre 2019 sur l'état de « mort cérébrale » de l'organisation avaient été plutôt mal accueillis. La chancelière Angela Merkel avait même pris ses distances avec ce discours et soutenu devant les députés du Bundestag : « L'Europe ne peut pas se défendre seule pour le moment, nous dépendons de l'Alliance transatlantique. » Pourtant, Donald Trump avait fortement critiqué l'engagement allemand au sein de l'Alliance. Surtout sa participation financière, qu'il juge trop faible. En 2018, les dépenses allemandes en défense représentaient 1,24 % de son PIB, contre 2 % exigés par les Américains.
37 milliards d'euros de prévus pour l'arsenal nucléaire français
Mais Jean-Pierre Maulny explique cette position par le passé de l'Allemagne : « Le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe a autorisé l'armée allemande à participer à des opérations extérieures en dehors des zones militaires de l'OTAN qu'à partir de 1974. »
En visite en Pologne en début de semaine, Emmanuel Macron a remis sur la table l'idée d'une défense européenne renforcée. Il a aussi précisé qu'il tiendra, vendredi 7 février, un discours sur sa vision de la dissuasion nucléaire française. Une question sensible pour Paris, pour qui cet arsenal garantit la souveraineté militaire de la France. Le chef de l'État a plusieurs fois manifesté son attachement à l'armement nucléaire et sa volonté de le moderniser. La France a aussi déjà prévu d'investir 37 milliards d'euros jusqu'en 2025 dans ce but.
Cependant, le président a déjà annoncé qu'il voulait « prendre en compte les intérêts des partenaires européens » dans les stratégies françaises de dissuasion nucléaire.
Florence Parly, ici au centre de commandement de l'OTAN à Bruxelles, appelle à davantage de coopération pour une défense européenne. Photo U.S. Secretary of Defense / CC BY 2.0
Chacun campe sur ses positions
Pourtant les gouvernements français et allemand ne semblent pas encore prêts à faire évoluer leurs positions sur la politique de défense européenne. Mercredi 5 février, Florence Parly, ministre de la Défense française, et Annegret Kramp-Karrenbauer, ministre fédérale de la Défense allemande, étaient à Strasbourg pour répondre aux questions de l'assemblée parlementaire franco-allemande qui réunit une centaine de députés des deux pays.
Les ministres ont notamment évoqué le programme européen SCAF qui prévoit une coopération franco-germano-espagnole pour développer un nouvel avion de combat. Une coopération pour l'instant dans l'impasse tant que le Bundestag, le parlement allemand, n'aura pas voté d'allocation allemande dans le budget du projet. Une situation que Florence Parly a tenu à rappeler : « Le sort [de la coopération] est maintenant entre les mains du Bundestag. »
« Il n'y a aucun doute que, ensemble, l'Allemagne et la France, nous souhaitons que le SCAF soit réalisé rapidement, efficacement et de façon équitable pour les deux parties », a répondu la ministre allemande. Pour mener à bien ce projet, le groupe aéronautique français Safran a pris les rênes de la coopération pour développer le nouvel avion de combat, au détriment de son homologue allemand MUL. Une situation critiquée par Berlin qui aimerait revoir la position des industriels.
Même si la ministre allemande s'est montrée optimiste sur le déblocage des fonds pour le projet SCAF, l'Allemagne craint de devenir le principal contributeur financier de la coopération sans pour autant pouvoir en prendre la tête. De son côté, si la France milite pour une politique européenne de la défense, elle n'entend pas, pour l'instant, perdre sa souveraineté dans le domaine militaire.
Aurélien Gerbeault