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01/03/25
16:47

Le syndicat dans la bergerie

Dans les Cévennes, six jeunes gardiens de troupeaux viennent de fonder en novembre 2024 un syndicat pour défendre leurs conditions de travail. De quoi tenter d’insuffler une dynamique de lutte sur ce territoire rural dominé par les exploitants agricoles, où les travailleurs du secteur doivent très souvent composer avec l’isolement.

Le poing levé, les doigts refermés sur une canne de berger. Le logo du Syndicat des gardiens de troupeaux (SGT) s’affiche en grand sur un drapeau fièrement brandi par six bergers des Cévennes. La photo publiée sur le site du syndicat le 28 novembre 2024 montre le groupe de salariés agricoles, tout sourire. Après Grenoble (Isère), Saint-Girons (Ariège) et Marseille (Bouches-du-Rhône), ils et elles viennent d’officialiser la création de la quatrième antenne de cette branche de la CGT-FNAF (Fédération nationale agroalimentaire et forestière) au Vigan (Gard).

Pour eux, c’est le début d’une lutte collective inédite dans la région, avec l’espoir de pouvoir négocier leurs conditions de travail face à la FNSEA, syndicat majoritaire parmi les exploitants agricoles. Après plusieurs années à tenter de se battre seuls pour leurs droits, cette ouverture représente déjà une petite victoire sur l’isolement social et géographique avec lequel ils et elles doivent composer au quotidien.

Un secteur en proie à la solitude

À la sortie de l’A75, les lacets du Col du Vent permettent d’admirer le plateau aride du Larzac. La route pour se rendre à La Vacquerie-et-Saint-Martin-de-Castries (Hérault) est sublime. Marion* habite ce petit village de 175 habitants, dans une maison en pierre dont l’architecture intérieure rappelle celle d’un dojo.

La bergère est l’une des six membres du nouveau SGT-CGT Cévennes. « Je ressentais le besoin de me mobiliser. Je trouvais important de faire du lien car on est dans un métier dangereux et isolé », explique la jeune femme de 33 ans.

Formée sur le tas, sans passer par une école de bergers, Marion est arrivée dans la profession sans réseau ni connaissance de ses codes. Selon elle, ses patrons ont profité de sa crédulité. « J’ai accepté des conditions vraiment minables. Je ne savais pas ce qui était OK et ce qui ne l’était pas. C'est un métier où les employeurs vont valoriser le fait de travailler pour pas grand-chose, dans des conditions dangereuses et de s'oublier complètement. Il y a une envie de se faire accepter dans ce milieu-là. Donc au début, on y croit », témoigne-t-elle.

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Actuellement en période de repos après avoir travaillé pendant l’estive, Marion attend un nouveau contrat d’agnelage. ©François Bertrand

La bergère a développé un regard critique sur ses conditions de travail au fil de ses échanges avec ses collègues. « Au début, j'étais vraiment seule. J'ai passé plusieurs années sans connaître aucun berger. Puis je me suis posé la question : “Comment travaillent les autres ?” » Lors des estives – les pâturages d’été en montagne – Marion prend le numéro de téléphone des bergers qu’elle rencontre, puis les contacte régulièrement : « Tu étais à quelle estive ? Ça s'est bien passé ? Combien tu étais payé ? »

L’été esseulés en altitude avec leurs troupeaux, le reste de l’année embauchés pour de la garde en flanc de colline ou de l’agnelage, les gardiens de troupeaux font la plupart du temps cavalier seul.

Avec la création du SGT-CGT en Ariège en 2019 (la deuxième branche SGT après la création du syndicat d’Isère en 2013, peu actif de 2015 à 2022), les branches syndicales ont commencé à organiser des rendez-vous annuels à travers le sud de la France.

Le but est de rassembler le plus largement possible les acteurs d’un secteur dont il est difficile de quantifier le nombre, les gardiens de troupeaux étant classés sous le terme générique de « salariés agricoles ». L’enjeu du recensement des bergers est primordial afin d’envisager le développement des antennes départementales.

Selon le SGT-CGT, qui compte environ 100 adhérents, il y en aurait entre 1 000 et 5 000 en France. « Le fait de ne pas connaître ses collègues, c'est aussi un frein pour nous. Mais grâce au bouche-à-oreille, je pense qu’on peut actionner les manettes pour savoir qui travaille où, et dans quelles conditions », indique Marion.

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©Océane Cardot et Tristan Vanuxem

En plus de Marion, la création du SGT-CGT Cévennes a permis l’adhésion de trois nouveaux membres, basés dans l’Hérault, le Gard et en Lozère. De nouveaux porte-paroles pour le syndicat, en vue de potentielles négociations. Même si le dispositif est encore en rodage dans les Cévennes.

"Le côté social, c'est ça la partie fun"

À Saint-Jean-du-Gard, la plupart des boutiques hibernent en attendant le retour de la saison touristique. Ce mardi de décembre, Claire* et son chien sont venus profiter d’un après-midi ensoleillé pour faire une balade en bord du Gardon de Saint-Jean. La bergère habite un peu plus haut, non loin du bourg de 2 500 habitants. Syndiquée depuis deux ans en Provence-Alpes-Côtes-d’Azur (Paca), elle a été à l’initiative de l’antenne des Cévennes qui a vu le jour fin novembre, notamment pour des raisons logistiques : « Faire cinq heures de route pour chaque réunion, même si je ne les faisais pas toutes, c'était lourd. »

Pour le syndicat, qui cherche à se faire connaître des gardiens de troupeaux de la région, la communication de proximité est le nerf de la guerre. « On a commencé l’édition de cartes postales. Au printemps, on organisera une rencontre avec des gardiens de troupeaux, ici, à Saint-Jean-du-Gard », annonce Claire.

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Les Cévennes comptent 24 habitant·es au km2, soit quatre fois moins que la moyenne française. ©Tristan Vanuxem

Mais le mot « proximité » prend un tout autre sens en zone rurale. Les six membres du SGT-CGT Cévennes vivent pour la plupart à plus d’une heure de route les uns des autres. Pour développer des projets en commun, les réseaux sociaux et les réunions virtuelles s’avèrent des solutions bien pratiques.

Ces salariés ne sont cependant pas prêts à se passer complètement du contact humain. « C'est hyper précieux. Le côté social, c'est ça la partie fun. Comme on vit dans des territoires qui sont très isolés, on est super contents de se retrouver. Et ça fait du bien car quand on échange, on peut vraiment se dire qu’on vit la même chose. »

La menace d'une cible dans le dos

Vachers, bergers, chevriers vont de massif en massif, au gré des contrats qu’ils et elles décrochent. Les plus chanceux parviennent à se créer un réseau solide qui leur permet de travailler dans des conditions acceptables. D’autres, de peur de ne pas retrouver de troupeaux les saisons suivantes, hésitent parfois à monter au créneau. Se syndiquer, c’est se mobiliser pour défendre ses conditions de travail. Dans le cas des gardiens de troupeaux, c’est aussi risquer d’être marqué d’une croix rouge par les éleveurs.

En ce mois de décembre, comme souvent à cette époque de l’année, il a neigé dans l’ouest des Cévennes. Raythe Banare est installé à Meyrueis (Lozère), village perché à 700 mètres d’altitude, à environ une heure de Millau. Assis au coin du feu, ses deux borders collies à ses côtés, le berger de 30 ans se roule une cigarette. Il est de ceux et celles qui se sont joint·es à la création du SGT-CGT Cévennes, lui qui avait abandonné l’idée de se syndiquer au sein de l’antenne départementale en Paca. « J’avais plus de cinq heures de route pour aller aux réunions. Je ne me voyais pas m'investir », raconte-t-il.

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Diplômé d'un master en agronomie, Raythe Banare s'est reconverti en berger en 2020. ©François Bertrand

Avant de commencer sa carrière de berger en 2020, le Normand a été animateur pendant deux ans pour la Confédération paysanne, syndicat d’exploitants agricoles. De quoi affûter son regard sur les liens qui unissent les gardiens de troupeaux aux propriétaires de bétail. « Tu n’es pas vraiment dans un rapport patron-salarié dans ce milieu. Parfois, tu as de la sympathie pour la personne qui t’emploie. Quand tu bosses pour des petits éleveurs, tu acceptes plus facilement de rogner sur ton salaire. »

Selon le jeune berger, les négociations individuelles sont complexes à mener. Dans les Cévennes d’autant plus, où le contrat va à celui qui réclame le moins. « Ici, il n'y a pas beaucoup d'offres d'emploi et les éleveurs jouent là-dessus. Il y a des bergers qui n’ont pas de conscience politique, qui entretiennent le discours du patronat, celui du métier passion », témoigne-t-il. Revendiquer de meilleures conditions de travail est d’autant plus délicat que les berger·es se retrouvent parfois en infériorité numérique lors des négociations, certains exploitants unissant leurs troupeaux lors des estives.

Avant de penser à adhérer, Raythe Banare a donc préféré s’assurer une certaine stabilité. « Il y a des gens qui craignent de se syndiquer parce qu'ils ont peur de la réaction des éleveurs. C'est un petit milieu. Si tu te grilles, ça devient compliqué. Ça ne m'inquiète plus, car j’ai mon carnet d’adresses. »

*Les prénoms ont été modifiés.

Tristan Vanuxem

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