Les voyagistes voient leur trésorerie fondre et leurs séjours s'annuler les uns après les autres. Avec la fermeture des frontières, aucune perspective d'amélioration ne se dessine.
My Trav'ELS a dû annuler ses six voyages prévus en février. © Cyrielle Thevenin
Pas un appel ne résonne ce jeudi 18 février dans les locaux de l'agence de voyage My Trav'ELS, rue Oberlin, à Strasbourg. La gérante, Audrey Peri, a encore les yeux rougis. Ce matin, elle a appris que ses aides financières étaient revues à la baisse et a encore dû annuler des voyages. "Ça devient très compliqué, soupire-t-elle. Je suis triste parce que cette agence, c'est mon bébé, j'ai bossé jour et nuit pour la lancer. Là, on est vraiment en détresse totale, on ne sait plus comment s'en sortir". La fermeture des frontières hors Union européenne, annoncée le 29 janvier par le Premier ministre, a été un vrai "coup de grâce" pour les agences de voyage, déjà à la peine depuis le premier confinement. My Trav'ELS, qui propose essentiellement des voyages à l'international, a aussi perdu au moins 90% de son chiffre d'affaires, "97% certains mois", détaille la gérante.
Tout le secteur du voyage touristique souffre. Le tourisme mondial a perdu 1300 milliards de dollars en 2020, selon l'OMC. En France, selon le président des entreprises du voyage, 20 milliards d'euros ont été perdus en 2020. À Strasbourg, la plupart des agences travaillent à horaires et effectifs réduits. Et dans les boutiques, il est rare d'y voir encore des clients. Terra Nobilis, agence spécialisée dans le voyage culturel principalement en Europe et en Russie, n'a enregistré aucun départ depuis octobre. Le directeur, Laurent Lanfranchi garde toutefois espoir : "On a la certitude que l'activité va reprendre, mais la question c'est quand. Chez nous, les gens réservent quatre à six mois à l'avance. L'enjeu, c'est de parvenir à anticiper la reprise et là c'est très difficile, car on a aucune visibilité." En attendant, l'agence, dont la clientèle est exclusivement senior, propose des conférences culturelles en ligne. "Elles nous permettent de garder contact avec la clientèle et ça marche plutôt bien", indique Nathalie Wabnitz, agent de voyage, avant de s'interrompre pour répondre à un client qui souhaite tenter l'expérience.
Chez Terre d'Est, qui organise des voyages de groupe, l'activité est réduite à de l'administratif. © Cyrielle Thevenin
D'importantes charges à venir
Chez Terre d'Est aussi, les locaux sont bien calmes. Cette coopérative de tourisme, qui propose des séjours de groupe dans le Grand Est, a perdu 95% de son chiffre d'affaires. "Personne ne veut signer un devis sans savoir si son voyage va pouvoir avoir lieu. On a quelques demandes, car les gens ont envie de voyager, mais rien ne se concrétise", explique Emeline Le Floc'h, assistante commerciale et administrative. L'ordonnance du 25 mars 2020 a permis aux agences de voyage de ne pas rembourser leurs clients mais d'avoir la possibilité de leur fournir des avoirs valables 18 mois, pour les voyages prévus entre le 15 mars et le 15 septembre 2020. "Si on avait dû rembourser, nous n'aurions plus de trésorerie", révèle Emeline Le Floc'h.
Mais l'échéance se rapproche, les premières annulations remontent à bientôt un an. Le chômage partiel, auquel beaucoup d'agences ont recours, est aussi pris en charge à 100% par l'Etat, mais uniquement jusqu'à fin mars. De quoi générer beaucoup de stress pour les professionnels du secteur. Certains se sont regroupés au sein du collectif de défense des métiers du voyage et tentent d'alerter les pouvoirs publics sur leur situation. Sur leur groupe Facebook, ils échangent des conseils et tentent de s'entraider. Audrey Peri essaie également de diversifier son activité, en proposant des produits du Maroc, comme de l'huile d'argan dans son agence. "Je me dis que ça fait voyager autrement. Le problème, c'est que ce n'est pas 10 euros par ci qui vont me permettre de vivre. Clairement, je vais devoir trouver un autre travail à côté le temps que la situation s'améliore", concède-t-elle. Elle envisage aussi de se séparer de son local, une charge dont elle ne peut "plus se permettre" aujourd'hui. La morosité l'emporte peu à peu sur la volonté de rester optimiste.
Cyrielle Thevenin