En première ligne lors des débats sur la mariage pour tous à l'Assemblée nationale, Christiane Taubira, la garde des Sceaux, défend devant les députés le projet de loi. Excellente oratrice, celle qui a été députée pendant presque vingt ans, convoque à la tribune -et souvent sans note- René Char, poète surréaliste et résistant, Paul Ricœur, philosophe, ou encore Aimé Césaire, poète martiniquais.
Nous sommes allés chercher dans la bibliothèque numérique de la femme politique. Sans surprise, ce sont surtout des écrivains qui se sont battus pour une cause - l'anticolonialisme, la négritude, la Résistance- qui dominent.
L'intervention du garde des Sceaux du 29 janvier, au cours de laquelle elle expose le projet de loi dans un Hémicycle électrique, se conclut sur des vers extraits d'un poème, Grand comme un besoin de changer d'air, de Léon-Gontran Damas, originaire de Guyane, comme la ministre, et fondateur du mouvement de la négritude avec Aimé Césaire ou César Senghor dans les années 1940 à Paris.
Mariage homo : le discours de Taubira en moins... par LeNouvelObservateur
L'intervention de Christiane Taubira sort cet écrivain de l'oubli relatif dans lequel il était tombé depuis sa mort en 1978. Les consultations sur sa page Wikipédia et les recherches sur Google augmentent brutalement fin janvier.
La ministre de la justice est une familière de l'œuvre de ce Guyanais. Quand, en 1999, Christiane Taubira, alors députée socialiste, présente à l'Assemblée sa proposition de loi visant à faire reconnaître la traite et l'esclavage comme des crimes contre l'humanité, elle se tourne déjà vers les poètes anticolonialistes, Aimé Césaire et Léon-Gontran Damas. En 2007, elle a organisé un congrès en l'honneur de Léon-Gontran Damas et en 2008, elle participe à un colloque à Kourou autour de l'homme de lettres.
Léon-Gontran Damas par Christiane TAUBIRA par kourou-tv
En 2002, c'est René Char qu'elle cite en appui de sa candidature à l'élection présidentielle. La député se présente sous l'étiquette du Parti radical de gauche. Elle obtient 2,32% des voix et sera accusée d'avoir fait chuter Lionel Jospin face à Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen.
Pêle-mêle, on trouve aussi sur les rayonnages de la ministre Tahar Djaout, journaliste et écrivain algérien assassiné en 1993, Mahmoud Darwich, poète palestinien qui s'est battu pour la libération de sa terre, ou encore Frantz Fanon, farouche militant anticolonialiste. Des lectures qu'elle affichait sous forme d'extraits dans une rubrique "J'aime et je partage" sur son site, christiane-taubira.net, aujourd'hui hors ligne.
Christiane Taubira, qui est l'auteur de cinq livres, dont ses Mémoires, Mes météores, publiés l'année passée, lie luttes politiques et lectures militantes. D'ailleurs, si elle était un roman, elle serait Love, de Toni Morrison, pour "ces femmes féroces d'amour et ivres d'amitié." Les députés de l'opposition, qui multiplient les joutes oratoires sur le mariage pour tous, prendront note.
Mathilde Cousin