Depuis un mois, plusieurs salariés se sont immolés par le feu. Un moyen extrême d'expression de la détresse, qui a encore fait une victime lundi à Pau.
Un salarié de France Telecom s'immole par le feu à Bordeaux, en avril 2011. Photo : AFPVidéo
Elle a marqué l'actualité au Tibet, mais aussi en Tunisie, déclenchant les révolutions arabes, ou plus récemment en Bulgarie. L'immolation par le feu est un moyen d'exprimer une détresse. Un ultime moyen. Un employé de France Telecom est mort lundi matin à Pau après s'être immolé à son domicile. Le dernier d'une longue liste.
Ce phénomène touche des salariés, mais aussi des personnes fragiles en situation de précarité : le 13 février dernier, un chômeur en fin de droits mourait en s'immolant par le feu devant une agence Pôle emploi à Nantes.
Deux jours plus tard, en région parisienne, un autre sans emploi tentait de mettre fin à ses jours de la même manière, en pleine rue, avant que des passants n'interviennent et luis sauvent la vie. Le même jour, un commerçant savoyard, un collégien de Charente-Maritime et un trentenaire de Côte-d'Or ont s'aspergeaient de liquide inflammable ou menaçaient de le faire.
Le passage à l'acte n'est pas toujours motivé, mais lorsqu'il est effectué dans un lieu public, le message est clair : il s'adresse à la société et aux différentes sphères du pouvoir, selon le lieu choisi – à son domicile, dans la rue, devant Pôle emploi, dans la cour de récréation d'un collège... « Lorsqu'on se suicide devant Pôle emploi, on envoie un message à ceux qui étaient censés vous tirer d'affaire et qui ont échoué », analyse le sociologue Michel Wieviorka sur Atlantico.fr.
Pour certains spécialistes, cela permet de mourir en martyr. « Un geste à la fois sacrificiel et protestataire », explique le psychiatre Michel Debout au Monde.fr. Pour lui, cette forme de suicide est « la dernière façon de se faire entendre », mais aussi un moyen d'interpeller l'opinion publique. Plus qu'un sacrifice, il s'agit un « processus horrifique », avance même la psychiatre marocaine Rita El Khayat sur Slate.fr.
La crise économique n'y est pas pour rien – le Nantais avait justifié son suicide en pointant du doigt Pôle emploi. Michel Debout met en garde contre la détresse psychologique et les passages à l'acte que certaines situations économiques entraînent. Selon lui, 750 suicides et 10 780 tentatives seraient imputables à la crise, entre 2008 et 2011.
Juin 2011 : inauguration à Paris de la place Mohamed Bouazizi, mort en martyr en décembre 2010. Photo : AFPVidéo
L'immolation par le feu permet de rendre sa mort publique, de mobiliser l'opinion, voire de créer un mouvement de contestation, à l'image du Tunisien Mohamed Bouazizi en décembre 2010 – son geste déclenchera les révolutions arabes –, ou de l'étudiant tchécoslovaque Jan Palach en 1969 – qui deviendra l'icône du printemps de Prague. Sans compter les moines tibétains qui s'immolent face à la tutelle chinoise – on en compte plus d'une centaine depuis 2009.
Février 2013 : un centième cas d'immolation chez les moines tibétains. Photo : AFPVidéo
Ces immolations et tentatives successives en France sont préoccupantes. Mieux comprendre et anticiper le passage à l'acte paraît indispensable. Marquée par la statistique d'un suicide toutes les 50 minutes en France, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, a confirmé le 12 février dernier la création d'un observatoire sur le suicide.
Clément Lacaton
Voir l'intervention de Marisol Touraine au Conseil économique, social et environnemental, le 12 février dernier :