Engagé sur les questions mémorielles, ce psychiatre organise chaque année une commémoration du pogrom du 14 février 1349, où près de 2 000 Juifs ont été massacrés à Strasbourg.
Georges Federmann porte un « Judenhut » pour honorer la mémoire des 2 000 Juifs brûlés à Strasbourg le 14 février 1349. © Milan Busignies
Parmi la vingtaine de personnes recueillies solennellement place de la République mardi 14 février, une silhouette détonne. Arborant fièrement son « Judenhut » - un couvre-chef imposé aux Juifs entre le XIIIe et le XVe siècle - Georges Federmann honore les persécutés à sa manière. Pour faire part de sa douleur vis-à-vis des 2 000 Juifs brûlés à Strasbourg en 1349, le médecin de 67 ans reprend des titres de Johnny Hallyday et Richard Anthony. « Je fais des conférences chantées, comme ici avec Johnny. Ce sont les mecs les plus ringards que je connaisse. Mais c’est très ennuyeux d’écouter une parole figée et officielle », se justifie-t-il.
Son exubérance et son aisance oratoire pourraient faire penser à un comédien, mais en l’écoutant davantage, il s’agit bel et bien d’une façade. Quand on lui demande ce qu’il pense de lui, la réponse est sans appel : « Je suis un gros con ringard, ce qui me ferait peur, c’est la certitude. »
« Un historien de la communauté juive locale »
Né en 1955 à Casablanca, au Maroc, Federmann arrive en France à huit ans. D’abord installé à Paris, il entame ensuite des études de médecine à la faculté de Strasbourg. Depuis le début de sa carrière il y a 36 ans, le psychiatre place la mémoire juive au cœur de son engagement. En 1997, il crée le cercle Menachem Taffel. L’association appelle à une réhabilitation mémorielle des 86 victimes juives du docteur Hirt, un médecin nazi qui exerçait à l’Institut d’anatomie de Strasbourg. Ses travaux sont guidés par une question : comment l’une des meilleures médecines occidentales a-t-elle pu adhérer au nazisme ?
Une position sur l’Israël critique et critiquée
En parallèle, celui qui se définit comme un « ovni » déplore la politique de l’État d'Israël et appelle à la reconnaissance de la Palestine. Cette position lui vaut de vives critiques de la part de la communauté juive de Strasbourg, mais l’intéressé n’en a cure. « Je suis indépendant, ma parole est libre, souligne-t-il. Depuis 30 ans, je suis devenu un historien de la communauté juive locale grâce à mes travaux. Je reste fréquentable, malgré ma position sur la question palestinienne. Les gens peuvent être condescendants avec moi, mais ils m’écoutent. »
Une vingtaine de personnes se sont réunies le 14 février 2023 pour commémorer le pogrom de Strasbourg de 1349. © Milan Busignies
Symbole des crispations existantes, le ton monte lorsqu’un fidèle prend parti pour la Palestine durant la cérémonie. En face de lui, une femme lui reproche de ne pas parler de la mort d’un enfant israélien victime d’un attentat à Jérusalem. Deux camps se dessinent : certains dénoncent la colonisation israélienne en Cisjordanie, alors que d’autres pointent du doigt le lien entre antisionisme et antisémitisme. L’ambiance s’apaise ensuite, Georges Federmann se félicitant que ces questions soient abordées « sans tabou ».
« J’ai un devoir envers les personnes vulnérables »
S’il assure être en dehors de tout parti politique, le psychiatre se définit clairement d’extrême-gauche et assume cette visée dans son travail. « J’ai un devoir envers les personnes vulnérables. Je me dois d’accueillir tout le monde », clame-t-il. Dans son cabinet, il dit recevoir régulièrement des personnes démunies, sans-papiers ou toxicomanes, le tout sans rendez-vous. Au cours de la séance, la dose de soins thérapeutiques est choisie par le patient, sans contrainte du médecin.
Cette vision de la médecine pour tous, Georges Federmann l’a consolidée après un drame personnel survenu en 2005. Le 15 novembre, son patient Bouchaïb Chadli fait irruption dans son cabinet et ouvre le feu sur lui et sa femme, Véronique Dutriez. Responsable locale du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples, elle meurt le lendemain. Symboliquement, son mari conserve son cabinet au même endroit, et choisit de poursuivre ses combats. Cinq ans plus tard, l’auteur des faits est déclaré irresponsable pénalement, mais il ne peut plus se rendre dans le Bas-Rhin jusqu’en 2030.
Dans la lignée de ses actions, Georges Federmann affirme son opposition à l’émergence des idées du Front National - désormais Rassemblement National - dans le débat public. En 2022, l’élu du RN Laurent Husser insulte le psychiatre de « passeur » et de « crapule » sur Facebook. Des propos qui lui valent une condamnation en première instance pour diffamation, mais le politique est finalement relaxé en appel pour un vice de procédure.
Les particularités de Georges Federmann ont aussi jailli sur grand écran. Le réalisateur Swen de Pauw lui a consacré deux documentaires. Comme elle vient, réalisé en 2019, est le dernier en date.
Milan Busignies
Edité par Juliette Vienot de Vaublanc