Pour garder le contact avec son public, le monde culturel bas-rhinois a développé une offre numérique durant le confinement. Une solution pour attirer des personnes étrangères à ce milieu ? Pas si sûr…
Le chemin serpente jusqu’à l’entrée du mémorial Alsace-Moselle de Schirmeck. Le visiteur passe devant la billetterie, puis la boutique. Résistant aux tentations consuméristes, il emprunte les escaliers pour se retrouver, enfin, au cœur de l’établissement, qui raconte l’histoire des territoires de 1870 à nos jours. Un grand hall au sol multicolore lui donne le choix de l’époque qu’il souhaite découvrir. Un premier couloir signale les dates d’immédiate après-guerre (1945-1961). Un deuxième permet de se plonger dans la Guerre froide jusqu’à la chute du mur de Berlin. Les conséquences provoquées par ce bouleversement jusqu’à nos jours sont exposées dans un troisième et dernier corridor. Terre retournée, arbres carbonisés, tank embourbé, la première galerie conduit à une scène apocalyptique de la Seconde Guerre mondiale. Soudain, un événement contraint l’internaute à interrompre son cheminement virtuel.
Une opportunité pour attirer un public nouveau
Depuis leur domicile, de nombreux “touristes” ont bénéficié de l’observation virtuelle à 360°, imaginée par l’équipe du mémorial. Une visite qui existait depuis 2017, mais qui a été (re)découverte par les internautes grâce à l’enfermement imposé par l’épidémie. En plus de cette balade au cœur du site, les responsables postent, chaque semaine, une vidéo sur les réseaux sociaux. Le principe ? Présenter une salle du musée en racontant la période qu’elle évoque, comme une vraie visite guidée. “On a investi le numérique pour pouvoir exister même pendant le confinement”, explique Sabine Bierry, adjointe de direction du mémorial. Et l’idée a plu : de semaine en semaine, chaque vidéo a enregistré plus de vues que la précédente.
Tableau : Le Rouge à lèvre n°2 "Dimanche" de František Kupka exposé au Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg.
Joëlle Lacava : "Ce qui m’a plu c’est de découvrir des œuvres et de trouver comment, avec des objets de chez moi, j’étais capable de les reproduire ! C’était à la fois intellectuel et ludique !"
© Musées de Strasbourg / Joëlle Lacava
Tableau : Vierge en oraison de Sassoferrato exposé au Musée des Beaux-Arts de Strasbourg.
Caroline Lévy : "Avec un groupe d’amis, on faisait ce challenge tous les dimanches. C’était une sorte d’occupation pendant le confinement."
© Musées de Strasbourg / Caroline Lévy
Tableau : La Méduse du Caravage exposée au musée des Offices de Florence.
Audrey Grill : "J’avais vu passer quelques très belles réalisations sur les réseaux sociaux et je m’étais dit 'tiens, c’est une très bonne idée, ça insiste à chercher les détails, à comparer et donc à découvrir une œuvre, je ferais bien une composition moi aussi'."
© Musées des Offices de Florence / Audrey Grill
À l’image du mémorial Alsace-Moselle, de nombreux musées et salles de spectacle du Bas-Rhin, contraints de fermer, ont dû de se réinventer en imaginant des alternatives numériques aux visites. Ainsi, sous l’impulsion des Musées de Strasbourg, le concours national “Art en quarantaine” s’est invité dans le département. De nombreuses personnes ont utilisé les hashtags #tussenkunstenquarantaine et #artenquarantaine pour publier sur les réseaux sociaux une photo reproduisant une œuvre d’art exposée dans un des musées de la capitale alsacienne. Les mélomanes ont pu, de leur côté, profiter du télétravail des musiciens de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, qui ont régulièrement organisé des concerts à distance diffusés sur Facebook. Enfin, le Théâtre National de Strasbourg (TNS) a débarqué chez les mordus d’art dramatique avec des lectures et des extraits de monologues proposés en ligne.
Pendant deux mois d’enfermement, les écrans ont fait office de fenêtres ouvertes vers la culture. Des pratiques nouvelles qui fragilisent les anciennes frontières menant à des lieux parfois perçus comme élitistes. Fini les contraintes financières ou géographiques, adieu le sentiment d’illégitimité à franchir le seuil d’un musée ou d’un théâtre.
Le virtuel ne sera jamais à la hauteur du réel
Alycia Thomas, accompagnante des élèves en situation de handicap au collège Jean-Mentel de Sélestat, et peu habituée des musées, est le parfait exemple de ceux qui se sont essayés à l’art par écran interposé. Depuis son canapé, elle a tenté de découvrir le Louvre, mais s’est rapidement déconnectée. “J’ai été un peu déçue. Le virtuel, c’est quand même très différent. Je me baladais dans les couloirs avec ma souris, mais sans pouvoir observer les œuvres de près.” Laureen Turlin, étudiante à Strasbourg, a visionné des pièces de théâtre qui devaient être jouées au Maillon, à Strasbourg, et elle est du même avis : “Ce n’est pas aussi bien qu’en vrai. Les captations ne sont pas esthétiques et ça ne donne pas envie de regarder.”
Paul Lang, le directeur des Musées de la ville de Strasbourg, reconnaît que le numérique n’est pas une finalité, mais un moyen : ”Le web, on l’investissait déjà. Avec la crise, on a juste plus de visibilité.” Il espère, avant tout, que les gens reviendront dans les musées. Sabine Bierry confirme qu’internet est un outil indispensable pour se faire connaître : “L’avantage, c’est que les algorithmes permettent parfois de toucher des personnes qui n’auraient pas d’elles-mêmes regardé notre site, ou qui n’y seraient pas allées : ça peut clairement créer et susciter des envies.”
Première réussite : le concours #ArtEnQuarantaine compte déjà plus de 500 participants en France. Mais il faudra attendre jusqu’à la réouverture des espaces culturels pour savoir si leur présence sur le web a pu drainer un nouveau public.
Héloïse Décarre
Juliette Jonas