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Le souk d’Amman. 17 heures. Les marchands qui crient pour vendre leurs produits se mêlent aux promeneurs qui tentent de marchander, aux klaxons incessants et aux appels à la prière. L’étal de Mohammad, 53 ans, qui vit à Amman depuis toujours, attire l’attention avec une multitude de pyramides colorées nommées zaatar. Je l’avoue, mes connaissances occidentalo-centrées sur cette épice typique du Moyen-Orient se cantonnaient jusque-là aux livres d’Ottolenghi, chef israélien qui saupoudre son mélange aussi bien sur des pâtes cacio et pepe que sur un poisson pêché la veille. « Tu as du zaatar d’Alep, du libanais, du jordanien, du palestinien… », explique Mohammad qui s’empresse de me les faire goûter un par un. Révélation : il n’y a pas un zaatar mais mille et un zaatar. C’est le début d’une quête.

« Hahaha ! » « Say Hummus ! » Dans le hall de la salle de spectacle, les petites pancartes colorées donnent le ton de la soirée. Sur un faux décor de stand-up installé pour l’occasion, les spectateurs prennent la pose – les sourires flirtant avec l’insouciance pour la photo. Et ça dissone. Dehors, la guerre à Gaza et le deuil sont dans toutes les têtes ; dedans on rit, on s'esclaffe même.

Même si le Hamas est interdit en Jordanie depuis 1999, le mouvement jouit d’une forte popularité dans le royaume hachémite depuis le 7 Octobre. En témoignent les manifestations récurrentes à Amman. Ce soutien pour le mouvement palestinien émanant des Frères musulmans pourrait renforcer son cousin jordanien et inquiéter le pouvoir, qui ne manque pas de le surveiller.

L’assaisonnement phare de la cuisine moyen-orientale raconte l’exil, la diversité et la culture arabe. Balade dans les rues d’Amman où le mélange d’épices se décline à chaque coin de rue.

Pendant les trois premiers mois de la guerre à Gaza, les spectacles se sont arrêtés en Jordanie. Plus une soirée au Amman Comedy Club, plus un rire. En mai, le retour de l’humour rebute encore une partie de la population endeuillée, quand une autre y voit l’espoir d’une résistance.

Ceci est une légende.

Ceci est une légende.

C’est le cas de Salem, « le berger le plus connu de tous les Bédouins », plaisante son ami. À « 31 ans et quelque chose », 174 000 abonnés sur Instagram, il a dépensé les dinars jordaniens économisés de son activité de guide pour acheter des moutons. Il en possède désormais une quarantaine et les suit chaque jour au volant de son pick-up pour les emmener pâturer. Chevelure longue et lisse, hattah autour du cou, Salem ne passe pas inaperçu. « Si je vais à Amman, ils me trouveront bizarre et penseront que je viens d’un siècle en arrière », s’amuse le berger-influenceur.

Pour lui, accueillir des visiteurs n’est pas incompatible avec son identité bédouine, au contraire. « Montrer notre culture permet de ne pas la perdre », insiste celui qui espère le retour des touristes. Sur les réseaux sociaux, il partage régulièrement des photos et vidéos de sa vie dans le désert, au milieu des animaux. Il utilise la technologie pour promouvoir la tradition ; celle qui rassemble tous les Bédouins de Wadi Rum.

« Il y a quelque chose qui me retient dans le désert »

À quelques kilomètres de là, dans une tente bédouine typique, des hommes partagent le thé et la chicha autour du feu. Ils reproduisent les bruits entendus dans le ciel la nuit précédente, ce qu’ils supposent être des missiles provenant du Yémen en direction d’Israël. Depuis le 7 Octobre, ils sont une vingtaine à vivre sur ce campement : les fils sont revenus près de leur mère pour faire pâturer les bêtes. Les femmes, qui vivent dans une tente voisine, s’occupent de la traite et de la fabrication du fromage. Tenues à l’écart des discussions masculines, elles tiennent le foyer, cuisinent et mangent les restes du repas des hommes.

Après avoir terminé sa journée de travail, Saleh se joint aux autres autour du feu. Le Bédouin de 25 ans a définitivement arrêté son métier de guide pour se consacrer au commerce des moutons et des chèvres. « Avec 200 moutons, je gagnerais la même chose qu’en étant guide, soit 30 000 à 40 000 JOD par an », explique-t-il, entre deux gorgées de thé sucré.

Il prévoit d’acheter 50 moutons après l’Aïd Al-Adha, fête musulmane qui a lieu le 17 juin, pour atteindre les 200 bêtes d’ici l’an prochain. Le jeune homme se projette dans le métier de ses grands-parents, qu’il pratique aujourd’hui comme un semi-nomade. Le campement est déplacé près de cinq fois dans l’année, au gré des sources et de la verdure.

Le guide reconverti en berger est catégorique : pas question de revenir en arrière. Et encore moins de partir. « Il y a quelque chose qui me retient dans le désert, assure le jeune homme. Je ne pense jamais à l’ailleurs. » La chute du tourisme lui a permis de renouer avec ses traditions. Même s’il gagnait à la loterie, Saleh continuerait de s’occuper de ses moutons et de ses chèvres. Il sourit, « ici, c’est notre meilleure vie ».

Clara Grouzis
Esther Suraud
avec Rami Jaber

 

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