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À Argokhi, l’agriculture reste l’activité dominante mais les bénéfices qu’elle génère sont, eux, insignifiants. En Géorgie, 93 % des exploitations s’appuient sur une agriculture familiale et de subsistance et permettent de dégager un tout petit revenu. Les fermes d’Argokhi n’y font pas exception, avec des denrées qui n’ont que peu accès aux marchés des grandes villes comme Tbilissi.
Les exploitations agricoles vivotent
Teona Rostomashvili et Tamazi Valishvili rencontrent cette difficulté à leur échelle, depuis leur installation à Argokhi en 2007. Les conditions de travail sont rudes : les parents de deux enfants de 8 et 11 ans, disent ne pas compter leurs heures, du petit matin jusqu'à minuit parfois. Pour faire face aux aléas, le couple mise sur une multiplicité de petites productions : vaches laitières, cochons, chèvres, ruches, vignes, légumes et fruits. « Il faut nécessairement être polyvalent. Si tu rates une de tes productions, tu as toujours les autres pour te rattraper », explique l’agriculteur.
Alors que la famille consomme la plupart de sa production agricole, Teona explique qu’elle parvient tout de même à tirer un peu d’argent de la vente de produits laitiers. Le fromage qu’elle fabrique dans sa cuisine est avant tout commercialisé à l’échelle du village et ne permet pas d’assurer un revenu élevé. Elle explique que le prix doit « rester accessible pour les gens du village ayant un petit budget ». Un kilo de fromage acheté chez Teona coûte donc entre douze et quinze laris (4,40 à 5,50 euros), selon la saison.
L’Adjarie continue de miser sur le tourisme, qui se concentre sur les mois d’été. 32 % des investissements de la région lui sont dédiés selon le Département du tourisme de la république autonome d’Adjarie. Ce secteur n’est toutefois plus le seul moteur du développement de Batoumi, où des structures commerciales sortent de terre et espèrent être rentables à l’année. C’est le cas du Batumi Grand Mall, un centre commercial qui ouvrira en août 2023 sur la rue Sherif Khimshiachvili, parallèle au boulevard de Batoumi. 24 000 m2 de boutiques, un cinéma, une salle de fitness, une aire de restauration et un bowling… L’établissement a coûté 20 millions d’euros. Il sera le premier de la région à accueillir des marques internationales comme Zara ou Mango. Le Batumi Grand Mall pourra profiter d’un récent changement de démographie. « La guerre entre la Russie et l’Ukraine joue un rôle important dans la croissance locale, affirme l’économiste Paata Aroshidze, professeur associé à l’université Shota Roustaveli de Batoumi. Des Ukrainiens et des Russes avec des salaires supérieurs à la moyenne arrivent pour échapper au conflit. Ils s’installent à Batoumi, consomment, et injectent du capital. » Ces nouvelles populations au pouvoir d’achat plus élevé que la majorité des Géorgiens ont aussi les moyens d’habiter les immenses complexes immobiliers construits au cours des vingt dernières années.
Une ville inadaptée à l’urgence climatique
« Avant la guerre, beaucoup d’immeubles étaient vides, sans lumière et sans vie », décrit Natia Apkhazava, du Civil Society Institute, organisme de lutte contre les inégalités. Une conséquence de l’évolution rapide mais chaotique de la ville. « À l’époque, le gouvernement ne s’intéressait pas à la façon dont les immeubles allaient vraiment bénéficier aux habitants de Batoumi sur le long-terme, déplore Natia Apkhazava. L’objectif était de construire, pas d’améliorer la ville. » Au détriment des enjeux écologiques. « Cette urbanisation rapide a détruit la nature et l’environnement. Elle a aussi empiré la pollution de l’air », tempête Shota Gujabidze. L’écologiste est membre de l’association Society Batom, opposée à la transformation dérégulée de Batoumi.
Cette urbanisation désordonnée a parfois laissé sur le carreau habitants et bâtiments. Ana a 90 ans et vit depuis plus de 70 ans à Batoumi. « Aujourd’hui, les prix sont plus hauts, et ma maison n’est pas aussi bien qu’avant. J’avais plus d’argent, un meilleur travail, je pouvais acheter tout ce que je voulais. Tout a augmenté », témoigne-t-elle, assise devant sa minuscule épicerie. S’il pouvait parler, le Magnolia Building tirerait sûrement les mêmes conclusions que la Géorgienne. Son histoire est aussi édifiante que son apparence. Une arcade blanche aux épaisses colonnes romaines précède une cour entourée de 900 appartements à la façade lépreuse et noire de moisissure. Sur les 13 étages, quatre ont été ajoutés illégalement, conduisant à la condamnation du promoteur immobilier. Ce dernier a ensuite fait faillite et laissé l’immeuble à l’abandon, en proie à une détérioration accélérée. Le bâtiment n’a que 12 ans mais il en paraît 100 et fait pâle figure par rapport au McDonald’s en forme de vaisseau futuriste qui lui fait face. Plusieurs appartements vides sont désormais des dépotoirs à l’odeur nauséabonde. L’endroit avait pourtant vocation à devenir un établissement haut de gamme avec piscine et service de chambre.
En 2020, Batoumi inaugurait l’Adjarabet Arena, symbole du virage moderniste pris par la ville pour rendre le quartier attractif en Géorgie et au-delà.
Dans un petit salon de coiffure sommaire, brosses et ciseaux s’entassent pêle-mêle. Un rideau soigneusement fermé cache le reste de la pièce, comme si un client pouvait arriver à tout moment. « Mon fils Jimi coupait les cheveux aux gens d’Argokhi et des villages alentours », explique Anna Korbesashvili.
Aujourd’hui c’est ici que la septuagénaire reçoit de la visite – des photos de son fils toujours à portée de main. On la sent très affectée par son départ vers la capitale, il y a trois ans.
Jimi Korbesashvili fait partie de la centaine de personnes parties d’Argokhi depuis 2002. Son départ est l’illustration de l’exode rural qui touche la Géorgie. Si la population de Tbilissi augmente de façon constante depuis 2005, celle des régions rurales diminue. Toutefois, elle représente encore 40 % de la population totale.
Absence de perspectives
Devant la maison, un chien se met à aboyer. Otari Korbesashvili, le mari d’Anna, rentre en chantant dans le jardin. Pour lui, l’explication est toute trouvée : « Les jeunes Géorgiens ne veulent pas travailler. La terre d’ici nous offre de multiples possibilités pour l’élevage ou la vigne, mais personne n’en profite, regrette-t-il. Les jeunes préfèrent aller dans les grandes villes et travailler dans les bureaux. »
En dehors de l’école maternelle et primaire et du seul commerce d’Argokhi, les personnes qui n’ont pas d’exploitation agricole ou de terres ont pourtant peu d’opportunités d’emploi. « Il n’y a pas d’espoir pour les jeunes ici », lâche Dodika Vanishvili.
Le trentenaire est assis à l’abri de la pluie sur la place centrale avec son père et un ami. « Birsha », c’est le mot d’origine russe utilisé en Géorgie pour désigner les hommes comme eux, traînant dehors sans rien faire. « Les jeunes qui restent vont bientôt s’asseoir ici avec nous », prédit-il.
120 km - Fin de saison à la station de ski de Gudauri
À quelques 2 000 mètres d’altitude, la route passe en plein milieu d’une station de ski avant d’atteindre son point culminant au Col de la Croix, où les touristes se bousculent en hiver. Les sommets enneigés du Caucase, dont certains culminent à 5 000 mètres, servent de toile de fond aux installations touristiques qui sortent de terre à un rythme effréné.
Appartements à vendre, hôtels et spas fleurissent le long d’une chaussée défoncée et jonchée de déchets. Des loueurs de quads prennent leur aise sur des parcelles d’herbes. Alors qu’à Tbilissi, les caractères russes sont de moins en moins tolérés, ici, des dizaines d’affiches sont rédigées dans les deux langues.