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Au premier étage de la librairie Kléber, ce mercredi 4 mars, on a parfois eu l’impression d’assister à une réunion de vieux amants. Sur les sept candidats venus débattre sous l’égide du club de la presse et des Dernières Nouvelles d'Alsace, quatre sont issus de la majorité sortante (Jeanne Barseghian, Chantal Cutajar, Alain Fontanel et Catherine Trautmann). Jean-Philippe Vetter, le candidat Les Républicains (LR), a pour sa part été formé dans les écuries de Fabienne Keller, maire de Strasbourg entre 2001 et 2008, dont le mouvement Agir soutient Fontanel. Alors, ce premier débat entre les têtes de listes a surtout permis de mettre au jour des rancunes tenaces, recuites depuis douze ans que Roland Ries est au pouvoir. Les divergences de fond, elles, sont restées au second plan. Et chacun y est allé de sa pique acerbe sur le bilan du voisin, qui n’a jamais manqué de lui renvoyer la pareille. 

Le bilan au centre des tensions 

« Dois-je croire les élus qui ont bétonné la ville ou les candidats qui veulent la verdir ? », s’est interrogé le candidat LR, ouvrant les hostilités contre la liste écolo et citoyenne, dont le numéro 2, Alain Jund, est adjoint à l’urbanisme de la mairie sortante. Réponse de Jeanne Barseghian : « Cette campagne est savoureuse : ce sont ceux qui ont voté le GCO et artificialisé des centaines d’hectares de terre, qui viennent aujourd’hui nous donner des leçons ! », rappelant que la droite est majoritaire au conseil de l’Eurométropole. « Moi, à l’époque, quand j’ai voulu réaliser le tram, les écologistes ont voté contre », a taclé Catherine Trautmann, descendue de son socle de statue du Commandeur pour régler ses comptes avec les Verts, tenants de « l’opposition constructive » à l’époque de son mandat. Le placide Alain Fontanel y est lui aussi allé de son trait contre Les Républicains : « Si nous avions tout fait mal, Jean-Philippe Vetter et son groupe n’auraient pas voté 80% des délibérations du conseil municipal ». Enfin, qui l’eût cru ? Même le Rassemblement National (RN) s’est vu renvoyé à son bilan. Comme Hombeline du Parc estimait, selon la formule consacrée, que « les listes Vetter et Fontanel, c’est blanc-bonnet et bonnet-blanc : du recyclage de l’équipe Keller », le candidat LR s’est mis à pointer frénétiquement du doigt Jean-Claude Bader, numéro 2 de la liste RN et ex adjoint de Fabienne Keller, ancienne maire de Strasbourg. « Oui, mais il est avec nous depuis 2015 », a rétorqué la frontiste - « Et il chante bien! », a-t-on pu entendre dans la salle, en référence à la renommée de Bader comme sosie professionnel de Johnny Hallyday. 

 

Figure politique bien connue à Strasbourg, le premier adjoint au maire espère faire tomber la capitale alsacienne dans l'escarcelle de La République en marche. Parti tôt en campagne, il mise sur sa personnalité pour convaincre.

L’heure des comptes a sonné. Les prétendants à la mairie de Strasbourg entament la dernière ligne droite de leur campagne et se renvoient le bilan de cette mandature. On a compté les points.

Catherine Trautmann, un lexique fourni

Avec 76 occurences, elle est la championne du vocabulaire écologique. La candidate socialiste insiste sur les énergies renouvelables avec l’usage du même terme à sept reprises. Une thématique que l'on retrouve dans son programme avec l’instauration d’un plan en faveur de la récupération de l’énergie solaire pour faire de Strasbourg la première ville à énergie positive. La répétition de « zéro-plastique », « zéro-pesticide » et « recyclage » mettent en évidence des mesures en faveur du tri des déchets et la mise en place du plan « Strasbourg zéro plastique ».

Alain Fontanel, un programme rythmé par la répétition

« Il faut penser la ville à partir de la nature », a-t-il annoncé lors d’un interview à Pokaa pour introduire sa politique écologique. En effet, le nom « nature » intervient à dix reprises dans son programme. Un enjeu au cœur de sa campagne qui se traduit en majorité par la création de trois parcs urbains et la plantation d’arbres. Le terme « local », évoqué cinq fois, témoigne de son ambition de développer l’agriculture de proximité, pour approvisionner 100 % des cantines scolaires strasbourgeoises. Le groupe nominal « véhicules électriques », cité six fois, renvoie au projet d’accompagnement de la fin du diesel par l’accession aux véhicules à énergie verte.

Jeanne Barseghian, un vocabulaire diversifié

La candidate écologiste, devant Catherine Trautmann, dispose du champ lexical le plus varié avec 28 mots distincts et 46 occurrences. Contrairement à ses concurrents, Jeanne Barseghian fait usage de synonymes et emploie peu les mêmes termes :  elle utilise à la fois « végétalisation » et « déminéralisation » pour évoquer un même concept. Elle a le plus recours au qualificatifs environnementaux en distinguant « urgence climatique » et « dérèglement climatique » ou en se positionnant comme un « bouclier écologique » pour relever le « défi écologique ».

Kevin Loquais, un positionnement énergétique

Sur la question des énergies vertes, Kevin Loquais devance Catherine Trautmann. Il accumule le plus de termes sur ce thème : « covoiturage », « panneaux solaires », « rénovation énergétique », « énergies renouvelables » et « rénovation thermique ». Plusieurs de ses propositions fortes font référence à l’énergie : installer des panneaux photovoltaïques sur les parkings et les logements sociaux et mettre en place un plan de rénovation thermique et énergétique pour les logements et les bâtiments publics.

Jean-Philippe Vetter, un discours vert et épuré

Le champ lexical de la nature constitue plus de 50 % du discours du candidat Les Républicains. Il répète jusqu’à cinq fois l’occurrence « espaces verts » et quatre fois « arbre » et « fleurs ».  « Bétonisation », son mot-phare, revient à huit reprises dans son programme et renforce sa volonté de verdir le paysage urbain. Une communication qui laisse peu de place à d’autres mesures écologiques.

Hombeline du Parc, un projet environnemental léger

D'après les mots recensés dans son programme, l'environnement n'est pas un enjeu de campagne du Rassemblement national. La thématique énergétique abordée par tous, et particulièrement la gauche, est ici absente. Hombeline du Parc revendique la végétalisation de la ville, comme ses concurrents, et dénonce la politique écologique menée à Strasbourg avec la remise en cause de la « zone à faible émission » et de l'arrêté « anti-diesel ».

Loana Berbedj

L'ancienne maire de Strasbourg a donné une nouvelle dynamique à la liste PS. Photo Nicolas Massol

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Face à Alain Fontanel, à gauche de l'image, Catherine trautmann, à droite de l'image, a montré toute son experience lors du grand débat ce mercredi 5 mars. Photo Thémis Laporte

Histoire commune de la gauche

La colère de Catherine Trautmann ne pardonne pas, à entendre Anne-Pernelle Richardot : « Une fois que vous avez perdu sa confiance, vous l’avez perdue pour de bon. » À l’instar de Roland Ries, qui a pris sa place à l’Hôtel-de-Ville lorsque la socialiste est partie occuper le poste de ministre de la Culture et de porte-parole du gouvernement. Et l'a rendue de mauvaise grâce au retour de Catherine Trautmann. « Quand elle est revenue à Strasbourg, elle a fait preuve d’autoritarisme en virant Roland Ries sans ménagement », se souvient Jean-Marie Brom, alors militant écologiste. Au point de susciter des troubles dans le PS bas-rhinois, et la candidature dissidente de Jean-Claude Petitdemange, ancien secrétaire fédéral du parti à l’élection de 2001. Contacté par Cuej.info ce dernier ne souhaite pas s’exprimer sur la candidature de son ancienne rivale. Craint-il encore les foudres de Catherine Trautmann, quelque vingt ans après ?

Inflexible, droite dans ses bottes, la femme politique l’est de formation. Petite-fille de pasteur, ayant elle-même étudié la théologie protestante, elle arrive au PS en 1977 par la deuxième gauche de Michel Rocard, lui aussi de culture réformée. « Elle appartient à cette histoire commune de la gauche, évoque Eric Schultz. Parmi les candidats, elle est la seule à se réclamer d’une filiation. » Sur sa page Facebook, Catherine Trautmann 2020, une photo en noir et blanc la montre, poing levé, aux côtés de Nelson Mandela. Façon de rappeler son engagement antiraciste. Pour protester contre la tenue du congrès du Front national dans la capitale alsacienne en 1997, la première édile avait organisé une manifestation — « la plus grande démonstration de force depuis la Libération », vante Anne-Pernelle Richardot. 

Coups de Jarnac

Mais au moment d’entrer en campagne aux côtés de Mathieu Cahn, à l’automne 2019, force est de constater que ce passé avait été rangé aux oubliettes. Et avec lui, l’ancienne maire de Strasbourg. Elle a eu beau affirmer en prenant la tête de liste le 5 février : « Je ne suis ni une revenante, ni un fantôme », Catherine Trautmann revient de loin. Et son retour en force risque de hanter la nuit certains de ses anciens camarades politiques, coupables de ne pas avoir semé sur son chemin que des pétales de tulipe. À commencer par Alain Fontanel, qui opérait dans les instances nationales du PS quand Catherine Trautmann s’est vue placer en position non éligible aux élections européennes de 2014, derrière le syndicaliste de Florange (Moselle), Edouard Martin. Présente sur la liste de Roland Ries à l’élection municipale de la même année, elle écope d’une piteuse seizième place - et n’obtient même pas un portefeuille d’adjointe dans la nouvelle majorité, même si elle est nommée vice-présidente de l’Eurométropole. « Et puis, il y a le dernier coup de Jarnac de Roland Ries », rappelle Éric Schultz. Le maire sortant de Strasbourg, ancien premier adjoint de Catherine Trautmann, a choisi, il y a peu, de soutenir la liste LREM. 

De stammtisch en réunions d’appartements, la candidate PS cherche à montrer qu’elle est bien revenue, et en pleine forme. « On l’attaque sur son âge quand on n’a rien à critiquer sur son programme », considère Delphine Bernard, treizième de liste. Qui se veut rassurante, tout de même : « Il y a deux semaines, elle a fait un check-up auprès de son cardiologue ; il lui a dit qu’elle avait un cœur de sportive ». Pour ne pas dire de battante ? « Elle redécouvre la ville, après avoir été tenue à l’écart des affaires par Roland Ries, témoigne Anne-Pernelle Richardot. Et elle semble y prendre plaisir : elle a Strasbourg chevillé au corps. » Pas suffisant pour gagner selon Jean-Marie Brom, militant écologiste et présent sur la liste défaite de Catherine Trautmann en 2001. « Les Strasbourgeois n'aiment pas les perdants », siffle-t-il. Là est peut-être le danger pour Trautmann, descendre encore dans l'arène au risque d'écorner son propre mythe.

Nicolas Massol

Fendu en deux, un brin goguenard, un vieux monsieur s'avance, une tulipe non éclose à la main. « C'est pour Catherine, pour Catherine », répète-t-il en entrant dans le local de campagne du PS, rue la Division-Leclerc, où l'ancienne maire de Strasbourg tient permanence une heure tous les samedis. « Vous voyez, ici, on dit " Catherine", alors que les autres, c'est "Ries", ou "Barseghian" », jubile Éric Schultz, adjoint au maire sortant et huitième sur la liste PS.

Un deuxième souffle

Ce genre de témoignage d'amour, les supporters de Catherine Trautmann ne s'en lassent pas. Surtout après le départ de Mathieu Cahn, ex-tête de liste mais aussi photographe connu pour ses clichés érotiques réalisés entre 2010 et 2011. Sur cette double vie – Mathieu Cahn le jour, adjoint en charge de la jeunesse, et Mathieu Borowicz la nuit, amateur d'étudiantes dénudées -, exhumée début février par Mediapart et Rue89, l'ancienne maire de Strasbourg ne s'est pas exprimée publiquement. À en croire sa colistière, Anne-Pernelle Richardot, c'est « par devoir » qu'elle a accepté de prendre la tête de la liste au pied levé. Depuis, elle préfère mettre en avant, c'est plus commode, le dernier sondage BVA, paru le 27 février, qui la porte en troisième position, derrière Alain Fontanel et Jeanne Barseghian. « La dynamique est de notre côté ; de ce point de vue, nous avons une longueur d'avance », crâne-t-elle en présence des autres candidats, lors du débat du 4 février, à la librairie Kléber. « C'est la seule chance pour les socialistes d'éviter le ridicule », moquait il y a peu Jean-Marie Brom, numéro trois de la liste LFI « Strasbourg en commun ». Sur ce plan, la partie est déjà gagnée pour l'ancienne maire. 

La reine Catherine 

D'autant plus que c'est avec son nom que l'ancienne maire de Strasbourg a donné un nouveau souffle à la campagne du PS. « Sur les marchés, les gens voient sa photo sur les tracts et viennent nous parler de « Catherine », rapporte Eric Schultz. Les Strasbourgeois ont un lien fort, personnel avec elle. » À la tête de la capitale alsacienne entre 1989 et 1997, puis de 2000 à 2001 après un passage comme ministre de la Culture et porte-parole du gouvernement Jospin, Catherine Trautmann a non seulement façonné la capitale alsacienne mais jouit aussi d'une envergure nationale. 

Première femme maire d’une ville de plus de 100 000 habitants, elle reste dans les mémoires comme celle qui a fait reculer la voiture à Strasbourg, ville pionnière du tram. « Elle l’a imposé dès son arrivée au pouvoir, contre tout le monde, y compris les membres de sa majorité », rappelle Anne-Pernelle Richardot. Quitte à passer pour despotique et à écoper des surnoms de « reine Catherine » et de « tsarine ». « Dès qu’une femme est déterminée, elle est qualifiée d’autoritaire », réfute Andrée Buchmann, candidate Les Verts contre Trautmann en 1989. Certes, reconnaît l’élue schilikoise, une fois aux manettes, « le PS de Trautmann a fait preuve d’arrogance, et n’a pas compris notre posture d’opposition constructive. » Encore aujourd’hui, l’ancienne première édile répète à qui veut l’entendre que les écolos se sont opposés au tram à sa naissance. Buchmann s’en étonne : « C’est marrant, à l’époque, déjà elle avait fait courir le bruit que nous étions contre le tram, ce qui est faux [voir notre fact-checking, NDLR]. Je pensais qu’elle avait évolué. » 

 

Germaine Schell est l'une des figures kolbsheimoises de la lutte contre le GCO. Photo Mariella Hutt / Cuej

Gérmaine Schell, opposante de la première heure au GCO. Photo Mariella Hutt / Cuej

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