Avant d'accéder à la magistrature suprême, le président guinéen a dû se battre contre l'autoritarisme des régimes post-coloniaux de Conakry. Mais après une réélection controversée en 2015, il fait désormais face à la fronde du personnel enseignant depuis trois semaines, et y répond avec toujours plus de fermeté.
Le président Alpha Condé, reçu en juin 2016 par son homologue russe Vladimir Poutine à Saint-Petersbourg. Crédit : Kremilin.ru
« Je suis le président du changement au bénéfice de tous, de la réconciliation nationale et des progrès pour tous », lançait Alpha Condé en novembre 2010, au lendemain de sa victoire à l'élection présidentielle guinéenne, après des années d'exil et de persécutions. Une déclaration aujourd'hui écornée par la gronde de la société civile et de l'opposition, face à un président soupçonné de vouloir à son tour s'accaparer la magistrature suprême.
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Un président africain formé à la française
Né le 4 mars 1938 à Boké, en Basse-Guinée, Alpha Condé est issu de l’ethnie malinké, majoritairement installée en Haute-Guinée, dans l’est du pays. Il est envoyé à 15 ans en France où il devient le protégé de Pierre Mendès-France. Il passe son baccalauréat au lycée Turgot à Paris et se lie d'amitié avec Bernard Kouchner. Après des études de sociologie, d'économie et de droit à la Science-po, Alpha Condé enseigne le droit public à la Sorbonne pendant dix ans. Il milite auprès de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) dont il devient le président en 1964.
Exil et prison
Il participe aux mouvements d'opposition au régime dictatorial d’Ahmed Sékou Touré (1958-1984), « père de l’indépendance » et « président à vie » de la Guinée. Sékou Touré condamne Alpha Condé à mort par contumace en 1970. Il rentre au pays en 1991, sept ans après la mort de Sékou Touré. Au dictateur a succédé un caporal autoritaire, Lansana Conté (1984-2008), qui a dû accepter une timide démocratisation permettant à Condé de se présenter, sans succès, à la présidentielle en 1993, puis en 1998. Il est arrêté cette année-là, avant même la proclamation des résultats électoraux, puis condamné en 2000 à cinq ans de prison pour « atteintes à l'autorité de l'Etat et à l'intégrité du territoire national ». Sous les multiples pressions internationales, il est gracié en 2001 par Lansana Conté. A sa sortie de prison, il prend pour modèle le président sud-africain Nelson Mandela.
Le retour du pouvoir aux civils
C'est finalement en novembre 2010, à 72 ans, qu'Alpha Condé réussit à déjouer les pronostics. Après avoir obtenu 18 % des voix au premier tour, il l'emporte avec le Rassemblement du Peuple de Guinée (RPG) face à son rival Cellou Dallein Diallo. Un couronnement qui marque, 52 ans après l'indépendance guinéenne, le retour du pouvoir aux civils.
Cinq ans après cette première victoire sur le fil, le président Condé vise une réélection dès le premier tour, sous le slogan " un coup KO". Alpha Condé a bénéficié lors de cette campagne du soutien de l'industriel français Vincent Bolloré. Ce dernier organise, à ses frais, un concert gratuit à Conakry lors duquel surgit sur scène le candidat Condé, acclamé en véritable héros. La campagne se déroule dans un climat d'intenses tensions. Les affrontements entre les partisans du président et de ses opposants font plusieurs morts et de nombreux blessés. Lorsqu'en octobre 2015 Alpha Condé est finanlement déclaré vainqueur dès le premier tour de l'élection, avec près de 58 % des voix, les sept candidats concurrents réclament l'annulation du vote et crient au « hold-up électoral ». Ils dénoncent un assouplissement des règles de vote pendant le scrutin, des inégalités géographiques dans la distribution des cartes d’électeur et des problèmes de logistique et d’organisation observés.
La tentation de la répression
Après avoir œuvré pour la résolution pacifique de la crise gambienne, en incitant le président sortant Yahya Jammeh à respecter le choix des urnes et à rendre le pouvoir, Alpha COndé est élu le 31 janvier à la tête de l'Union africaine. Un défi majeur pour le président qui devra se consacrer à l'arbitrage des crises extérieures alors que l'opposition interne se fait de plus en plus virulente. La grève des enseignants est à sa troisième semaine et Conakry a connu ce lundi 20 février une explosion de violences suite à l'arrestation de l'opposant et musicien Elie Kamano. Au moment où une partie de l'opposition prête au président Condé des velléités de briguer un troisième mandat, la « réconciliation nationale » prônée en 2010 semble dans l'impasse. Une dizaine d'opposants ont été arrêtés ce lundi. Alors que le président guinéen s'apprête à recevoir mercredi 22 février son homologue marocain, la répression s'annonce de plus en plus ferme.