La crise sanitaire a isolé les personnes âgées, l’un des publics les plus vulnérables face au Covid-19. Dans le Bas-Rhin, cette période a été l’occasion de renforcer, non sans difficulté, l’utilisation des nouvelles technologies pour maintenir le lien avec les aînés.
“Avec les personnes dépendantes, la communication passe par les gestes : se tenir la main, une caresse… Skype ne remplacera jamais tout ça”, témoigne Marie-Laure, 57 ans. Sa mère, octogénaire, vit dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Elle est atteinte de la maladie d’Alzheimer et ne parle plus. Les échanges par Skype ont finalement été une épreuve douloureuse à vivre pour sa fille. Elle estime que “beaucoup vont mourir du manque de contact et de stimulation”.
Les services publics se sont saisis de l’outil numérique pour lutter contre l’isolement des personnes âgées, sommées de rester chez elles malgré le déconfinement progressif. Le conseil départemental du Bas-Rhin a fourni, en avril, 300 tablettes à 77 Ehpad. Le moyen de garder le contact avec les proches, dont les visites étaient interdites pendant le confinement. Freddy, infirmier-coordinateur dans une maison de retraite au nord de Strasbourg, bénéficiaire de six tablettes, explique que “les familles étaient demandeuses de visioconférences”. Voir leurs proches à distance fait “du bien” aux résidents qui sont parfois restés un mois sans sortir de leur chambre.
“Il faut remettre le numérique à sa bonne place”
Pour les séniors dépendants, comme la mère de Marie-Laure, il est difficile d’appréhender la visioconférence, affirme Freddy. “Les personnes atteintes de troubles cognitifs pensent voir une photo ou une vidéo de leurs proches”, sans comprendre qu’il s’agit d’une rencontre en direct. D’ailleurs, la présence physique favorise davantage la stimulation du cerveau que ne le permet le numérique, selon Frédéric Bernard, chercheur en neuropsychologie à Strasbourg. Les personnes âgées, en perte de capacités cognitives et sensorielles, sont d’autant plus concernées.
“Il faut néanmoins remettre le numérique à sa bonne place, comme le maillon d’une chaîne. L’accompagnement est un facteur clé de prise en main et d’appropriation”, estime Véronique Chirié, ingénieure, présidente du Tasda*. Pour elle, l’arrivée de tablettes dans les Ehpad a eu lieu trop tard puisque “tous ces outils nécessitent beaucoup d’accompagnement, de soutien et de formation”.
Les personnes âgées font face à “une nouvelle dépendance” qui “les démoralise et fragilise leur estime de soi”. C’est ce qu’explique Alexandra de Saivre, fondatrice de Tous en Tandem, une association qui promeut les nouvelles technologies chez les séniors, en collaboration avec des Ehpad à Strasbourg et Colmar. Pendant le confinement, les membres de l’association ont dû laisser de côté les appels via Skype et revenir aux traditionnels coups de téléphone.
Une formation à l'usage du smartphone
Il n’a pas fallu attendre la crise sanitaire pour que la place du numérique dans le maintien du lien social avec les aînés soit prise en compte. L’association Génération mouvement 67 organisait déjà des séances de formation au numérique qui ont dû brutalement être suspendues. Jacques Cordonnier, le président de la fédération bas-rhinoise, y voit l’occasion de les repenser : “On va désormais ajouter à nos formations l’utilisation de la visioconférence. On s’est rendu compte que l’usage des tablettes ou des ordinateurs n’était pas évident, même pour ceux qui en ont l’habitude.”
Les personnes âgées sont cependant de plus en plus familiarisées aux nouvelles technologies par leur entourage ou au cours de leur carrière. Francine, 68 ans, est membre d’une association de séniors à Illkirch-Graffenstaden où elle a bénéficié, l’année dernière, d’une formation au smartphone. Le confinement lui a permis d’approfondir sa maîtrise de l’outil, notamment grâce à sa fille : “Maintenant, j’arrive à utiliser WhatsApp et Hangout (deux applications de messagerie instantanée, ndlr). J’ai pu joindre une amie confinée au Laos et faire des apéros avec ma fille.”
Assurément, cette crise a au moins permis de rendre visible les conditions de vie du grand âge, estime Arnaud Campéon, sociologue spécialiste du vieillissement. Un point positif, selon lui, dans “une société de performance et de jeunisme où la place réservée aux personnes âgées n’est pas éclatante, alors que les 60 ans et plus représentent 15 millions de personnes en France”.
Inès Guiza
Myriam Mannhart
* Technopôle Alpes santé à domicile et autonomie : une association iséroise qui œuvre pour l’usage du numérique des personnes en perte d’autonomie et pour le soutien à domicile.