Depuis le début de la crise sanitaire, certains couples binationaux ne peuvent plus se retrouver. Bloqués par la fermeture des frontières ou des administrations, ils tentent d'organiser leur résistance sur les réseaux sociaux.
Plus de 3000 français ont rejoint le groupe #LoveisnotTourism sur Facebook. © Pixabay
"On a l'impression de ne pas être pris en compte, que notre amour ne vaut rien et que finalement, on ne peut pas vraiment s'aimer au-delà des frontières", soupire Stefania. Cette strasbourgeoise de 32 ans est séparée depuis sept mois de son compagnon, Alaa, un Marocain de 33 ans. Ils devaient se marier le 27 juin. Mais la Covid-19 est passée par là et avec elle, la fermeture des frontières. Le visa d'Alaa a expiré pendant le confinement et n'a pas pu être renouvelé car les consultats sont fermés au Maroc. Ils vont devoir de nouveau repousser leur mariage, reprogrammé au 26 septembre. Comme eux, des milliers de couples binationaux ne peuvent plus se retrouver depuis l'arrivée de la pandémie. Alors ils se regroupent sur les réseaux sociaux, sur Facebook ou sur Twitter avec le #LoveisnotTourism, pour exprimer leur colère. Ils sont plus de 3000 membres dans le groupe Facebook "Love is not tourism France".
Un laissez-passé qui se fait désirer
Pour tenter d'améliorer leur situation, le secrétaire d'Etat au tourisme, Jean-Baptiste Lemoyne, a annoncé début août la mise en place d'un laissez-passer pour permettre aux couples binationaux de se retrouver. Pour cela, les duos doivent prouver une "relation sentimentale durable" et fournir des factures communes, des photos, des billets d'avion communs ou encore un contrat de bail locatif. "Une atteinte à la vie privée", selon le mouvement "Amoureux au ban public", qui milite pour le respect du droit des couples franco-étrangers à vivre ensemble sur le sol français. Un mois et demi plus tard, aucun laissez-passer n'a pour l'instant été délivré.
La France met en place un dispositif spécifique pour les partenaires de vie séparés par la fermeture des frontières. Dès cette semaine, une demande de laissez-passer peut être déposée auprès du consulat le plus proche. Ce virus n’aime pas l’amour, nous si ! #LoveIsNotTourism https://t.co/MMIvzseBXa
— Jean-Baptiste Lemoyne (@JBLemoyne) August 8, 2020
Lucie, 24 ans, a rempli ce dossier afin de pouvoir retrouver son compagnon, John Hennon, un Américain de 28 ans installé à Los Angeles. "On m'avait prévenu que ça prendrait beaucoup de temps, en me parlant d'un délai d'un mois. En rejoignant le groupe Facebook, j'ai compris qu'absolument aucun laissez-passer n'avait été délivré et qu'il allait falloir trouver une autre solution", explique la jeune femme, qui réside à Oberhoffen-sur-Moder. Les jeunes amoureux ont donc pris la décision de se retrouver trois semaines en Croatie en octobre. "On arrivait à un stade où si on ne s'était pas vu rapidement, ça aurait pu devenir compliqué", avoue Lucie.
Avec la distance, pas toujours simple de maintenir le contact. "Elle se lève quand je finis ma journée de travail. C'est compliqué, on peut s'appeler 30 minutes par jour maximum. Le fait de ne rien savoir, ça peut créer des tensions", se désespère, à Sélestat, Clara*, dont la compagne Sofia* est bloquée au Mexique. Les deux femmes espèrent pouvoir se marier en France d'ici la fin de l'année : "Notre pacs a été refusé l'année dernière et désormais, on ne parvient pas à obtenir le visa. C'est vraiment énervant de se heurter sans cesse à des refus."
"Une volonté politique"
Pour le mouvement "Amoureux au ban public", la pandémie révèle un dysfonctionnement. "C'est un problème qui existait déjà, mais qui était très diffus dans la société", détaillent les bénévoles des "Amoureux au ban public de Strasbourg", Mathilde Sene et Sylvie Pelletier. Selon elles, il s'agit d'une "volonté politique" du gouvernement français qui tend à considérer automatiquement les couples binationaux comme "une solution de migration". Le mouvement milite pour une reconnaissance du couple libre, non pacsé et non marié et de leur droit de vivre ensemble.
En attendant, les couples éloignés tentent de maintenir le lien grâce aux réseaux sociaux, comme Lidia, une Strasbourgeoise dont le compagnon se trouve au Sénégal. "On s'envoie des messages tous les jours, malgré le réseau internet sénégalais capricieux. Il y a aussi des appels visio avec des coupures ou un décalage de son. On essaye de se surprendre par des petites attentions grâce à nos amis sur place ou à la famille. Nous avons découvert une autre façon de communiquer et de partager, même à distance", dévoile-t-elle. Face aux difficultés de circuler, le tandem a décidé de se marier civilement, alors qu'il souhaitait à l'origine un mariage uniquement religieux. "Grâce à ça, la demande de visa devrait être ensuite facilitée", justifie Lidia. Ce jeudi 17 septembre, le gouvernement a annoncé la mise en place imminente des premiers laissez-passer. Pas suffisant pour tous ces amoureux éloignés, qui prévoient de protester devant le ministère des Affaires étrangères à la fin du mois.
*Les prénoms ont été changés
Cyrielle Thevenin