Des centaines de manifestants ont défilé dans les rues de Kaboul ce mardi afin d’exprimer leur rejet de la mainmise toujours plus grande d'Islamabad sur le pays.
Aux cris de « Liberté » et « Pakistan sort de l’Afghanistan », des hommes et des femmes ne portant pas la burqa ont défilé côte à côte dans la capitale afghane ce mardi.
Des slogans anti-talibans ont été entendus dans ces manifestations, mais la colère semblait avant tout dirigée contre l’influence croissante du voisin pakistanais.
Les protestations ont débuté après l’annonce de la visite du chef des puissants services de renseignement du Pakistan (ISI) à Kaboul. Quelques jours auparavant, après la victoire talibane, le premier ministre Imran Khan avait déclaré que l'Afghanistan avait « brisé les chaînes de l'esclavage » et de nombreux généraux avaient exulté et exprimé ouvertement leur admiration pour les talibans.
Base arrière des talibans
Si la mainmise d’Islamabad est critiquée par les manifestants, c’est parce que le Pakistan a joué un rôle crucial après la défaite des talibans en 2001. Le pays, alors allié des États-Unis contre le terrorisme international, avait pourtant accueilli plusieurs milliers de combattants et permis au mouvement islamiste de perdurer.
Avec la complicité d’une partie de l’appareil d’État pakistanais, le mouvement taliban a pu s’établir dans des villes comme Karachi, et dans la province du Baloutchistan à Quetta. Cette ville est notamment connue pour abriter la choura de Quetta, qui décide des principales orientations politiques générales et stratégiques du mouvement taliban.
Au Waziristan du nord, la région est devenue la plaque tournante pour les combattants talibans afghans et son groupe allié : le puissant réseau Haqqani (associé à al- Qaïda). Différents groupes armés ont pu entrer et sortir d'Afghanistan à volonté sous le regard bienveillant des autorités pakistanaises durant des années.
Ces mêmes positions stratégiques ont été utilisées pour lancer des attaques sur le sol afghan lors de l’offensive éclair ayant conduit à la chute de Kaboul cet été.
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Un triomphe géopolitique
La poignée d’Afghans qui s’inquiète aujourd’hui d’une future emprise pakistanaise sur les affaires intérieures du pays ne pèse pas lourd face aux intérêts qui se jouent entre les deux États. Les forces politiques pakistanaises et le mouvement taliban partagent en effet des intérêts idéologiques.
Plusieurs grands dirigeants talibans actuels ont été formés dans des madrassas pakistanaises, des écoles coraniques, et partagent la vision d’un islam radical, largement répandue dans tout le pays.
Mais la chute de Kaboul aux mains des talibans a surtout entraîné un revirement d’alliance qu’Islamabad souhaite mettre à profit le plus tôt possible.
D’une part le Pakistan a été considéré comme un allié peu fiable par les États-Unis. Mais le pays a néanmoins décidé d'avancer lucidement dans sa stratégie de stabilisation de l'Afghanistan.
Tout espace que les États-Unis cèdent, que ce soit dans leurs relations avec un nouveau gouvernement afghan ou avec le Pakistan, sera occupé principalement par la Chine, et dans une certaine mesure par l'Iran et la Russie.
Le Pakistan estime quant à lui qu’il est impératif qu’un gouvernement favorable à ses intérêts soit établi sur le territoire afghan, afin de peser sur le conflit indo-pakistanais.
En effet, le Pakistan accuse son grand rival indien de chercher à exploiter ses divisions ethniques et linguistiques à l’Ouest pour déstabiliser le pays. Les bonnes relations de l'Inde avec le gouvernement de l'ancien président afghan Ashraf Ghani n'ont rien fait pour apaiser cette inquiétude. Un futur gouvernement taliban pourrait alors favoriser le Pakistan dans ce conflit, notamment en offrant un refuge aux groupes djihadistes anti-indiens. La peur d’être pris en tenaille par deux États défavorables au Pakistan s’est éloignée depuis la mi-août.
Mais après le départ américain, certains Afghans ne souhaitent pas voir un nouvel État prendre pied dans leur pays. Les manifestations de ce mardi ont finalement été réprimées par les armes, lorsque les talibans ont décidé de tirer en l’air pour disperser la foule, tout en procédant à plusieurs dizaines d’arrestations.
Émilien Hertement