Après s’être entretenu avec Vladimir Poutine à Moscou, Emmanuel Macron était aujourd’hui à Kiev pour rencontrer son homologue ukrainien. Mais comment les Ukrainiens perçoivent la venue du président français pour tenter de résoudre la crise ukrainienne ?
« Nous n’attendons rien de cette visite », Solomon Varvaruk, étudiant en droit à l’université de Kiev n’hésite pas une seule seconde lorsqu’on lui pose la question. Depuis ce lundi 7 février, c’est agacé qu’il lit les articles sur la rencontre Macron-Poutine. Pour lui, le Président français a été trop conciliant avec Moscou. « Il n’a même pas émis d’exigence pour la désoccupation ! » L'est de l'Ukraine est depuis 2014 le théâtre d'une guerre civile entre des forces pro-russes de la région du Donbass et le pouvoir central de Kiev. L'Ukraine a perdu le contrôle de sa frontière avec la Russie ainsi que 3 % de son territoire.
France rime avec méfiance
Le Président français a décidé d’enfiler sa casquette de médiateur pour tenter de résoudre cette crise mais les Ukrainiens sont sceptiques sur la posture adoptée par Emmanuel Macron. « Cette visite est très importante, mais nous n’avons pas vraiment confiance. Je dirais que je suis même inquiète parce que la politique du président Macron envers la Russie ne correspond pas aux intérêts de l’Ukraine » explique Nadia Koval, qui enseigne l’intégration européenne à la Kyiv School Economics.
Depuis l’élection de Volodymyr Zelensky en 2019, le désir ukrainien de rejoindre l’Otan est affirmé. Mais cette potentielle intégration est vécue comme une menace pour Vladimir Poutine. Selon Nadia Koval, Emmanuel Macron n’a pas été assez ferme puisqu’il n’a pas réaffirmé la volonté d’intégrer l’Ukraine à l’Alliance atlantique : « Le dialogue qu’on a vu hier entre Poutine et Macron n’était pas exigeant. Les Ukrainiens savent que si Macron n’est pas clair, cela ne mettra pas fin à la politique agressive de la Russie. »
Même si le Président français se rend aujourd’hui à Kiev, dans l’esprit de certains Ukrainiens, il ne négocie qu’avec la Russie. À l’instar de Ruslan Deynychenko, co-fondateur du média ukrainien Stop Fake.org, qui estime « qu’il aide l’agresseur et non la victime qui est l’Ukraine. On ne veut pas de négociation derrière notre dos » affirme-t-il avant de tempérer : « On comprend que le Président français veuille la paix, mais il ne semble pas vouloir l’obtenir de la façon dont les Ukrainiens le voudraient. » Pourtant, le cinquantenaire l’admet lui-même : « Nous n’avons pas beaucoup d’attente de la visite de Macron en Ukraine parce que la clef de la paix n’est pas à Kiev, mais à Moscou. S’il veut la paix, il doit faire pression sur le Kremlin. »
Une négociation pro-Moscou ?
L’enseignante Nadia Koval juge que les négociations qui se sont tenues aujourd’hui avec Volodymyr Zelensky sont difficiles, mais admet que le Président français est un négociateur légitime dans cette crise : « La France est parmi les pays fondateurs de l’Union européenne et a joué un rôle dans la résolution du conflit de 2014. Il est donc très légitime que la France s’intéresse à ce conflit. »
Dans la capitale, d’autres estiment que Macron, en étant le premier président à rencontrer Poutine au sujet de la crise, a au moins le mérite d’agir. Maksym Khylko, Président du conseil d'administration de la Fondation de l’Europe de l’Est sur la sécurité estime que la France adopte une position constructive dans ce conflit : « Kiev lui est reconnaissant de ses tentatives pour réduire le risque d'escalade. Nous espérons que Paris poursuivra cette politique à l'avenir. » Mais il prévient le Président français : « On ne pourra pas accepter de conditions qui pourraient conduire à l'affaiblissement de la souveraineté ukrainienne. »
Macron a donc du fil à retordre pour convaincre son homologue et les Ukrainiens. En jouant le jeu de Poutine, en ne réaffirmant pas la volonté d’intégrer l’Ukraine à l’Otan, celui-ci a rendu sceptiques les Ukrainiens qui espèrent plus que jamais une désescalade et leur intégration à l’Alliance atlantique.
Enora Seguillon