Pour la deuxième fois en trois mois, la BCE a relevé ses taux directeurs jeudi dernier. Un geste historique qui intervient en réponse à l’inflation galopante, mais qui pourrait fragiliser la zone euro en engendrant une hausse des spreads.
La hausse des taux d'intérêts pourraient fragiliser la zone euro même si un outil « anti-fragmentation » a été mis en place.
« Historique », « du jamais vu en zone euro », « hausse record », tels sont les termes employés pour décrire le geste de la Banque centrale européenne (BCE) qui a remonté ses taux directeurs de 75 points de base (pb) le huit septembre. Ainsi, celui sur les dépôts bancaires est passé de 0 à 0,75 %. En juillet, la BCE avait déjà procédé à un relèvement de 50 points - son premier depuis 2011 - mettant fin à onze années de taux négatifs et de politiques monétaires accommodantes. L’objectif affiché par l’institution de Francfort : endiguer la hausse des prix qui touche la zone euro (+9,1 % en août). La décision de la BCE, dont la mission est de maintenir l’inflation autour des 2 %, était considérée comme la plus probable. Néanmoins, ce choix suscite l'incompréhension de nombreux observateurs, car l'augmentation des prix est essentiellement alimenté par la hausse des cours de l’énergie, donc importée et structurelle.
Accroître les déséquilibres
Non seulement il n’est pas certain que le resserrement de la politique monétaire de l’UE soit efficace, mais il pourrait également accroître les déséquilibres économiques entre les pays de l’Union européenne à commencer par les spreads. Ce terme, qui ne vous dit peut-être rien, est pourtant un indice scruté de près par les marchés financiers. Il correspond au différentiel entre le rendement sur 10 ans des bons du trésor d’un pays de la zone euro et du bund allemand - l’Allemagne étant la référence grâce à son image de bonne gestionnaire. Moins cet écart est important et plus la confiance des investisseurs est grande. « Avec le resserrement de la politique monétaire en zone euro, les investisseurs vont redevenir assez sensible aux taux souverains ce qui pourrait conduire à une augmentation significative des spreads, analyse Jézabel Couppey-Soubeyran économiste et maîtresse de conférence à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Des pays comme l’Italie, jugés trop instables politiquement et trop endettés, ont de grandes chances de voir leur écart devenir considérable. »
Outil anti-fragmentation
Si tel était le cas, le risque de fragmentation de la zone euro ferait resurgir le spectre de la crise des dettes souveraines de 2011. Au plus fort de celle-ci, à l’automne 2011, l’écart entre l’Italie et l’Allemagne était monté à 575 points de base, contre environ 230 actuellement. Le pays était alors au bord du défaut de paiement et s’en était remis à un gouvernement technique mené par l’ancien commissaire européen, Mario Monti, pour éviter la faillite. Afin d’empêcher que pareille situation ne se reproduise, la BCE a annoncé la mise en place d’un « outil anti-fragmentation » en juillet. « Si les spreads augmentaient très fortement, la BCE interviendrait en rachetant les titres de dettes des pays concernés, observe Mme Couppey-Soubeyran. Sauf que cet outil est soumis à des conditions de soutenabilité de la dette, ce qui peut laisser place à l’interprétation et donc ralentir le processus. » Ce ne sont pas les risques énoncés qui semblent freiner la BCE. Sa présidente Christine Lagarde ne cache pas sa détermination à poursuivre la hausse des taux. Pour le plus grand malheur des pays à l’économie fragile.
Théodore Laurent
Édité par Loris Rinaldi