Ville-monde depuis l’Antiquité, la cité ouzbèke accueille le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai. Elle renoue ainsi avec son rôle de carrefour des civilisations.
La mosquée Bibi Khanoum est l’un des monuments emblématiques de Samarcande. Elle est le symbole du syncrétisme culturel à l’œuvre dans cette ville d’Asie centrale. Flikr / Jean-Pierre Dalbéra
Les yeux du monde sont rivés sur une ville qui n’avait pas fait l’objet d’une telle attention depuis de nombreuses années. Ce jeudi 15 septembre, Samarcande, la deuxième cité la plus peuplée d’Ouzbékistan, après la capitale Tachkent, accueille le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS).
Vladimir Poutine et Xi Jinping, les leaders des deux pays membres les plus puissants de cette organisation à vocation économique, politique et sécuritaire, s’y rencontrent pour la première fois depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il y a six mois. La venue des autres dirigeants, notamment de la Turquie, de l’Iran, de l’Inde et du Pakistan, en serait presque éclipsée. Pourtant, le but affiché de cette rencontre au sommet des puissances eurasiatiques est de renvoyer l’image d’un front uni autour de la Russie, isolée sur la scène diplomatique et affaiblie par les sanctions européennes et étatsuniennes.
Le choix de Samarcande comme théâtre de cette conférence n’a rien d’anodin. La ville a longtemps été le cœur battant de l’Asie et, d’une certaine manière, du monde. Elle pourrait être appelée à le redevenir si la constitution d’un bloc oriental en concurrence avec l’Occident se concrétise dans les années à venir.
Joyaux de l’Asie
Riche d’une culture trois fois millénaire, la lointaine Samarcande, au cœur de l’Asie centrale, est l’une des plus anciennes de la région. Au cours de son histoire mouvementée, elle a vu s’élever et disparaître de nombreux empires.
De capitale provinciale du royaume perse achéménide, elle est conquise par Alexandre le Grand au IIIe siècle avant notre ère ; reprise par les Perses – mais sassanides cette fois –, elle passe sous contrôle des Arabes omeyyades, puis de multiples tribus turques, avant d’être conquise par les Mongols, eux-mêmes délogés par le redoutable Tamerlan, qui fait de Samarcande la capitale de son empire. Les Ouzbeks, enfin, s’y établissent au XVIe siècle, et y règnent sans partage avant de passer sous le joug de l’Empire russe dans la seconde moitié du XIXe siècle. En 1925, Samarcande devient la capitale de la République socialiste soviétique d’Ouzbékistan.
Ville-monde depuis l’Antiquité, Samarcande accueille le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai. Capture d'écran Google maps.
Les empires passent et la ville demeure. Si elle n’échappe pas aux vicissitudes de l’histoire (incendies et pillages), Samarcande, installée à proximité de l’Amou-Daria, l’un des rares fleuves à irriguer cette région aride, s’enrichit et s’embellit au fil des siècles. Ville-étape sur la très lucrative Route de la soie, ville d’art et de science (au XVe siècle Ulugh Beg, petit-fils de Tamerlan, y fait construire un observatoire astronomique à la pointe de la technologie de l’époque), centre religieux où se côtoient musulmans, chrétiens, juifs, zoroastriens et manichéens, Samarcande s’impose comme le centre informel de l’Asie centrale jusqu’à la conquête russe, date à laquelle la cité est reléguée au rang de ville-garnison par les tsars.
Vers une renaissance de Samarcande ?
L’Asie centrale retrouve depuis quelques années son rôle de pivot. Les Nouvelles routes de la soie, le projet pharaonique lancé sous la présidence de Xi Jinping qui vise à établir la Chine comme première puissance économique mondiale, prévoit le développement du commerce intercontinental terrestre via les ex-républiques soviétiques, dont l’Ouzbékistan fait partie. De son côté, la Russie, après avoir un temps regardé vers l’Ouest à la chute de l’Union soviétique, se tourne résolument vers l’Est. Quant à l’Iran, à l’Inde et au Pakistan, chacun ont, à leur manière, des intérêts régionaux et des liens étroits avec la Chine et la Russie.
Ce sommet de l’OCS est l’occasion pour Samarcande de faire son retour en grâce sur la scène internationale. Genève orientale en puissance, sa situation géographique centrale et sa position de carrefour des puissances, des cultures et des aires d’influence en font, pour la Chine et ses alliées, la ville idéale pour devenir le centre d’un « nouvel ordre mondial » qui entend s’affranchir de la domination de l’Occident.
Matei Danes
Édité par Christina Genet