Le nouveau secrétaire perpétuel de l'Institut de France est un homme. L’occasion de revenir sur la féminisation de la langue à laquelle l’institution s’est confrontée… ou pas.
Au sein d’une Académie française largement masculine, l’écriture inclusive reste décriée. Photo : Marie Rouge
Le prix Goncourt Amin Maalouf succède, ce jeudi 28 septembre, à Hélène Carrère d’Encausse. Disparue en août, cette dernière a passé vingt-quatre ans à la tête de l’Académie française. Première femme à accéder à ce poste depuis plus de trois siècles d’existence, son genre n’a pourtant pas été synonyme de changement profond en matière de place laissée aux femmes, tant dans la langue que parmi l’institution. L’académicien Erik Orsenna regrettait en octobre 2021 « ces trop rares consœurs ». Sur les 40 sièges, seuls six sont occupés par des femmes à ce jour.
Une institution « déconnectée de la réalité »
Dès son intronisation, Hélène Carrère d’Encausse souhaitant faire « prévaloir une idée de continuité », « Madame le secrétaire perpétuel » tenait à ne pas féminiser sa fonction. Une ligne philosophique de la langue française qu’elle a maintenue tout au long de son mandat et qui s’est immiscée dans différents débats. Sous prétexte d’un manque d’études sur les usages effectifs de la féminisation des noms de métiers, l’Académie française avait réaffirmé son opposition à un changement des pratiques, dans un rapport de 2019. « En 1998, le gouvernement Jospin a publié le guide des titres et métiers féminins et ça s'est imposé. Ils sont en retard et déconnectés de la réalité, comme toujours », épinglait Maria Candea, chercheuse en linguistique à la Sorbonne Nouvelle et membre du collectif progressiste des Linguistes atterré.es.
Plus tôt encore, en pleine vague MeToo, qui a remis en question la place des femmes dans la société et donc dans la langue française, l’institution avait été forcée de plancher sur la question de la féminisation de la langue, en l’occurrence sur l’écriture inclusive, en 2017. Mais les Immortels avaient conclu à ce qu’elle « aboutit à une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité ». Pire, l’écriture inclusive constituait selon eux « un péril mortel ». Le linguiste Alain Rey avait rétorqué que « si la réalité sociale évolue, il faut changer le système de représentation qu'est la langue, quoi qu’en dise l’Académie française », dans une interview au Monde. Sur le point médian — ponctuation permettant de rendre visibles différents genres dans un mot —, Hélène Carrère d’Encausse torpillait l’idée, « stupide ». Le pronom iel ? « Un coup de pub ».
Les linguistes réagissent
En réponse à cet attachement à une langue française dont la réglementation se voudrait figée, les Linguistes atteré.es ont publié en août 2023 le manifeste Le français va très bien, merci ! aux éditions Gallimard. Ce collectif de 18 experts œuvrent depuis cet été à changer de regard sur les mutations de la langue de Molière. « Non, l'orthographe n'est pas immuable en français », insistent-ils en préambule. Pour ce qui est de la féminisation de la langue, en réponse au « péril mortel » supposé par l’Académie française, ils proposent de continuer « à tester des techniques pour exprimer le genre, puisque seules les plus plébiscitées resteront en usage ».
Ils encouragent aussi à une émancipation de l’autorité de l’Académie française. « Une illusion collective, juge Maria Candea dans un entretien à Témoignage chrétien. Elle met à jour son dictionnaire une fois par siècle. Ceux qui se considèrent “puristes” de la langue sont simplement attachés à ce qui leur a été enseigné. » Alors que le nouveau secrétaire perpétuel de l’Académie française, Amin Maalouf, est un homme, septuagénaire qui plus est, on peut donc aussi se demander si une plus large féminisation des bancs de l’Académie ne permettrait pas une meilleure acceptation des usages effectifs de la langue.
Zoé Dert-Chopin
Édité par Alexia Lamblé