Cartographie. Dans un rapport paru le 23 janvier 2025, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a publié pour la première fois une liste rouge des écosystèmes de forêts de montagnes menacés. Dans le massif des Vosges, c’est une marée verte : quatre écosystèmes sont menacés.
Ici, à Luttenbach-près-Munster où se mêlent hêtres, sapins et épicéas, le propriétaire a transformé sa forêt en laboratoire : il expérimente la régénération naturelle et les essences nouvelles. Photo Elsa Rancel
Pour observer des espèces "reliques" de l’ère glaciaire, pas besoin de remonter dans le temps. Il suffit de prendre de l’altitude, et d’arriver dans le Jura alsacien ou dans les Vosges. Dans l’ombre des hêtres et des sapins, on y trouve encore le seigneur des forêts vosgiennes : le Grand Tétras, un coq préhistorique au plumage sombre teinté de reflets bleu acier, surmonté d’un sourcil écarlate. Apparu il y a 2,5 millions d’années, il est aujourd’hui menacé de disparition dans les Vosges avec seulement 50 spécimens, et en déclin continu dans le reste de la France. En cause ? la disparition d’écosystèmes anciens de forêts montagnardes, principaux refuges de cet oiseau.
Trois écosystèmes classés vulnérables dans les Vosges
C’est ce que dénonce le rapport paru le 23 janvier réalisé par l’ Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), conjointement avec l’Office Français de la Biodiversité (OFB) et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS). L’organisme a différencié les différents écosystèmes forestiers en fonction de leur emplacement, altitude et topographie. Sur les 19 écosystèmes forestiers de montagnes observés dans l’hexagone et en Corse, dix sont menacés. Au sein de ce groupe dont les catégories varient de "vulnérable" à "danger critique", quatre écosystèmes sont présents dans les Vosges.
C’est en milieu subalpin, soit à partir de 1400 mètres d’altitude, que les écosystèmes composées d’hêtraies sont les plus menacés puisqu’ils ont été classés "en danger" par l’UICN. Alors que les températures sont globalement plus chaudes toute l’année, avec des sécheresses répétées, les espèces qui poussent sur ces sommets froids et peu accueillants ne peuvent pas migrer davantage en altitude et disparaissent progressivement.
"On est assez pessimistes sur la survie du hêtre qui n’arrive pas du tout à s’adapter", reconnaît Jean Claude Tissaux, chargé de mission à l’ONF pour la reconstitution et l’adaptation des forêts au changement climatique dans le Grand Est. "L’espèce qu’on a dans le Grand Est est inféodé à des climats frais, et des pluies régulières. Avec le changement climatique, le hêtre est en péril sur le long terme."
Mais ce n’est pas le seul écosystème à être menacé par les effets du changement climatique. Dans la liste rouge de l’UICN, deux forêts mixtes montagnardes acidophiles et neutrophiles constituées majoritairement de hêtres communs et de sapins blancs sont classées "vulnérables", ainsi que les sapinières montagnardes hyperacidiphiles.
"On a beaucoup de dépérissements assez violents par endroits", pointe du doigt Jean Claude Tissaux. "Quand on a des périodes de sécheresse longues et surtout pluriannuelles, les arbres - pour éviter les pertes d’eau - vont fermer leurs stomates qui sont les mécanismes qui permettent la photosynthèse. Et donc plus les sécheresses se prolongent, plus les stomates sont fermés longtemps, moins la photosynthèse est effective. Ça induit des gros problèmes dans les réserves d'amidon et de de sucre de la plante qui est fragilisée."
"Limiter la casse"
Pour ne rien arranger, la nature des sols en milieu montagneux est généralement acide à très acide, ne favorisant pas la prolifération de nutriments dans lesquels pourraient piocher l’arbre pour se nourrir. Et parce que ces sols sont "intrinsèquement pauvres", il est aussi plus dur pour les organismes de protection des forêts d’intervenir. "On n’a pas beaucoup de solutions à apporter dans ces milieux", reconnaît Jean Claude Tissaux. Si ce n’est miser sur la sylviculture en favorisant l’arrivée de la pluie sur le sol grâce à la diminution de la densité d’arbres par hectare.
Malgré tout, il demeure pour le spécialiste "énormément d'incertitudes. A chaque fois qu'on va faire des régénérations naturelles ou des plantations, on est sur un cycle de au moins 80 ou 100 ans. Notre seule quasi-certitude c’est qu’il n’y a pas de solution unique. Notre objectif, c'est de limiter la casse pour essayer de léguer aux générations futures des choses qui ont marché, mais avec une grande humilité."
La réintroduction de l’épicéa menace les écosystèmes forestiers
Et avant d’y parvenir, il y a déjà eu quelques ratés. Notamment lorsque le scolyte, parasite dont la reproduction a été grandement favorisé par les épisodes de sécheresse ces vingt dernières années, a décimé les populations d’épicéas. Pour tenter de préserver l’espèce, l’épicéa a été réintroduit bien plus en altitude que dans son milieu naturel, notamment dans les forêts montagnardes neutrophiles désormais menacées. Car, selon le rapport, ces plantations forcées rendent justement l’écosystème plus vulnérable aux bouleversements de l’environnement.
Si l’épicéa, le hêtre ou le sapin étaient amenés à disparaître, les conséquences sur la biodiversité seraient dramatiques : "Peu importe l’espèce, c’est un effondrement de l'habitat, avec son cortège d'espèces structurantes. Dans ces cas-là, c’est au moins 50% de la biodiversité de l’écosystème qui disparaît". Malgré une réintroduction très débattue du Grand Tétras en avril 2024, la disparition des anciennes forêts montagneuses, qui constituaient pour cet oiseau fragile un refuge de tranquillité, semble avoir scellé son extinction.
Fanny Lardillier
Édité par Paul Ripert