"Tous les jours, je demandais à un jeune que je suivais de se lever une demi-heure plus tôt pour venir me voir. Ça a pris un mois entier mais quand il y est arrivé, je lui ai dit : Tu vois ? C’est possible !" Marie, éducatrice de rue au SPS, raconte comment elle travaille avec les jeunes. L’un des gros problèmes selon elle, c’est leur manque d’employabilité. Se lever à l’heure, parler poliment, savoir se présenter, enlever ses écouteurs quand on rentre dans une pièce…
Dans le nord du quartier de Cronenbourg, le chômage s’élève à 17,8 % de la population, soit quasiment le double de la moyenne française. "En fait le chômage ça devient une habitude, explique Norbert Krebs qui dirige une association qui aide les personnes les plus éloignées de l’emploi à reprendre le travail. Notre mission, c’est aussi d’accompagner un public jeune mais aussi des personnes isolées." C’est rendre "employable" une population qui a perdu les habitudes du travail et les savoir-être pour trouver un métier dans une entreprise.
"C'est plus dur pour les jeunes de la cité"
Les associations s’efforcent d’élargir l’horizon des jeunes. "On fait un gros travail de mobilité avec eux. Certains ne sont même jamais allés à l’Orangerie, dit Nathalie, conseillère à la mission. Quand on les aide à trouver un stage, c’est tout le temps en dehors de Cronenbourg, hors de leurs zones géographiques". Ce manque de compétences sociales est un handicap pour l’accès à l’emploi des jeunes. "C’est sûr que c’est dur pour tout le monde de trouver du boulot aujourd’hui, mais c’est plus dur pour les jeunes de la cité. On ne veut pas les embaucher", constate Florian, avec fatalité.
Zouhir Zammouri : écrasé par "le monstre Internet"
"Il faut rester optimiste", lance Zouhir Zammouri, 39 ans, gérant du magasin Destock Bazar, route de Mittelhausbergen. Chaussures, vêtements, équipements de cuisine… la boutique propose des produits variés à des prix réduits. L'intégration de ce commerçant, implanté depuis mars 2019 dans le quartier, a été difficile. "Ici, c'est chacun pour soi, bien qu’avec les autres commerçants nous ayons les mêmes problèmes", analyse-t-il. Après seulement quelques mois, Zouhir Zammouri pense déjà à déménager. La faute à un local trop petit pour développer l'activité sur le long terme et aux difficultés de stationnement dans la rue, qui découragent certains clients.
Zouhir Zammouri fustige aussi "le monstre Internet" qui selon lui "casse tout". Destock Bazar subit en effet la concurrence des grands groupes, qui vendent à prix réduits et en grande quantité sur Internet. "J'ai du mal à couvrir mes frais chaque mois et le problème c'est que si je vends plus cher, les gens n'achètent pas. Plus rien ne marche aujourd'hui à cause d'Internet, excepté peut-être la restauration", regrette-t-il. Pour s’en sortir, Zouhir Zammouri cherche à promouvoir son commerce via des annonces sur Facebook et Leboncoin, mais leur visibilité reste limitée. Dépité, il envisage désormais de changer de voie.
Cyrielle Thevenin, Alix Woesteland
L’enseigne emblématique de la marque a été reproduite à l’identique et placée sur le toit du K Hôtel. Les grandes lettres rouges rendent hommage à la marque de renommée internationale. L’établissement hôtelier, ouvert en novembre 2018, compte 13 employés. Outre son nom, Kronenbourg est présent dans les verres des clients grâce au partenariat conclu entre l’hôtel et le brasseur.
Eva Moysan et Justine Maurel
Le Service de prévention spécialisé
Le Service de prévention spécialisé (SPS) est une association intermédiaire implantée au 5 place de Haldenbourg. Il propose des chantiers éducatifs aux jeunes, comme de la rénovation d’appartement.
Le SPS rassemble une équipe de cinq éducateurs spécialisés. Il a pour mission de "favoriser l’inclusion d’un public jeune, fragile et isolé", âgé de 12 à 24 ans en milieu ouvert "c’est-à-dire qu’on n’est pas en établissement, on travaille sur le lieu de l’habitat" explique Norbert Krebs.
Le SPS suit les personnes sur un plan professionnel, mais "toutes les entrées sont possibles", selon lui. De la conception d’une lettre de motivation jusqu’à des cas personnels comme l’épanchement d’une dette.
La mission du SPS est de rapprocher le jeune vers le travail considérant qu’il est un aspect important de l’inclusion sociale. L’association suit environ 200 jeunes en accompagnement individuel et met en place un accueil collectif tous les après-midis, de 14h à 17h.
Michèle Olland : "La concurrence nous stimule"
Implantée depuis 1935 dans le Vieux-Cronenbourg, la boulangerie Olland fait office de leader commercial. "Quand la boulangerie Olland est fermée, c'est plus calme dans tout le quartier", analyse Fanny Mattia, gérante du magasin de fleurs Balsamine, voisin de la boulangerie.
Olland est une entreprise familiale. À ses débuts, seul le couple Olland y travaillait. Désormais, la boulangerie compte 25 employés. Son activité s'est diversifiée, et la boulangerie-pâtisserie propose un service traiteur et une chocolaterie.
Refaite à neuf en 2014, l'enseigne attire jusque dans les communes avoisinantes. C'est le cas de Gilbert, qui habite à Hangenbieten, à 12 km de là : "J'aime bien leur pain, la carte. Je viens à Cronenbourg juste pour eux." "J'habite route de Mittelhausbergen, mais je viens chez Olland par choix. Le pain est très bon comparé aux autres boulangeries proches de chez moi", explique Rosémery.
Si ce commerce connaît un tel succès, c'est notamment grâce aux innovations permanentes. "On essaye de faire évoluer la carte, par exemple en ce moment nous proposons des escargots salés", confie Michèle Olland.
Boostée par les avis positifs de ses clients fidèles, Olland a participé à différents concours et remporté plusieurs trophées, dont celui du meilleur accueil en 2018 délivré par la Chambre de commerce et d'industrie Alsace Eurométropole.
Cyrielle Thevenin, Alix Woesteland
Ce mercredi d’automne, la brume a envahi le parc et le croassement des corneilles résonne entre les arbres. Le pas de course des joggeurs brise le silence. Zora, en tenue sportive, court seule dans le parc depuis deux ans. "Je travaille dans le commerce et pour se vider la tête, il faut trouver une activité", explique-t-elle. Les joggeurs affluent dans le parc de la Bergerie : "On se croise, c’est souvent les mêmes, à force on se dit bonjour mais je ne suis pas à la recherche de rencontres. Et puis quand on court, on ne s’arrête pas."
Assis sur un banc, Gaël, 23 ans, s’oxygène après une dure nuit de labeur. Il est manutentionnaire à l’Espace européen de l’entreprise, à Schiltigheim, et travaille de minuit à 7h du matin. "Ce que j’aime ici, c’est les endroits pour jouer au foot avec mes neveux", confie-t-il Ce Cronenbourgeois d’origine aime son quartier, mais il déplore le manque d’activités : "Pour l’alimentation, on a Lidl et Auchan mais ce qui est dommage, c’est pour les cafés, les bars et les boutiques."
"Ça fait deux ans que je ne fais rien. Maintenant je veux travailler." Florian, jeune habitant de Cronenbourg a arrêté son CAP cuisine depuis deux ans "parce que c’était trop dur". Il est suivi depuis un an par les éducateurs du Service de prévention spécialisé (SPS). Aujourd’hui, il passe un entretien pour s’engager pendant six mois dans un service civique auprès du SPS, pour acquérir de l’expérience, mais aussi gagner un salaire à hauteur du SMIC. "Je ne me vois pas rester tout le temps chez moi", dit-il. A côté de lui, Mohammed, 17 ans, déscolarisé, postule également au SPS : "Si je fais tout ça, c’est pour ma mère. Elle veut pas me voir sans rien faire".
Pour Norbert Krebs, chef de service au SPS, "le travail c’est fondamental : ça permet d’avoir des ressources, de rencontrer des personnes d’un autre milieu que le sien, de développer des compétences et en général de s’inscrire dans la société". Mais si le travail permet une socialisation plus importante, il implique aussi d’en connaître les codes.