Sorti de terre en 2014, l’écoquartier de la Brasserie est le premier de ce type construit à Strasbourg. Cinq ans après, les habitants dressent un bilan de leur expérience. Cohabitation difficile, démarche écologique insuffisante, voitures trop présentes : les critiques se multiplient.
Rues piétonnes, jardins partagés, bacs de composte, espaces verts… L’écoquartier de la Brasserie présente les atours d’un habitat écologique en 2019. Cerise sur le gâteau, les immeubles à hauteur modérée, espacés les uns des autres et aux devantures colorées bénéficient d’un chauffage géothermique au sol, neutre en carbone.
Niché entre la route de Mittelhausbergen et la rue Ernest Rickert au sud de Cronenbourg, l’écoquartier de la Brasserie a accueilli ses premiers habitants il y a cinq ans. Aujourd’hui, 1200 personnes vivent cette expérience originale d’habitat. Sur ces lieux se situait l’ancienne canetterie Kronenbourg, le géant de la bière alsacienne. L’enseigne trône à présent sur l’hôtel récemment construit à cet emplacement. L’entreprise a cédé son terrain en 2006 à la SERS, une société d’aménagement local. L’ancienne équipe municipale décida alors d’utiliser ce terrain pour y construire le premier écoquartier de la ville. Pari gagné pour Serge Oehler, l’actuel adjoint à la mairie chargé du quartier Cronenbourg : “C’est un secteur qui apporte une belle diversité au quartier et une dynamique habitante très intéressante qui a permis d’ajuster avec les habitants des espaces qui ont dû être repensés à l’usage. »
Selon Yves Grossiord, habitant de « K’hutte », un habitat participatif financé en autopromotion, le point positif de ce quartier est « la variété d’individus, d’origines, de styles d’architecture. Il souligne toutefois que tout reste à faire, ce n’est pas parce que c’est un écoquartier que tout va bien ». Or celui qui est aussi l’architecte de K’hutte et président de l’association de quartier Brassage souligne certaines lacunes : « Il faut que l’on soit réellement un écoquartier. On doit faire le tri des déchets, accepter que ce soit un espace sans voiture. Vivre dans un bout de ville en 2019 et pour les années à venir, ce n’est plus comme on le faisait dans les années 1950. »
Julien D.* s’est installé au 22 rue Hatt avec sa petite amie au mois de mars 2019 après un voyage d’un an en Australie : “L’Australie c’est un peu comme les Etats-Unis. On a vu la malbouffe, la consommation excessive. On faisait aussi de la randonnée et on était plus proche de la nature. Depuis, on s’intéresse à tout ce qui est gestion des déchets et au bio”. Le jeune couple fait le tri, possède un bac à composte dans sa cuisine et cultive une parcelle d’un jardin partagé au milieu du quartier. Il souhaite se séparer de l’un de leur deux véhicules, circulant le plus souvent à vélo. Cependant, Julien D. regrette “qu’il y ait des différences au niveau de la motivation. On voit dans les poubelles que certains ne font pas le tri, c’est bizarre pour un écoquartier...”
“Je ne savais pas que ça serait un écoquartier, on ne le ressent pas forcément”
Habitante du 6 rue Hatt depuis cinq ans avec son mari et ses quatre enfants, Karima Driouch est venue ici pour quitter la Cité nucléaire et bénéficier d’un appartement social plus grand. Il aura fallu cinq ans de patience à la famille pour que le bailleur Ophéa (ex-CUS Habitat) leur propose l’écoquartier. “Je ne savais pas que ça serait un écoquartier, on ne le ressent pas forcément”, déclare-t-elle.
Au dernier étage, Céline Forgues, mère de famille divorcée, a elle aussi bénéficié des services d’Ophéa. Elle affirme faire le tri de ses déchets mais n’est pas venue pour la dimension écologique. L’auxiliaire de vie réfléchit à partir : “L’ambiance n’est pas bonne. Ici, il y a toujours des problèmes. On paye des charges pour les espaces verts mais rien n’est fait. Pour un soit disant écoquartier, c’est trop cher”.
En face, au 5 rue Hatt, c’est l’immeuble entier qui s’est retourné contre le bailleur social. Une lettre a été signée par tous ses habitants pour dénoncer le prix des charges pour les espaces verts. “Ils nous ont facturé des entretiens de verdure, soit disant qu’ils ont fait des travaux, et nous ont fait payer plus”, s’insurge Isabelle Garnier. Elle affirme qu’aucune intervention n’a été faite sur les espaces verts devant son immeuble. L’animatrice en périscolaire de 52 ans avait dû payer 280 euros de charges pour les espaces communs en 2017. Au final, Ophéa lui a remboursé près de 200 euros.
Sur le palier de l’immeuble, encore en tenue de travail, Antoine Piazzoli explique être venu ici “pour changer d’air”. Arrivé en 2014 de Nantes, il est l’un des tous premiers à s’être installer dans l’écoquartier. Locataire d’un logement social, l’électricien a été séduit par le projet : “Je me suis dit que j’allais payer moins, et qu’en plus ce sera un quartier responsable pour l’environnement”. Plutôt satisfait, il admet une cohabitation difficile au sujet des voitures “Les gens se mettent un peu n’importe où parce qu’ils n’ont pas de place. Un jour quelqu’un est venu et a rayé toutes les voitures mal garées”. Avec sa femme, ils payent 75 euros par mois pour deux places dans le parking souterrain : “Tout le monde ne peut pas se payer ça, c’est pour ça que beaucoup se garent dans la rue.”
Un manque d’information sur l’écoquartier
“Les espaces verts communs et jardins partagés sont ouverts à tout le monde mais les gens ne veulent payer que pour ce qu’ils vont utiliser”, explique Dominique Biellmann. Pour l’habitant de K’hutte qui est aussi président de l’ASL, l’association qui regroupe les syndics du quartier, ces problèmes relèvent d’un manque d’information : “Certains promoteurs et bailleurs ont fait le job, d’autres non. Quand on est bailleur social, il faut aussi expliquer aux gens qu’ils ne pourront pas utiliser leurs voitures.”
Yves Grossiord va plus loin : “Je pense que la plupart des gens ont acheté ici un peu par hasard, car c’est sympa, il y a de la verdure. Mais les promoteurs et bailleurs ne les informent pas, on ne leur dit pas qu’un écoquartier, c’est aussi des contraintes.” Début 2019, il crée avec d’autres habitants l’association Brassage. Le nom a été choisi “en référence à l’ancienne brasserie Kronenbourg, mais aussi pour un brassage de gens, de genres, d’idées”. Cependant, souder 1200 personnes est difficile : “Certains trouvent qu’on ne va pas assez loin dans la démarche écologique, d’autres se sentent envahis par des gens qui veulent refaire le monde.”
Dominique Biellmann regrette que l’association n’ait pas été créée plus tôt : “Dans tout écoquartier, il doit y avoir une association. On a quatre ans à rattraper.” Depuis janvier, des initiatives sont mises en place. En juin, la première fête de l’association Brassage a eu lieu, rassemblant les habitants autour d’un verre. En octobre, une fresque participative a été réalisée. Enfin, pour combler le manque de communication des bailleurs et agents immobiliers, l’association est en train de rédiger une charte morale. Non contraignante, elle sera distribuée aux futurs habitants afin d’expliquer ce qu’implique de vivre dans un écoquartier.
* Le prénom a été modifié
Le label écoquartier
En 2008, le Grenelle de l’environnement lance la démarche “EcoQuartier” en France. Avec le plan “Ville durable” annoncé par Jean-Louis Borloo, le gouvernement souhaite initier un nouveau modèle de développement urbain plus respectueux de l’environnement.
En 2012, un label ‘Ecoquartier” est créé. Il « distingue et valorise des démarches de conception et de réalisation de quartiers qui respectent les principes du développement durable tout en s’adaptant aux caractéristiques de leurs territoires.” Ce label distingue quatre étapes en fonction des différentes phases de réalisation. La première est l’écoquartier “en projet”, la seconde “en chantier”, la troisième “livré” et enfin la dernière “confirmé’.
On dénombre aujourd’hui en France 380 projets labellisés étape 1 et 200 en étape 2. 51 projets (dont celui de la Brasserie) ont été livrés et atteignent le label étape 3. Au 13 novembre 2019, six écoquartiers en France ont atteint l’étape finale.
Dans sa mise en oeuvre, l’écoquartier ne remplit pas seulement des objectifs environnementaux, il doit aussi répondre à des enjeux sociaux et économiques en encourageant la mixité sociale, la valorisation et la diminution des déchets ou encore le recours aux modes de transport “doux” et non polluants (voies piétonnes, pistes cyclables…).
Plus d’infos : http://www.ecoquartiers.logement.gouv.fr/
Estelle Wencken, 45 ans, hospitalisée à l’EPSAN pour une dépression depuis juillet 2018, confirme ce changement d’attitude. "Tout le monde appréhendait au début mais ils ont constaté qu’on était pas fous", raconte-t-elle. Alors qu’elle ne connaissait pas le quartier à son arrivée à Cronenbourg, elle se souvient de ses premières rencontres avec les habitants. "L’été dernier, on a fait connaissance avec des habitants à l’extérieur de l’EPSAN. Maintenant je vais les voir chez eux," s'amuse-t-elle. Pour des patients comme Estelle, qui n’a jamais reçu de visites de son fils, ces relations avec les habitants permettent de rompre l’isolement.
Arthur Jean, Marion Henriet et Lucas Lassalle
En mai 2019, un EPSAN ouvre ses portes rue Becquerel. Implanté en plein milieu d’une zone résidentielle qui regroupe écoles, logements sociaux et commerces, il suscite interrogations et rumeurs.
"Le quartier n’a pas une bonne image. Les gens s’imaginent toujours que c’est un zoo", se désole Nathalie Amann, directrice de l’école primaire Paul Langevin. Une image qui, pour certains habitants, pourrait encore se dégrader. La faute à un nouveau bâtiment implanté aux croisements des rues Becquerel, Langevin et Albert Einstein. Là où se dressaient les tours Becquerel, c’est maintenant un EPSAN (Etablissement public de santé Alsace nord) qui trône au milieu du quartier cronenbourgeois. La structure peut accueillir 140 patients en hospitalisation complète en psychiatrie ; elle fait aussi office d’hôpital de jour et reçoit des malades pour des consultations ponctuelles. Ouvert en mai 2019, l’établissement accueille une partie des patients de l’EPSAN de Brumath. Objectif : faciliter leur réinsertion en les rapprochant de leurs familles sur Strasbourg et des différents services dispensés par la métropole.
Amélie Rigo, Chi Phuong Nguyen, Killian Moreau